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Chapitre 4 Analyse des résultats

4.2 Présentation des résultats

4.2.1 L’expérience de la migration de transit au Mexique

4.2.1.1 Les difficultés rencontrées en migration de transit au Mexique

4.2.1.1.3 Difficultés liées au contexte gouvernemental et social mexicain

Les témoignages des participants à l’étude ont démontré que le contexte gouvernemental et social mexicain est à la source de difficultés vécues par les migrants transitant sans autorisation par le territoire mexicain. D’une part, l’État mexicain est inactif en matière d’aide et de politiques sociales destinées aux migrants et aux

réfugiés, et affiche un désintérêt face aux situations vécues par les migrants irréguliers transitant sur son territoire. D’autre part, une bonne proportion de la société mexicaine est soit apeurée, soit indifférente face à l’expérience des migrants irréguliers centraméricains. En plus, la société mexicaine fait face à une perte importante de valeurs qui causerait plusieurs difficultés vécues durant le transit des migrants centraméricains au Mexique. Plusieurs participants ont rapporté que le contexte actuel gouvernemental et social mexicain limite les initiatives d’aide et les actes de solidarité envers les migrants, restreint l’obtention de la justice et de la protection et est la cause d’agressions perpétrées envers les migrants.

Un gouvernement inactif et désintéressé

Des participants ont mentionné qu’une des difficultés rencontrées par les migrants centraméricains en migration de transit au Mexique est le manque d’aide du gouvernement mexicain et son désintérêt face à leur expérience migratoire. Plusieurs participants, dont Lucía (I), Nico (I), Julio (I), Lisa (I) et Valeria (I) ont déploré l’absence du gouvernement dans l’aide apportée aux migrants ainsi que les faibles politiques sociales en matière d’aide aux réfugiés et aux migrants. Le fait qu’il y ait peu de ressources d’aide disponibles pour les migrants, principalement peu d’organismes tels que les Casas del Migrante, a d’ailleurs été mentionné par plusieurs participants comme étant une difficulté importante au parcours des migrants au Mexique. Aussi, certains participants voient le désintérêt complet du gouvernement mexicain comme étant une difficulté additionnelle pour les migrants irréguliers transitant par le territoire mexicain puisqu’il rend difficile l’obtention de la justice et de la protection face aux abus vécus par les migrants:

Pour vrai, c’est terrible tout ça. C’est un trafic [d’humains], le gouvernement le sait, mais s’ils ne font rien pour nous qui sommes du Mexique, alors encore moins pour ceux qui viennent d’ailleurs. Je dis souvent: «encore moins pour ceux qui ne se voient pas»… Ils ne sont pas d’ici et pas de là-bas. Ils ne se voient pas. S’il arrive quelque chose à un migrant durant son passage ici, alors c’est simple : la fausse commune et on en parle plus! Rien n’est arrivé. […] Ils savent qui sont les criminels et ils ne font toujours rien. Lisa (I) #17

Alors, ce qui se passe le plus c’est qu’on te vole ton argent, on te discrimine, la Migración te frappe, ils te font ça [mouvement de fusil] avec le fusil électrique, c’est dangereux… On te tire des pierres, on te frappe…Ce n’est pas bien…Et les autorités mexicaines qui ne font rien : «aaaah! Ils ne sont pas d’ici! [ton ironique]». Alejandro (M) #18

Les témoignages des participants permettent de conclure que les migrants ne peuvent compter sur le gouvernement mexicain et ses représentants pour faire valoir leurs droits, ce qui rend d’autant plus difficile le transit de migrants ayant vécu des situations d’abus et de violation de leurs droits.

Une société apeurée, indifférente et en perte de valeurs

Plusieurs participants à l’étude ont mentionné que la peur ressentie par la société mexicaine à l’égard des migrants centraméricains irréguliers constitue une difficulté importante à leur transit. Lucía (I) et Julio (I) rapportent que cette peur est entre autres amplifiée par l’insécurité, la violence et la criminalité grimpante des régions du sud du Mexique. Selon plusieurs participants, les migrants sont perçus par de nombreux Mexicains comme étant des délinquants, des criminels ou des gens malhonnêtes. Julio rapporte que la présence de méfiance et de peur chez la population mexicaine est un problème majeur au transit des migrants centraméricains irréguliers puisqu’elle limite les interactions sociales et occasionne l’adoption de pensées xénophobes et l’entretien de préjugés:

Et bien, un des problèmes c’est que la communauté n’est pas encore préparée à voir passer une personne migrante. Il y a toujours cette peur entretenue envers une personne inconnue. La population ne les voit pas comme des personnes normales; on pense plutôt que le migrant est quelqu’un de mal et d’agressif qui vient détruire la communauté, rien de plus. […] La société mexicaine pense que tous les migrants sont méchants, à cause de leur apparence physique lorsqu’ils arrivent: ils arrivent très sales, parfois sans chandail et pieds nus, et parfois avec les cheveux très longs, sans être lavés durant dix ou vingt jours. Alors ça fait peur aux gens… Julio #19

Cette peur et cette méfiance entretenues par la population mexicaine à l’égard des migrants centraméricains ont également été rapportées par Marco (I) comme rendant difficile la migration de transit. L’expérience de Marco, qui tenta d’instaurer un refuge dans un village et dont l’initiative fut freinée par la population locale qui disait craindre pour sa sécurité, démontre que les craintes entretenues à l’égard des migrants centraméricains freinent les initiatives de solidarité et d’aide leur étant destinées. Cette peur et cette méfiance chez la population mexicaine sont aussi à l’origine d’agressions physiques et verbales commis envers les migrants centraméricains. Alejandro (M) confia qu’il eut à faire face à plusieurs actes discriminatoires, haineux et racistes durant son transit. Il fut d’ailleurs témoin de moqueries et d’insultes portées envers les migrants et de poursuite et menaces d’agressions physiques à l’aide d’objets de bois. Ces agressions sont considérées par les participants comme étant des difficultés majeures au transit des Centraméricains.

Aussi, Nico (I), Enzo (I), Julio (I), Lisa (I), Roméo (I), Alejandro (M) et Emiliano (M) ont mentionné qu’une certaine proportion de la société mexicaine ressent de l’indifférence face aux migrants centraméricains irréguliers. Selon ces participants, les migrants sont invisibles aux yeux d’une bonne partie de la population mexicaine. Cette indifférence est également considérée comme étant une difficulté à l’expérience de la migration de transit au Mexique puisqu’elle limite les initiatives d’aide envers les migrants. Les migrants sont peu considérés et même ignorés, et ce, malgré leur situation précaire et leur besoin impératif d’aide

humanitaire. Voici comment Emiliano (M) vit cette indifférence: «C’est quelque chose de difficile parce qu’on nous dédaigne et on nous ignore beaucoup…».

Finalement, selon Marco (I), la perte actuelle de valeurs qui sévit au sein de la société mexicaine est une difficulté à laquelle doivent faire face plusieurs migrants centraméricains puisque cette perte de valeurs permet la commission de plusieurs offenses contre leur dignité humaine. Cette perte de valeur serait à la source de la déshumanisation et la marchandisation des migrants :

Si on ne te reconnait pas comme ce que tu es, si on ne t’accepte pas comme tu es, si on ne te respecte pas, parce que par exemple tu es une jolie femme et qu’on veut t’utiliser, t’instrumentaliser, ça signifie qu’on ne te reconnait pas comme une personne à part entière. Il n’y a pas de valeur…Il n’y a pas de valeur humaine, il y a plutôt une décadence…[…] Il y a une perte de valeur, une inversion des valeurs! Une inversion des valeurs ça signifie que je ne te vois pas comme une fin en soi, mais que je te vois plutôt comme un moyen, rien de plus! Et c’est ce qu’il se passe avec eux [les migrants]. Les considérer comme un moyen, comme une chose, c’est la pire offense contre la dignité humaine. On ne respecte pas la dignité humaine, la dignité des personnes… C’est pour ça qu’il n’y a pas de paix, parce qu’il n’y a pas de reconnaissance, ni d’acceptation, ni de respect. «Un Hondurien (ou un Guatémaltèque) s’en vient!» : «Chassez-le!», «Faites-le tomber!», ou «Lancez-lui des pierres!» Ou bien, s’ils ont de l’argent sur eux les garçons [malfaiteurs et criminels] s’occupent de ça. C’est très triste. Marco #20

Julio (I) voit également la perte des valeurs humaines au sein de la société mexicaine et l’effritement des structures sociales comme étant des difficultés rencontrées par les migrants en transit au Mexique. Selon lui, les structures sociales qui «sont malheureusement tombées dans le négatif, dans le vouloir profiter des autres» permettent donc la réalisation d’abus. Nico (I) critiqua également l’habitude de bon nombre de Mexicains de chercher à profiter de toutes les situations possibles.