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Chapitre 4 Analyse des résultats

4.2 Présentation des résultats

4.2.2 Besoins des migrants centraméricains en migration de transit au Mexique

4.2.2.1 Besoins ressentis

Les besoins ressentis, qui s’apparentent notamment aux désirs, aux aspirations et aux motivations, correspondent à la perception qu’ont les migrants de leurs problèmes et de ce qui est requis pour retrouver un état de bien-être. Les besoins ressentis n’incluent pas de demande de services ou d’aide de la part des individus afin de les combler (Bailly et Bernhardt, 2001). L’analyse du discours des participants à l’étude a permis de relever quatre types de besoins ressentis par les migrants centraméricains en migration de transit au Mexique. Le besoin d’améliorer les conditions socioéconomiques de la famille ainsi que le besoin de protection et de sécurité ont été mentionnés par la grande majorité des participants, alors que le besoin

d’accomplissement de soi et le besoin de réunification familiale ont été mentionnés par une minorité de participants.

Les témoignages des participants ont démontré que ces quatre besoins, qui peuvent être ressentis simultanément, sont d’une telle intensité que les migrants sont prêts à prendre de nombreux risques et à endurer de pénibles situations pour les satisfaire:

Ils partent pour améliorer leur situation économique, et finalement, ils tombent du train, on doit leur amputer une jambe ou un bras, et ils retournent en pire état dans leur pays d’origine. Ce qu’on entend toujours c’est qu’il n’y a pas de travail, pas d’argent, qu’ils n’ont rien pour survivre au Honduras ou au Guatemala. Alors c’est pour ça qu’ils migrent à d’autres endroits, pour améliorer [leur situation]…J’ai entendu, par exemple, des pères qui pleurent parce qu’ils ont laissé derrière eux leur épouse avec leur trois jeunes enfants. J’ai aussi vu des personnes que ce n’est pas la première fois qu’elles tentent de passer; des fois, ça fait jusqu’à six fois qu’ils essaient de traverser aux États-Unis, et ils n’y arrivent tout simplement pas. Et ils continuent d’essayer. […] Je sais maintenant, pour avoir travaillé auprès d’eux pendant tout ce temps, qu’ils viennent déjà préparés psychologiquement à tout ce qui va se passer, à tout ce qu’ils vont vivre…Ils sont au courant, c’est-à-dire qu’ils savent ce qu’ils peuvent rencontrer, peut-être une attaque, une raclée, une violation, tout ça. Romeo (I) # 29

Comme le démontre Romeo (I), la nécessité de répondre à leurs besoins ressentis est tellement forte que, même en connaissant les dangers et les difficultés de la migration de transit au Mexique, et même en ayant déjà vécu le transit illégal au Mexique, plusieurs migrants centraméricains entreprennent ou recommencent le périple clandestin. Lisa (I) et Lucía (I), puis Alejandro (M), qui tente pour une deuxième fois de rejoindre illégalement les États-Unis, corroborent l’intense nécessité de répondre à leurs besoins ressentis. Lucía y fait allusion quand elle parle de «leur réalité», expression qu’elle utilise pour faire référence à l’ensemble de leurs besoins ressentis et à leur perception de la migration comme étant la seule option envisageable pour satisfaire leurs besoins:

Ils ne connaissent pas d’autre réalité…Par exemple, quand ils arrivent, on leur dit : «Tu sais que tu cours le risque de mourir, si ce n’est pas durant ton passage ici, ça sera quand tu arriveras à la frontière … Ils vont te tuer.» Parce qu’ils les tuent, les corrompus qui se tiennent à la zone frontalière, ou les fameux polleros qui les passent par ici…Mais ils ne connaissent pas d’autre réalité; ils viennent avec des conditions précaires de leur pays d’origine. Ce sont des pays qui sont en voie de développement, très pauvres, comme le Guatemala, El Salvador. Et eux, l’unique réalité qu’ils connaissent c’est le rêve américain, c’est-à-dire aller dans un pays, chercher un travail et offrir de meilleures possibilités de vie à leur famille qui est restée là-bas [dans leur pays d’origine]. Alors, même si tu leur dis : «Tu sais quoi, c’est mieux que tu retournes [dans ton pays]…», et bien la majorité d’entre eux ne le fait pas. La majorité continue leur chemin et leur but est d’arriver aux États-Unis, traverser la frontière… […] D’une certaine manière, ils sont comme aveugles parce que leurs expériences dans leur pays sont tellement

4.2.2.1.1 Besoin d’améliorer les conditions socioéconomiques de la famille

Fuir la pauvreté extrême, due principalement au manque de possibilité économique, est un motif majeur à la migration centraméricaine clandestine au Mexique. Tous les participants à l’étude, à l’exception d’Estéban (M), de Matteo (M) et de Valeria (I), ont mentionné que les migrants centraméricains ressentent un besoin criant d’améliorer les conditions socioéconomiques de leur famille. Le besoin de trouver un travail, idéalement aux États-Unis, qui permettra d’envoyer de l’argent à leur famille pour leur offrir une meilleure qualité de vie, est un besoin très présent chez les migrants centraméricains. Enzo (I) démontre bien l’impasse économique que vivent bon nombre de centraméricains et la nécessité d’entreprendre la migration afin d’offrir une meilleure qualité de vie à leurs êtres aimés:

Je crois que l’unique besoin qu’il y a c’est d’aller vers une vie meilleure, un meilleur travail, gagner plus d’argent… Selon moi, c’est l’unique besoin pourquoi on sort de nos pays. Ce n’est pas vrai que je vais partir de mon pays, que je vais laisser ma famille, juste parce que je veux partir de mon pays. Ce besoin de travail, ce besoin d’avoir une meilleure vie pour toi, pour ta famille, c’est ça qui te fait prendre cette décision [de migrer]. […] Je vais te dire que, ce qui arrive, c’est que tu te dis : «Merde! Il faut que je le fasse, parce qu’ici je ne fais RIEN». C’est-à- dire que tu préfères prendre ce risque que de rester là-bas, dans ton pays dangereux, à riiiiieeeeeeen faire. Alors tu te dis : «OK, je vais courir ce risque. Arriver là-bas, trouver du travail et travailler…» Travailler, gagner de l’argent pour moi, pour aider ma famille, c’était ça mon objectif. Et ce l’est toujours aujourd’hui. Enzo #31

Par ailleurs, l’amélioration de la qualité de vie des familles des migrants a souvent été associée à la construction d’une maison. Travailler aux États-Unis afin de financer la construction d’une maison est un élément qui a été mis de l’avant par plusieurs participants, dont Emiliano (M), Nico (I), Marco (I) et Julio (I).

Enfin, Alejandro (M) démontre bien comment le manque de possibilité économique engendre un climat d’insécurité sociale et comment cette insécurité sociale alimente également la migration irrégulière des Centraméricains cherchant à améliorer leurs conditions de vie:

[…] beaucoup de morts tous les jours… Il n’y a pas d’emploi parce que le président [du Honduras] est corrompu, alors il n’y a pas d’emploi. Étant donné qu’il n’y a pas d’emploi, tout le monde cherche à voler. Quand tu gradues de ton high school, tu cherches un emploi décent, mais il n’y a rien parce qu’ils n’offrent pas d’emploi. Alors les garçons cherchent à tuer ou à te voler ton argent, à faire du mal à d’autres personnes… Alors c’est comme ça que se génère la violence. Comme il n’y a pas d’emploi, alors la violence est là… Ça génère de la violence… Et nous on doit fuir nos pays…Parce qu’il n’y a pas d’emploi et il y a de la violence. Alejandro #32

4.2.2.1.2 Besoin de sécurité et de protection

Fuir la violence structurelle généralisée qui sévit dans les pays d’Amérique centrale est un autre besoin souvent ressenti par les migrants centraméricains au Mexique. Plusieurs informateurs-clefs ont mentionné que

la violence et l’insécurité sociale grandissante des pays d’Amérique centrale génèrent la migration clandestine de plusieurs Centraméricains, dont certains cherchent à vivre dans un endroit sécuritaire, et d’autres, cherchent d’abord à sauver leur vie en raison de la persécution vécue dans leur pays d’origine. Nombreux ont été les participants à l’étude à mentionner que des migrants centraméricains quittent leur pays d’origine pour fuir la persécution. C’est d’ailleurs le motif principal de migration de deux des participants migrants de cette étude. Estéban (M) et Alejandro (M) ont fui le Honduras car leur vie était menacée; ils cherchent ainsi un endroit qui pourrait leur apporter sécurité et protection. Des participants informateurs-clefs ont aussi mentionné que l’insécurité sociale, l’omniprésence de la violence et le puissant pouvoir des groupes criminels créent un fort besoin de sécurité et de protection chez les populations centraméricaines. Le récit de Valeria (I) démontre d’une part, le niveau élevé du pouvoir des réseaux criminels en Amérique centrale ainsi que la violence qui en découle, et d’autre part, le besoin de protection et de sécurité ressenti chez plusieurs jeunes migrants et leur famille:

Beaucoup de mamans passent par ici, parfois avec leurs jeunes de 17-18 ans. Elles-mêmes nous racontent qu’elles doivent migrer pour sauver la vie de leur fils, et des fois en laissant leurs plus petits [au pays d’origine]. C’est pour la simple raison que, quand ils approchent 17-18 ans, les Maras [le groupe criminel Maras Salvatruchas] commencent à venir les chercher pour les ajouter à leur groupe. Les mamans ne veulent généralement pas ça, et si les jeunes garçons n’accèdent pas à leurs demandes [celles des Maras], alors ils les tuent… Ou ils les blessent… Ils [les migrants] parlent aussi du manque de ressources, du manque d’argent, ou bien, souvent, il y a aussi les extorsions… De nos jours, il y a beaucoup de délinquance dans leur pays et ça fait qu’ils migrent. Valeria #33

4.2.2.1.3 Autres besoins: besoin d’accomplissement de soi et de réunification familiale

Les migrants centraméricains en migration de transit au Mexique peuvent aussi ressentir un besoin d’accomplissement de soi et un besoin de réunification familiale. Le besoin d’accomplissement de soi est associé au désir des migrants d’accéder au «rêve américain». Ce rêve, souvent associé par les participants à l’ascension sociale et à l’enrichissement personnel et familial, a été mentionné chez certains participants comme étant un besoin d’accomplissement de soi. Tel est le cas de Nico (I) et de Lucía (I), qui font référence aux besoins qu’ont les migrants de s’accomplir en tant que personne. Selon eux, les migrants ressentent le besoin de croitre personnellement et économiquement; ils entreprendraient donc la migration vers les États- Unis dans l’espoir de trouver un endroit qui pourrait leur permettre de répondre à ces désirs. Le cas de Matteo (M) démontre que des migrants quittent leur pays par désir de vivre le fameux «rêve américain»:

Oui, je voulais vivre le rêve américain, c’était ça. Je ne vais pas te dire qu’on m’a chassé. Je ne vais pas te mentir. Oui, je voulais aller au Nord, travailler pour mes enfants, lutter pour eux, mais

Lisa (I) fait référence à ce rêve américain en déplorant que plusieurs migrants migrent dans le but de vivre «au pays des merveilles», ce rêve de croissance économique et personnelle qu’elle considère complètement illusoire. Enfin, Julio (I) ajoute un aspect intéressant à cette nécessité de vivre le «rêve américain». Selon lui, certains migrants s’imposeraient une pression personnelle pour réaliser ce rêve, qui peut être perçu comme un exploit:

Une des principales motivations c’est le désir de sortir de la pauvreté extrême qu’ils vivent dans leur pays. C’est un des motifs, la pauvreté extrême. D’un autre côté, il y a des personnes qui veulent seulement partir pour vivre le rêve américain. Ils veulent juste aller là-bas et revenir, c’est comme une rivalité, le fait de pouvoir dire : «Moi, je peux», «Moi, oui, je me mets au défi», «Moi, j’y vais et je reviens». Julio #35

Des migrants centraméricains en migration de transit au Mexique ressentent aussi un besoin de réunification familiale. Ce besoin fut uniquement mentionné par Lisa (I). Elle mentionne que plusieurs jeunes migrants quittent leur pays d’origine pour rejoindre leur mère ou leur père, ou un autre membre de leur famille proche, déjà établis aux États-Unis.