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CHAPITRE II : LES BALISES DE L’APPROCHE INTERINSTITUTIONNELLE CHEZ

2.2 Les cultures professionnelles et organisationnelles : modèles et défis

2.2.1 Les composantes de culture professionnelle policière

Aborder la culture professionnelle policière est un « paramètre central pour expliquer la façon dont les activités policières se déploient.264 » Compte tenu des pouvoirs dont les agents sont

dotés, notamment en termes de coercition et de discrétion, ceux-ci disposent d’une autonomie importante, orientée selon un ensemble de valeurs et de normes, dans l’accomplissement quotidien de leur mandat. De façon générale, la culture policière comprend « les valeurs et normes professionnelles qui opèrent sous l’apparente rigide structure hiérarchique des organisations policières265 ». Dès lors, les actions posées par les policiers ne seraient donc pas

liées à des variables psychologiques ou idiosyncrasiques, mais plutôt à un ensemble partagé de

262 Alain, Marc et Geneviève Pruvost, « Police : une socialisation professionnelle par étapes », Déviance et Société,

vol. 35, mars 2011, 267.

263 Alain et Pruvost, « Police : une socialisation professionnelle par étapes », 268. 264 Jobard et de Maillard, Sociologie de la police Pratiques, organisations, réformes, 98. 265 Jobard et de Maillard, Sociologie de la police Pratiques, organisations, réformes, 98.

valeurs et de normes266. En termes théoriques, le concept de culture professionnelle représente un

aspect important de l’étude des acteurs policiers et d’application de la loi. Toutefois, il convient de spécifier qu’il n’est pas prétendu dans le cadre de cette recherche d’avoir convenu à atteindre complètement la validité du concept. En effet, le concept n’a pas été approfondi à son maximum, compte tenu notamment du nombre d’entrevues menées, ce qui a été nuancé dans la section portant sur la méthodologie et la stratégie de vérification (cf. Chapitre I). Si l’utilisation de la notion de culture professionnelle peut sembler problématique dans la manière dont celle-ci est employée dans ce mémoire, il n’en demeure pas moins qu’elle permet de soulever diverses pistes de réflexion. Dès lors, plusieurs des éléments composant la culture professionnelle reviennent dans les chapitres portant sur les résultats, principalement au Chapitre IV, mais il n’a pas été possible de vérifier l’ensemble de ceux-ci. De ce fait, le nombre d’entrevues menées auprès des acteurs de la sécurité frontalière et policière ne permet pas d’étendre ces réflexions à l’ensemble de ces organismes. Ainsi, il devient difficile de nuancer les propos tenus spécifiquement par l’individu interviewé ou encore l’influence des propos tenus par celui-ci en fonction de la culture professionnelle associée à son organisation.

Selon une première approche, la culture professionnelle policière peut être abordée selon l’idée que celle-ci ne découle pas « des traits de personnalité spécifique préexistants des policiers recrutés, mais des conditions spécifiques du travail policier, mélange de danger et d’utilisation de la force267 ». Dans la littérature au sujet de la sociologie de la police, plusieurs traits de la culture

policière ont été mis en évidence. Ces composantes représentent un « ensemble de règles collectives implicites qui structurent les visions du monde et conduites des policiers dans l’espace social [regroupant les facteurs suivants] : sens de la mission, isolement, suspicion, pessimisme, machisme, conservatisme, voire racisme268 ». Dans l’ensemble, les policiers

développent un sens prononcé de la mission, dans la mesure où ceux-ci sont fiers du rôle qu’ils ont à accomplir et de la vision héroïque qu’entoure leur travail. Ceci est accompagné par un certain pessimisme, c’est-à-dire que « les épreuves du quotidien, les événements marquants auxquels ils sont confrontés les conduisent à adopter une vision désenchantée, parfois désespérée, du monde social.269 » De cet aspect découle directement la suspicion dont les

266 Jobard et de Maillard, Sociologie de la police Pratiques, organisations, réformes, 98. 267 Jobard et de Maillard, Sociologie de la police Pratiques, organisations, réformes, 99. 268 Jobard et de Maillard, Sociologie de la police Pratiques, organisations, réformes, 100. 269 Jobard et de Maillard, Sociologie de la police Pratiques, organisations, réformes, 101.

policiers peuvent être saisis. Plus précisément, les agents développent des raccourcis cognitifs qui leur permettent de saisir les signes de danger en raison de l’environnement incertain dans lequel ils travaillent et les relations parfois tendues qu’ils peuvent avoir avec une partie de la population. Par le fait même, ce sentiment de suspicion provoque une certaine coupure des policiers à l’égard du monde social en raison des particularités de leur milieu de travail (horaires décalés, code de discipline, balancement entre vie privée et vie professionnelle, etc.) Cette forme d’isolement contribue en contrepartie à la formation d’une forte solidarité interne, « qui se traduit par une certaine fraternité, un soutien mutuel, un humour particulier ou encore des légendes qui circulent et unifient le groupe.270 » Devant le contexte dans lequel les policiers travaillent, des

valeurs liées « à un milieu où les normes viriles dominent271 » ressortent. Cela dit, « ces traits

culturels contribuent à faire de la police un milieu homogène272 ».

Selon une seconde approche, l’unité de la culture policière peut être questionnée, considérant l’existence d’une variété de cultures professionnelles policières. Dans la réalité, ce caractère monolithique de la culture policière se heurte à un milieu composé de profils, spécialités, générations et sexes différents. En ce sens, la littérature à ce sujet envisage de traiter des policiers comme n’étant pas « que de simples apprenants dociles des règles du métier.273 » Des études

menées auprès de policiers par l’entremise de questionnaires leur ayant été soumis démontrent que « mis à part quelques stéréotypes […], les gardiens de la paix ne partagent pas suffisamment d’opinions et jugements pour former une culture professionnelle commune.274 » Par le fait

même, en fonction du poste occupé, du lieu d’exercice ou de la nature de l’activité, des variantes surgissent sur le plan organisationnel. Ainsi, selon le positionnement hiérarchique du policier, il peut y avoir une différence dans la vision que celui-ci à du monde et des façons de se présenter selon le travail qu’il effectue, soit la culture du « policier de rue » à la différence du policier de gestion et d’encadrement. Les lieux d’exercice de l’activité sont également un élément à soulever, compte tenu de la différence entre le milieu rural et urbain. C’est-à-dire que l’intégration du policier ne s’opère pas au même niveau dans les sociétés locales que pour leurs collègues dans les espaces urbains. À l’échelle locale, ce qui est notamment le cas en région

270 Jobard et de Maillard, Sociologie de la police Pratiques, organisations, réformes, 102. 271 Jobard et de Maillard, Sociologie de la police Pratiques, organisations, réformes, 102. 272 Jobard et de Maillard, Sociologie de la police Pratiques, organisations, réformes, 103. 273 Jobard et de Maillard, Sociologie de la police Pratiques, organisations, réformes, 103. 274 Jobard et de Maillard, Sociologie de la police Pratiques, organisations, réformes, 104.

frontalière, le policier, malgré qu’il fasse partie intégrante d’une organisation formalisée et centralisée, « multiplie les arrangements avec la règle et cherche l’accommodement avec les populations locales, induisant une tension entre identité professionnelle d’un côté et logique organisationnelle de l’autre.275 » En outre, des différences culturelles se manifestent aussi en

raison des spécificités propres aux départements et unités spécialisées. Les tâches effectuées par les policiers sont variées, certaines activités sont davantage routinières (police de la route), contrairement à d’autres expériences professionnelles (enquêtes, investigation de crimes)276.

Cet ensemble de constats sur la culture professionnelle remet en perspective l’importance et l’écart qui peut exister entre le discours et la réalité. En effet, il n’en demeure pas moins que « les décisions des policiers se font souvent dans l’instant, sans que des règles établies à l’avance puissent guider les comportements.277 » En ce sens, la culture professionnelle policière « joue un

rôle non pas de détermination de l’action par la définition de règles, mais constitue plutôt un ensemble d’histoires, de légendes qui jouent un rôle figuratif278 ». Enfin, cette réflexion

contribue à identifier la culture professionnelle comme étant à la fois un élément qui peut entraver ou motiver les relations de collaboration entre les organisations policières. Que ce soit en permettant aux policiers issus de diverses organisations de partager des points communs les uns avec les autres, ou encore à contribuer au sentiment de méfiance envers autrui.

2.2.2 Homogénéité ou hétérogénéité des cultures professionnelles et organisationnelles :