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CHAPITRE IV : LA RELATION DE COOPÉRATION DANS LA GESTION

4.2 Les conditions à la coopération

4.2.2 L’importance du caractère individuel

Un facteur important qui régit les relations entre les acteurs de la sécurité à la frontière est le caractère des agents et des policiers. De façon générale, lorsqu’il est question du caractère individuel des membres de ces organisations de sécurité, la littérature fait souvent référence au concept de culture professionnelle au sens de comment la personnalité et le caractère de l’individu peut structurer celle-ci (cf. Chapitre II). Dans le cadre des corps policiers, l’auteur Reiner estime que la culture professionnelle représenterait un facteur qui entrave la collaboration. Selon cet auteur et des recherches précédentes portant sur la collaboration, il est soutenu que « malgré une évolution récente vers plus d’ouverture, les policières et policiers tendent à être conservateurs, politiquement et moralement.436 » Ces aspects sont dictés par la

nature de leur travail, laquelle est structurée de manière hiérarchique et disciplinée. Au-delà de ces éléments, les corps policiers demeurent grandement concernés de façon à « rester en sécurité jusqu’à demain (ou l'heure suivante) et avec le moins de tracas et de paperasse possible, ce qui les fait hésiter à envisager l'innovation, l'expérimentation ou la recherche.437 ».

Par ailleurs, d’autres auteurs ont étudié la culture professionnelle comme un facteur favorisant à tisser des liens de coopération entre les corps policiers. À ce sujet, selon les recherches de Giacomantonio, des unités policières ont souvent été « incapables de coopérer ou de coopérer pleinement en raison d'un modèle antérieur d'interaction entre une section de la police et une autre.438 » Ceci fait en sorte que parfois la relation interorganisationnelle a pu se voir affectée par

rapport à des éléments irritants antérieurs, comme la réticence à contribuer par des ressources en cas de besoin. Dès lors, « tout aussi bien que les relations interpersonnelles positives peuvent atténuer les efforts de coordination, les attentes négatives d'autres unités peuvent limiter la volonté d'interagir de bonne foi.439 » En rapportant ses propos au concept de culture

professionnelle, lequel fait référence à un « ensemble de règles professionnelles intégrées sur la

435 Entrevues menées auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada.

436 Poliquin, Sécurité en région frontalière, 73, citant Reiner, Robert, The politics of the police, Oxford University

Press, 97.

437 Traduction libre dans Poliquin, Sécurité en région frontalière, 73, citant Reiner, The politics of the police, 99. 438 Giacomantonio, Policing integration, 118, (traduction libre).

façon d'interpréter la conduite, de fidéliser et d'exprimer ses opinions440 », il est possible

également de soutenir que ces règles peuvent être partagées à l’intérieur d’une organisation ou entre les organisations. Selon l’auteur, cette culture professionnelle ne représenterait pas dans la majorité des cas un facteur limitant la coopération, mais serait au contraire un élément facilitateur entre les organisations policières structurées de manière similaire. Giacomantonio estime qu’il existe suffisamment de pratiques courantes et de formations au sein des organisations policières faisant en sorte que la coordination, dans de nombreux cas, peut être une question relativement directe, qu’il y ait eu ou non une affinité préexistante entre les unités441.

Si ces recherches précédentes soulèvent des aspects intéressants dans l’étude du comportement et du fonctionnement des membres des corps policiers, il n’en demeure pas moins que ce sont des visions qui demandent une lecture sur deux différents niveaux. Premièrement, il s’agit de distinguer le caractère individuel du policier, ou encore du membre travaillant pour l’agence frontalière, lequel est composé de son propre bagage et ensemble de valeurs qui détermineront selon ses propres aptitudes la portée et l’importance que cette personne accorde à la coopération. Deuxièmement, il est question des compétences opérationnelles, c’est-à-dire des façons de faire similaires sur le terrain. De ce fait, appliquant ces aspects au cadre de cette recherche, il est possible de voir l’interprétation donnée par les policiers de la SQ et de la GRC, ainsi que des membres de l’ASFC, au sujet de la place occupée par l’individu quand il est question de l’opportunité de tisser ou non des relations de coopération entre les acteurs dans la gestion de l’immigration irrégulière à la frontière entre le Québec et les États-Unis.

À partir des propos retenus lors des entrevues, nombreux ont été les participants à souligner l’importance de l’initiative individuelle afin d’entamer des processus de coopération entre les organisations. Pour exprimer ce point de vue, un policier de la SQ a indiqué que « la collaboration entre les agences ne sera jamais plus forte que la collaboration entre les individus qui les composent.442 » Selon ces propos, la base de toute relation de collaboration débute

quelque part à partir d’initiatives personnelles. C’est une position soutenue par les membres de la SQ ayant été interviewés en spécifiant que le fait de « s’associer en complémentarité avec

440 Giacomantonio, Policing integration, 119, (traduction libre). 441 Giacomantonio, Policing integration, 120, (traduction libre). 442 Entrevues menées auprès de la Sûreté du Québec.

d’autres agences fait en sorte que l’efficacité est augmentée de façon exponentielle443 ». Toujours

selon le même policier : « cela revient aussi à l’individu, il faut vraiment qu’une agence ne souhaite pas être le roi de la montagne.444 » Cette place occupée par l’individu s’avère très

importante dans l’établissement de la coopération. À titre d’exemple, lors des entrevues quelques policiers de la SQ ont évoqué la retraite, dans le territoire qu’ils couvrent, de certains caporaux ou membres dans la gestion des équipes au sein de la GRC, ce qui a mené à une diminution de la collaboration et du partage de l’information entre ces deux corps policiers dans une région à la frontière entre le Québec et les États-Unis. De manière générale, cette même idée a été évoquée par des policiers de la GRC, notamment en discutant de l’individu comme étant un facteur qui facilite ou entrave la collaboration entre les organisations :

[La coopération] revient aux individus…Dans leur ensemble, nos dirigeants, nos corps policiers… C’est les individus. [Après plusieurs années] de service, je n’ai pas de difficulté à me présenter où que ce soit auprès d’une agence quelconque d’application de la loi, parler aux gens ce n’est pas problématique. Il peut y avoir des irritants parfois, je pense que c’est l’ignorance et les individus qui les causent. C’est l’attitude des gens445.

De ce fait, le caractère des agents et des policiers, leurs valeurs et façons de penser, leur lecture du besoin de coopérer et leurs intérêts à le faire régissent considérablement les relations que ceux-ci entretiennent à l’égard d’autres organisations d’application de la loi. Plus précisément, malgré le fait qu’il existe des initiatives et des ententes formelles entre les corps policiers et les agences, il revient en grande partie à l’individu d’entretenir l’opérabilité de la coopération. Il devient donc difficile d’aborder la coopération englobant une organisation dans son ensemble, mais de parler plutôt de coopération à une échelle plus locale. Celle-ci peut varier en fonction des policiers et des agents se trouvant sur place, ainsi que de l’arrivée et du départ des nouveaux membres :

Il y a des gens qui changent de chaise et à ce moment il y a une rééducation qui est faite. Parfois, il y a des changements d'orientation à travers les organisations, ou des découpages de territoire qui sont redéfinis à travers certaines organisations et on doit rencontrer les partenaires pour établir c'est quoi les mandats, etc. […] C'est le travail de plusieurs instances446.

443 Entrevues menées auprès de la Sûreté du Québec. 444 Entrevues menées auprès de la Sûreté du Québec.

445 Entrevues menées auprès de la Gendarmerie royale du Canada. 446 Entrevues menées auprès de la Gendarmerie royale du Canada.

Ce raisonnement s’inscrit dans les propos expliqués ci-dessus au sujet de la culture professionnelle policière, vue à travers un ensemble de valeurs d’une organisation, mais dictés également par le bagage de valeurs individuelles. Par ailleurs, la culture professionnelle tisse également la collaboration, notamment par le partage de pratiques opérationnelles : « N'importe quel policier est entrainé pour essayer de détecter toute activité suspecte, que tu sois un policier du fédéral, du provincial ou du municipal. Tout policier doit être alerté par des comportements anormaux ou qu'il juge anormaux.447 » Cette idée illustre bien que malgré les individus,

marqués par leurs traits de personnalités singuliers, la coopération peut être entamée sur le plan opérationnel en défendant que les policiers, ou encore les membres d’organisations d’application de la loi, partagent des façons de faire semblables, ce qui crée une base commune dans la construction ou la mise en application de partenariats. Plusieurs de ces éléments précédemment mentionnés peuvent être mis en lien avec des concepts étudiés préalablement dans le cadre théorique de cette recherche. Considérant que les policiers oeuvrent par l’entremise d’un certain degré d’autonomie à titre de fonctionnaires de proximité, ceux-ci sont en mesure de prendre des décisions en ayant recours à un large pouvoir discrétionnaire. Ainsi, le travail policier fait appel à des interventions qui peuvent être menées en se basant sur un certain degré de discrétion, ce qui fait en sorte que c’est un facteur de plus qui contribue à l’importance du caractère individuel dans la tenue de relations de coopération entre les agences et acteurs d’application de la loi.

Toutefois, certains aspects influencent ces relations de coopération interinstitutionnelles au-delà du rôle occupé par l’individu. Il s’agit plus particulièrement des ressources avec lesquelles les policiers et les agents peuvent travailler et la manière dont ceux-ci les emploient afin de gérer l’immigration irrégulière que ce soit de manière conjointe avec les autres organisations, ou encore indépendamment de celles-ci.