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CHAPITRE IV : LA RELATION DE COOPÉRATION DANS LA GESTION

4.2 Les conditions à la coopération

4.2.1 Lecture et compréhension du mandat

Tel qu’expliqué au chapitre précédent, chaque acteur est conscient du rôle et des responsabilités qu’ils doivent assumer au sein de leur organisation. Néanmoins, l’application de leurs mandats respectifs peut parfois mener à un chevauchement des responsabilités causant des interrogations dans l’accomplissement de leurs tâches, principalement pour ce qui a trait aux corps policiers, dont la GRC et la SQ. Des recherches précédentes ont déjà traité cet aspect en évoquant les difficultés associées à l’application du mandat donné spécifiquement en région frontalière. Dans le cadre de ces recherches, il a déjà été évoqué, de la part de policiers de la SQ, la nécessité de mieux expliquer le mandat de la SQ en région frontalière. En effet, « certains policiers éprouvent quant à eux des difficultés à cerner le rôle de l’organisation par rapport aux enjeux de sécurité

publique frontaliers.427 » Pour ce qui concerne l’arrestation d’immigrants illégaux, certains

policiers de la SQ interviewés ont exprimé ne pas savoir exactement quoi faire devant ce type de situation et devoir se référer à leur supérieur pour des instructions à suivre428. À cet égard, un

policier de la SQ soutient qu’afin d’avoir une meilleure collaboration entre les acteurs frontaliers et policiers, il est nécessaire d’avoir une définition claire des mandats : « Quand tu sais que c’est ta responsabilité de faire une chose, un mandat, tu ne crains pas que le voisin le fasse. C’est la première chose.429 » En ce sens, c’est l’application du rôle et des tâches de chacun qui devient

floue dans le contexte à la frontière Québec-États-Unis, ce qui peut mener à une « apparence de chevauchement ou chevauchement réel de deux niveaux policiers au Québec, soit entre la Sûreté du Québec et la GRC.430 » Parfois au niveau de la direction des postes de la SQ dans les MRC

frontalières du Québec, certains directeurs et directeurs adjoints, se sont vus s’abstenir d’agir ou de s’approcher des problématiques qui touchent la frontière « par crainte de mal faire et de s’empêtrer dans le mandat d’un autre acteur de la sécurité ou de faire une bévue en matière de souveraineté nationale431 ». Ces informations font la lumière sur l’absence d’une démarche à

suivre standardisée à la SQ dans les postes frontaliers. Par conséquent, les policiers affectés à ces postes peuvent parfois profiter d’une marge de manœuvre flexible permettant, souvent par volonté personnelle et individuelle, des initiatives de collaboration. L’effet contraire peut également se produire en ce sens qu’il existe en quelque sorte « une porte de sortie pour ceux qui font une lecture stricte du mandat et qui se décharge[nt] de certaines tâches qu’ils identifient comme entrant dans le mandat ou comme seyant aux capacités d’une autre organisation fédérale ou états-unienne.432 » Dès lors, le mandat de la SQ en contexte frontalier n’est pas compris ou

interprété de manière égale par l’ensemble de ses membres, ce qui a une influence dans le degré d’initiatives ou de motivations qui pourrait mener les policiers à entretenir des relations de collaboration avec leurs homologues fédéraux présents sur le même territoire.

Parallèlement, ces nuances ne sont pas généralement présentes dans le discours entretenu par les membres de la GRC ayant été interviewés. À cet effet, un policier de la GRC soutient que :

427 Ferland, Boulet et Poliquin, « Étude auprès des postes en région frontalière du district de l’Estrie », 11. 428 Entrevues menées auprès de la Sûreté du Québec.

429 Entrevues menées auprès de la Sûreté du Québec. 430 Poliquin, Sécurité en région frontalière, 86. 431 Poliquin, Sécurité en région frontalière, 87. 432 Poliquin, Sécurité en région frontalière, 87.

Les mandats sont assez clairs, sont établis avec des ententes […]. Au niveau national et au niveau de l'intégrité de la frontière aussi, c'est vraiment la GRC et l'ASFC qui ont des rôles principaux à ce niveau- là, en collaboration avec nos partenaires américains. Bien sûr, on a des partenariats qui sont établis même au niveau municipal et au niveau provincial avec les différents corps policiers, parce qu’il y a de l'information qui se développe, il peut y avoir des situations que même des gens qui sont à l'intérieur de ces municipalités ont un aspect de criminalité transfrontalière dans lequel nous on a un intérêt. Il y a une collaboration qui est très étroite avec nos partenaires à ce niveau433.

À ce niveau, il est possible de noter un certain décalage entre le discours soutenu par ce membre de la GRC et le travail effectué concrètement sur le terrain. En effet, selon les participants aux entrevues, ces membres de la GRC sont davantage portés à tenir un discours officiel fortement centré sur la collaboration. Quant à eux, les membres de la SQ interviewés portent un discours davantage critique qui relativise les relations de collaboration entre les deux corps policiers. Il convient de rappeler qu’il n’y a pas de doute quant au rôle et aux responsabilités de la GRC en matière de sécurité frontalière, mais le fait que la GRC joue un rôle particulier au Québec alors que la SQ occupe le rôle de la police pour l’ensemble du territoire de la province peut mener à un certain chevauchement des mandats ou encore peut alimenter la présence d’un sentiment de concurrence à certains niveaux. Sur ce point, ce sont des aspects propres aux corps policiers dans la mesure où ces éléments n’ont pas été remarqués dans la relation de collaboration des corps policiers avec l’ASFC.

En complémentarité avec ces propos, un membre de l’ASFC a mentionné l’importance encore une fois de bien connaître les mandats de chacun : « La ligne, on la connaît, mais tout passe par le dialogue. Il y a un dialogue quotidien et continu entre l’ASFC et la GRC. Même si ce n’est pas toujours noir et blanc, ça reste très gris, mais le partage est bien fait.434 » Ainsi, il est possible de

déterminer comme étant une composante clé des relations de coopération la compréhension et le respect des mandats des acteurs présents à la frontière. En d’autres termes, des frictions entre les acteurs surgissent lorsque les mandats ne sont pas clairs et qu’il y a chevauchement des responsabilités. Cette idée a été liée à un autre élément clé de la coopération ressorti à plusieurs reprises par les participants aux entrevues. En effet, pour plusieurs agents et policiers « le plus

433 Entrevues menées auprès de la Gendarmerie royale du Canada.

important est que tout passe par l’individu et les aptitudes personnelles. Quelqu’un qui est ouvert à collaborer et qui a une bonne attitude envers les autres personnes fait toute la différence.435 »