• Aucun résultat trouvé

3. L’éducation au changement climatique (ECC)

3.2. L’éducation au changement climatique pour un développement durable (ECCDD)

3.3.4. Les changements climatiques comme enjeux socioéducatifs

Au lendemain du Sommet de Terre de Rio (1992), les Etats se sont engagés dans la promotion du développement durable en validant le Programme Action 21 de l’ONU. Ce programme d’actions souligne l’importance de l’application des principes de précaution, de solidarité, d’équité et de responsabilité individuelle et collective pour la résolution durable des problèmes environnementaux globaux.

Le Chapitre 36 : « Promotion de l'éducation, de la sensibilisation du public et de la

doivent être promus par l’éducation formelle et non-formelle, et par des campagnes de communication médiatique 5». Un grand nombre de pays de l’OCDE intégrera ce projet de sensibilisation, d’éducation et formation dans leurs programmes de politique

éducatif. Deux ans après l’entrée en vigueur de l’Accord de Paris, le projet

socioéducatif entend bien limiter les risques climatiques en « stabilisant les

concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique » (Art 2 CCNUCC). L’Article 6

de la CCNUCC et le Protocole de Kyoto, à travers son Article 10, appellent « les

gouvernements à éduquer, responsabiliser et engager toutes les parties prenantes et les principaux groupes sur les politiques relatives au changement climatique »

Intégrer l’ensemble des enjeux des changements climatiques à l’école nécessite des approches pédagogiques ouvertes à l’interdisciplinarité voire à la transdisciplinarité. Dans le cadre du traitement didactique de ces questions, Legendre (2005) n’hésitait pas à rappeler que « […] la solution aux grands problèmes de l’heure, tels les changements

climatiques […] dépend d’une approche et d’une saisie globale des choses. De plus, l’apprentissage s’inscrit aujourd’hui dans un monde sans frontière, où, grâce surtout aux médias d’information, l’interpénétration des problèmes et des connaissances est devenue une réalité quotidienne à laquelle l’école ne peut demeurer étrangère. En somme, ni l’école, ni aucune discipline ne peut revendiquer l’exclusivité de l’apprentissage ou de la formation de l’élève. Dans un tel contexte, l’insertion de l’activité pédagogique, à base d’interdisciplinarité, au cœur de la réalité socioculturelle, s’avère une condition indispensable de l’adaptation de l’école à notre monde en constante évolution ». L’intégration des changements climatiques

dans les contenus d’enseignement, nécessite de relever certains défis : « (1) appréhender

la nature controversée de cette question ; (2) appréhender la diversité des connaissances en jeu (aspects scientifiques et non-scientifiques) ; (3) établir le lien entre ces connaissances et les contenus et pratiques d’enseignement existants et enfin (4) s’ouvrir à l’interdisciplinarité pédagogique » (Gayford, 2007). Dans son projet Education 2030, l’OCDE (2018, p. 4) a

brossé le tableau d’un futur de l’éducation et des compétences. Si les défis qui se posent sont en premier lieu d’ordre environnemental – le changement climatique et l’épuisement des ressources naturelles exigent des actions d’atténuation et d’adaptation urgentes - deux questions d’une portée considérable doivent trouver des réponses.

De quelles connaissances, compétences, attitudes et valeurs, les apprenants auront- ils besoin pour réussir leur vie et bâtir le monde de demain ?

Comment les systèmes éducatifs peuvent-ils transmettre ces connaissances, compétences, attitudes et valeurs de manière efficace ?

4. Problématique

Notre travail de thèse vise à clarifier le champ, les caractéristiques et les principes d’une Education aux Changements Climatiques dans le contexte du Développement Durable (ECCDD) et d'élaborer des propositions pour son intégration dans la formation de base. Nous avons souhaité inscrire cette problématique dans un double cadre : celui de l’interdisciplinarité (cette thèse s’inscrit dans une codirection permettant d’intégrer les sciences de l’éducation et les sciences économiques) ; celui du cycle primaire du système éducatif sénégalais. En effet, ce que l’on apprend aux petits a toujours eu l’avantage de demeurer pour la vie. L’investissement émotionnel, qui se retrouve dans la curiosité et la spontanéité avec laquelle les jeunes enfants s’expriment, en fait le véritable moment d’apprentissage, d’initiation. L’école primaire doit donc permettre à l’élève, futur décideur, à se familiariser avec certains concepts relatifs à l’environnement, au changement climatique et au développement durable. Dans ce contexte, nous devons préparer la jeunesse sénégalaise à s’assumer pour le bien-être de son pays et de l’humanité. Cette préparation n’est possible que si le programme d’enseignement sénégalais envisage d’introduire des cours, des notions, des analyses en termes de systèmes, des débats autour de thèmes clés et de pratiques préfigurant une Education aux Changements Climatiques en vue du Développement Durable (ECCDD).

Tableau 4 : les défis d’une ECCDD

Cours Notions Systèmes Thèmes clés Pratiques

Niveau primaire

Chaque dimension du changement climatique doit être

abordée sous un angle général dans les cours habituels

1/ Environnement et climat 2/ Social 3/ Economie 1/ Ecosystème 2/ Société 3/ Marchés 1/Effet de serre 2/ Démocratie et justice 3/ Activités et Richesse 1/ Eco-école 2/ Citoyen responsable 3/ Financement

Mais la problématique d’une ECCDD ne se limite pas à ce qu’il convient de disséminer comme connaissances et compétences aux apprenants, elle doit également intégrer la principale courroie de transmission d’une telle éducation, les enseignants. Ces derniers doivent être outillés intellectuellement et matériellement pour dispenser cet enseignement aux élèves. C’est dans cette optique que nous avons souhaité interroger les représentations sociales des enseignants sénégalais du cycle primaire sur les concepts principaux tels que le développement durable, les changements climatiques et leurs corollaires éducatifs, à l’aide d’un questionnaire. Face à la menace grave qui persiste sur notre planète, l’ECCDD se doit de partir des représentations sociales et collectives afin de proposer des démarches pédagogiques innovantes, des outils appropriés au contexte et des compétences susceptibles de forger l’éco-citoyen de demain.

Imaginer les fondements et les principes d’une ECCDD nécessite également de réfléchir aux savoirs scientifiques qu’il convient de mobiliser – même dans le cadre d’une réflexion dans le cycle du primaire. Il s’agit principalement de savoirs entremêlés issus des sciences de la nature, des sciences économiques et des sciences humaines et sociales. Le système climatique est en interaction avec le système politique, le système économique et la société dans son ensemble. A travers, l’ECCDD, il s’agit de rappeler que la Science doit se faire citoyenne et responsable : le choix même des objets de recherche est questionné au regard de la pertinence sociale et des formes de développement promues (explicitement ou non) par l’activité scientifique. Aussi, en raison de la nécessité d’appréhender les réalités dans une approche systémique et globale, en tant que chercheur, nous sommes amenés à favoriser le dialogue des savoirs, au sein même de l’espace scientifique où l’interdisciplinarité s’avère féconde, mais aussi dans l’espace public où se construisent d’autres types de savoirs.

En raison de l’importance de la connaissance scientifique dans une écologie du savoir qui prend en compte la complexité et la globalité des réalités, et en raison aussi de l’importance accordée à la science comme argument, caution ou alibi dans les décisions politiques et économiques relatives aux questions socio-écologiques comme les changements climatiques, l’éducation doit contribuer à l’émergence d’une « intelligence collective » (Taddei, 2018), capable de saisir les arguments scientifiques de façon critique, de les insérer dans un ensemble de savoirs de divers types, de les mettre en relation dialectique avec ces derniers, et de les utiliser comme matériau de construction d’un argumentaire approprié au contexte.

C’est dans ce contexte que notre de travail de thèse entend proposer un modèle de pensée (au sens de Thinking System) intégrant les sciences économiques et politiques, les sciences de l’éducation et la science climatique. Dans la mouvance des réformes éducatives qui ont cours ou qui sont en phase d’implantation ou de consolidation dans diverses régions du monde (et notamment au Sénégal), la prise en compte de l’interdisciplinarité dans les curriculums, constitue un défi pour les planificateurs des systèmes éducatifs. Une éducation basée sur des objets de savoirs intégrés entre eux dans une perspective d’interdisciplinarité, un rapprochement entre les sciences avec un projet d’apprentissage centré sur des réalités concrètes et significatives comme les changements climatiques, voilà le contexte dans lequel nous voulons intégrer l’éducation aux changements climatiques dans la prescription de l’éducation au

développement, et ceci dès le cycle primaire6.

6 Ce point nous semble très important car une grande partie des programmes et des contenus n’intègre

l’interdisciplinarité que dans le cycle secondaire. Par ailleurs, les connaissances et les savoirs concernant notre système économique sont complètement absents du cycle primaire. Or, des démarches pédagogiques tirées de l’analyse du cadre de vie (ERE) ou encore des applications d’investigation reliées à la théorie de l’enquête de Dewey permettent au jeune public de cerner les notions économiques qui

5. Plan

Pour répondre aux diverses questions introduites précédemment et surtout permettre à l’Education aux Changements Climatiques en vue d’un Développement Durable (ECCDD) de s’inscrire durablement dans le paysage des « éducations à », notre thèse s’est attachée à faire converger deux pistes de travail :

(1) une analyse des formes de savoirs en lien avec les changements climatiques, et sur ce point, nous avons utilisé une matrice qui s’appuie sur la distinction entre savoirs scientifiques (climat, économique, politique, social…), savoirs institutionnels, savoirs mesurés et savoirs pédagogiques ;

Figure 4 : le registre des savoirs en ECCDD

(2) une étude des représentations sociales7 des enseignants du cycle primaire

sénégalais s’insérant dans le modèle REDOC (REprésentations, Démarche pédagogique, Outils didactiques, Compétences) développé avec l’AUF (IFADEM) dans le cadre d’un projet d’implantation de l’EDD dans cinq pays d’Afrique (Bénin, Burkina-Faso, Niger, RDC, Togo).

7 « Une représentation sociale est une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée

Ces deux pistes de travail offrent une certaine richesse intellectuelle, notamment lorsqu’il s’agit d’identifier un registre des savoirs pour l’ECDD tout en les replaçant (ces savoirs) dans le cadre des représentations (on aurait pu imaginer également questionner la notion de conceptions). Les savoirs s’inscrivent dans le champ de la validation des discours, ceci donne lieu à un grand nombres de débats et de controverses (enjeux de sociétés), tout en encastrant les savoirs dans des matrices pré- déterminées. Vergès (1994a) a résumé fort bien cette idée en distinguant trois niveaux de déterminations sociales.

- Une matrice culturelle d’interprétation qui comprend d’une part, des éléments de culture nationale : par exemple, la représentation globale de l’économie est centrée différemment selon la nationalité des individus (principalement en ce qui a trait à l’État, aux banques ou aux entreprises). Et d’autre part, des éléments caractéristiques du groupe social d’appartenance : les représentations du rôle de l’État dans l’économie peuvent être différentes en fonction du milieu social des individus (par exemple : professions indépendantes versus salariés aux niveaux inférieurs du cursus scolaire). - Des pratiques sociales : activités professionnelles, monétaires, de consommation, etc. Ces pratiques peuvent être directes (consommation) ou indirectes (activités professionnelles) pour les individus d’âge scolaire.

- Des discours qui circulent à un moment donné dans la société. Ces discours sont le fait des médias, des organisations sociales (associations, partis, syndicats, etc.), des personnes influentes (intellectuels et autres) et plus largement de tous les membres de la société ; c’est ce que Vergès (1994a) nomme : le « débat idéologique ». Les discours sur les changements climatiques n’échappent à ces considérations même si les modèles climatiques ont inscrit le climat dans une approche scientifique.

Dans une perspective d’éduquer aux changements climatiques, la question des processus de socialisation est essentielle. Elle permet d’appréhender le degré de liberté de l’acteur social et ensuite, d’appréhender la place qu’elle nous semble laisser à l’école. Il est ainsi possible de penser l’action de l’école dans la formation des représentations sociales des changements climatiques et du développement durable des enseignants. En effet, d’une part, le discours scolaire est bien l’un de ceux qui circulent ; il peut donc avoir une influence sur l’évolution des représentations des acteurs de l’école. D’autre part, la formation scolaire peut avoir un impact sur les représentations des élèves : les pratiques scolaires peuvent être considérées comme des pratiques sociales spécifiques. Les représentations sociales représentent donc un élément clé dans la manière dont nous allons faire émerger une éducation aux changements climatiques au Sénégal.

Le coeur de notre thèse est articulée autour de 7 articles qui ont été publiés ou qui sont en cours de révision. Chacun de ces articles introduit un registre des savoirs contextualisés (le développement durable, la place des enjeux climatiques) ; une littérature relevant des sciences de l’éducation (Education au développement durable, Education aux Changements Climatiques en vue d’un Développement Durable), des sciences du climat (connaissances et modèles climatiques) et des sciences économiques (principalement des IAM – integrated Assessment Models) ; un cadre méthodologique (Analyse des systèmes complexes, System Thinking et REDOC) ; et une discussion sur les enjeux éducatifs liés aux changements climatiques (contenus, ODD 4).

- Le premier article intitulé « Le Climat : du savoir scientifique aux modèles d’intégration assignée (Integrated Assessements Models) » a été publié dans le numéro 9 de la Revue Francophone du Développement Durable (mars, 2017). Cet article aborde le climat à partir de trois types de savoirs : les savoirs scientifiques (qu’est-ce que le climat ? Qu’est-ce qu’un modèle climatique ? Qu’est-ce qu’un modèle intégré ?), les savoirs

institutionnels (le rôle du GIEC, le contenu de ces différents rapports, les polémiques

autour du réchauffement climatique), les savoirs mesurés (comment mesure-t-on le climat ? Les débats autour de la mesure, les techniques mobilisées). Il s’agit ici de faire un état des connaissances qui servira à comprendre ce que l’on entend par système climatique et par modèle du climat. Cet article permettra aux enseignants d’acquérir des connaissances de base sur le changement climatique.

- Les deuxième et troisième articles sont intitulés respectivement : « IAM : How to integrate Economics, Energy and Climate ?» et « Contributions of DICE and RICE to Implement Integrated Assessment Models (IAM) », il s’agit des chapitres 1 et 6 d’un ouvrage collectif Integrated Assessments Models and Others Climate Policy Tools :

Challenges and Issues, à paraître en juin 2019 chez Oeconomia. Ils abordent la question

des outils (modèles) utilisés par les chercheurs pour mieux appréhender les conséquences du changement climatique et proposer des stratégies de mitigation ou d’adaptation. Ce registre des savoirs scientifiques permet de cerner les architectures de nombreux modèles, notamment la famille des Integrated Assessment Models (IAM). Le modèle DICE, conçu par William Nordhaus (Prix Nobel d’Economie en 2018), permet de présenter les hypothèses d’un modèle intégré et de soulever la question des taux de préférence pour le temps entre les générations (préférence pour le temps présent ou le temps futur).

- Le quatrième article est intitulé « Environmental Education to Education for Sustainability Development : Challenges and Issues » et a été publié dans la revue International Journal of Humanities and Social Science (vol 9, 2019). Cet article introduit les savoirs pédagogiques en analysant deux projets éducatifs que tout oppose (par leur histoire, leur objet et leur contexte), l’éducation à l’environnement (EE) et l’éducation au développement durable (EDD). Ce texte souligne la place de l’UNESCO dans la mise en place de l’EDD (décennie 2005 – 2014) ainsi que les méthodes

pédagogiques promulguées par cette institution (démarche participative, approche systémique, pratiques collaboratives).

- Le cinquième article s’intitule « Education for sustainable development : a conceptual and methodological approach » et sera publié en mai 2019 dans la Revue International

Journal of Education. Les savoirs pédagogiques sont mobilisés afin de rendre compte de

trois analyses de l’EDD. La première resitue l’EDD dans le courant des éducations à, en insistant sur le champ des questions socialement vives et la place des valeurs. La seconde propose d’appréhender l’EDD à partir d’une reconfiguration du développement durable (ce dernier incarne un nouveau paradigme avec 6 clés d’entrée : les enjeux de société et les controverses, une approche par la complexité et la transdisciplinarité, une démarche systémique, 5 dimensions, des échelles spatio- temporelles, des valeurs). La troisième propose un modèle de pensée (System Thinking) pour l’EDD selon le modèle d’analyse REDOC pour (Représentations, Démarche pédagogique, Outils didactiques, Compétences).

- Le sixième article s’intitule « De l’éducation au développement durable (EDD) aux Objectifs du Développement Durable (ODD), de nouvelles prescriptions pour les pays du Sud ? » a été publié en 2017, dans un numéro Hors Série de la Revue Francophone du développement durable (décembre). Les savoirs pédagogiques (principes de l’EDD) sont ici mis en relation avec les savoirs mesurés (les ODD). L’article montre comment articuler l’EDD (ces principes, son contenu, ses valeurs) avec les ODD 4 (Education de qualité), ODD 1 (pauvreté) et l’ODD13 (lutte contre le changement climatique) à partir de deux cas concrets : le Pakistan et le Sénégal. Des démarches pédagogiques (pédagogie critique, pédagogie par projets, analyse du milieu, pleine conscience) et des outils didactiques (cartes de controverses, photo-formation, cartes conceptuelles, contes) appropriés dans le cadre de l’EDD sont présentés.

- Le septième et dernier article introduit l’éducation aux changements climatiques. Il est en cours de révision dans la revue Education Relative à l’Environnement. L’article intitulé « Eduquer aux changements climatiques au Sénégal, une initiation au modèle REDOC, via les représentations sociales » entend revenir sur l’émergence de l’éducation au changement climatique en vue d’un développement durable (ECCDD). Cette éducation renvoie d’une part, aux connaissances qu’il convient de transmettre pour atténuer les effets du changement climatique et s’adapter à un environnement en constante évolution et, d’autre part, aux compétences attendues pour modifier nos attitudes et nos comportements. A partir du modèle REDOC, nous avons cherché à faire ressortir les représentations sociales du développement durable et du changement climatique des enseignants du cycle primaire au Sénégal (réalisation d’un questionnaire), de manière à proposer des démarches pédagogiques innovantes, de concevoir des outils didactiques pour développer des compétences en vue d’une éducation aux changements climatiques (ECC).