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Arnaud DIEMER, Abdourakhmane NDIAYE, Ganna GLADKYKH

Publication dans la Revue Francophone du Développement Durable, n°9, mars 2017, p. 7-56

Résumé

Le climat fait l’objet de nombreuses attentions de la part des scientifiques, notamment depuis que les travaux du GIEC ont confirmé l’hypothèse d’un réchauffement climatique dû aux activités humaines. Au-delà de cette conclusion, qui tendrait à remettre en cause les critiques émanant des climato- sceptiques, il convient de comprendre le processus qui a fait passer le climat, du stade de simples observations à celui de savoir scientifique. Un savoir, qui est de plus en plus utilisé de nos jours, pour construire des modèles intégrés (principalement autour du triptyque : climat, énergie et économie) susceptibles d’aider les institutions internationales et les grands décideurs politiques à prendre des décisions engageant l’humanité sur le long terme.

Mots Clés

Climat, Développement durable, IAM, Modèles d’intégration assignée

Il y a encore trois siècles, l’homme vivait en parfaite harmonie avec la nature. Les atteintes qu’il portait à son intégrité, n’entraînaient pas de réactions visibles durant cette époque. L’introduction de la sélection génétique (animale/végétale), le début de

la monoculture, la découverte de la machine11 et de l’énergie du feu (Carnot, 1824)

vont progressivement faire entrer l’agriculture et l’industrie dans une phase de conquête de la nature. Dès lors et de manière progressive, l’homme a pesé sur son environnement, la perte de la diversité biologique ou encore les changements climatiques en sont de puissants exemples

William Ruddiman (2005, 2009), paléo-climatologue à l’université de Virginie, avance ainsi que la déforestation massive liée à l’élevage et l’agriculture serait à l’origine du réchauffement climatique, et ce, bien avant l’ère industrielle. De leur côté, Claude Boutron et Jean Pierre Candelone (1993, 1995) ont fait un rapprochement entre l’exploitation du plomb, l’apogée de l’empire romain et le changement climatique. En étudiant les concentrations de plomb et ses isotopes dans les carottes de glace provenant de l’Arctique, ils ont mis en évidence la présence d’un étrange pic de concentration, s’élevant à quatre fois la teneur naturelle antérieure (Chanel et al., 1999). Pour aboutir à ce résultat, ils ont procédé par décomposition radiogénique du plomb, ce qui permet de dater ce pic à environ 2000 ans. Cette signature isotopique correspond à l’activité minière des romains. Ainsi, les romains et les grecs auraient

10 Nous remercions les deux experts qui ont rapporté sur ce texte et qui nous ont permis d’améliorer la

version proposée dans la Revue Francophone du Développement Durable.

11 En 1712, l’anglais Thomas Newcomen, invente une machine permettant d’effectuer un pompage

émis vers l’atmosphère jusqu’à 4000 tonnes de plomb par an (Candelone et al., 1995). A la disparition de l’empire romain, cette concentration tombe à un niveau très bas, pour s’accroitre ensuite avec le début de l’industrialisation en Europe.

Figure 1 : concentration du plomb (en pg/g de glace) dans la carotte glacière du Groenland central

Source : Candelone et al. (1995)

Si la capacité de l’activité humaine à altérer notre environnement est bien un phénomène ancien (Tainter, 2017), quelques exemples emblématiques vont alerter l’opinion dans les années 50, puis générer une prise de conscience dans les années 70. C’est tout d’abord le fameux smog londonien, résultante de la combustion effrénée du charbon durant l’ère industrielle (et qui se traduit par un brouillard d’une rare intensité où se combinent des particules de poussière et des gouttelettes d’eau) qui réapparait à Los Angeles dans les années 50. Dans Closing Circle, Barry Commoner (1971) n’hésitera pas à relier la crise environnementale aux gaz d’échappement émis par l’industrie automobile : « En 1953, à défaut d’une épuration de l’air, des constatations

nouvelles permettaient d’expliquer plus clairement la situation. Des recherches avaient démontré que, pendant que l’industrie pétrolière diffusait environ 500 tonnes par jour d’hydrocarbures dans l’atmosphère, les voitures individuelles, les camions et les autobus en répandaient à peu près 1300 tonnes. En 1957, environ 80% des 2500 tonnes d’hydrocarbures diffusées chaque jour dans cette atmosphère provenaient de la circulation automobile. L’industrie automobile – le véritable coupable venait enfin d’être découvert » (1972, p. 70).

Ce sont ensuite les pluies acides qui font leurs premières victimes en Scandinavie, en

Europe occidentale et en Amérique du Nord dans les années 60 et 7012. Deux polluants

atmosphériques communs acidifient les précipitations (Gambier, 1987): le dioxyde de soufre (SO2) et les oxydes d’azote (NOx). Lorsque ces substances sont émises dans l’atmosphère, elles sont susceptibles d’être transportées sur de grandes distances par les vents dominants avant de retomber sur terre sous forme de précipitations acides (pluie, neige, brouillard, poussière). Les poissons qui agonisaient dans les lacs d’Europe, ont, les premiers, donné l’alerte… il faudra cependant attendre 10 ans plus tard, pour que les pluies acides deviennent un véritable problème de société, à la suite de la disparition des millions d’hectares de forêts de conifères en Allemagne (Arnould, 2014). Ce sont les pluies acides et les problèmes de la couche d’ozone qui vont sensibiliser la communauté internationale à la cause écologique (Sommet de la Terre à Stockholm, 1972). On peut même considérer que la Déclaration de Stockholm a soulevé pour la première fois la question du changement climatique, en demandant aux gouvernements d'être attentifs aux activités qui pourraient entraîner un changement climatique et d'évaluer la probabilité et la magnitude des effets climatiques. La Conférence a ainsi proposé d'établir des stations pour surveiller les tendances à long terme des composants et des propriétés atmosphériques, qui pourraient causer des phénomènes météorologiques, notamment des changements climatiques. Ces programmes devaient être coordonnés par l'OMM pour aider la communauté mondiale à mieux comprendre l'atmosphère et à déterminer si le changement climatique était imputable à l'activité humaine. Cette prise de conscience doit être mise en relation avec les premières découvertes du fameux trou dans la couche d’ozone. En 1974, les chimistes Frank Rowland et Mario Molina tirèrent la sonnette d’alarme lorsqu’ils comprirent que le mécanisme chimique de destruction de l’ozone par des émissions d’oxyde nitrique (contre lesquelles Paul Crutzen avait déjà mis en garde en 1970) avaient un analogue avec les émissions de chlorofluorocarbones, les désormais

célèbres CFC, qui conduisaient à la destruction des molécules d'O3 via des atomes de

chlore. Si les travaux des trois chercheurs virent leur bien-fondé reconnu en 1976 par

l'Académie nationale des sciences américaine13 (de sorte que l'emploi des CFC comme

gaz propulseur dans les aérosols fut banni en 1978 par le Canada, la Norvège et les Etats-Unis), il faudra attendre les observations de Joe Farman, Brian Gardiner et Jonathan Shanklin (1985) pour que la perte d’ozone au-dessus de l’Antarctique (publication dans Nature) alerte le grand public et invite les pays du monde entier à signer le Protocole de Montréal (1987) visant à réduire l’utilisation des produits dégradant la couche d’ozone (Jacquier, 2017).

12 Précisons que les pluies acides ont fait l’objet d’une prise de conscience dès le 19ème siècle, suite au

constat fait, qu’à proximité des usines, les forêts étaient victimes d’un phénomène de dépérissement. Les industriels ayant trouvé la parade (mise en place de cheminées très hautes), les pollutions furent très vite exportées loin de leurs sources et parcoururent d’énormes distances, portées par les vents.

Figure 2 : La couche d’Ozone

Source : Futura planète

La couche d'ozone se trouve dans la partie supérieure de la stratosphère. Dans cette couche, les rayons ultraviolets issus du spectre solaire viennent exciter les molécules de dioxygène (O2) qui, en se

combinant avec un atome d'oxygène (O), forment de l'ozone (O3) en grande quantité.

A cette liste des coupables et des responsables des changements climatiques, nous pourrions ajouter le bromure de méthyl, un pesticide qui libère du chlore et du brome, des gaz qui détruisent l’ozone avec une remarquable efficacité même si sa présence est faible dans l’atmosphère.

Si le changement climatique demeure un sujet de discussions et de controverses, il demeure une notion très difficile à définir de par la complexité et les incertitudes tant spatiales que temporelles qu’il recouvre. Malgré cela, il est possible de définir trois niveaux d’acceptation :

- Selon les météorologues et les climatologues : le changement climatique c’est lorsque « le climat global de la Terre ou l’ensemble des climats régionaux subissent une

modification durable sur une durée de dix ans » (CNRS) ;

- Selon la Convention Cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques(CCNUCC) : son article I, définit les changements climatiques comme, «

des changements qui sont attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours des périodes comparables » (CCNUCC, 1998, art I).

- Selon le Groupe des experts Intergouvernementaux sur l’Evolution du Climat (GIEC) : les changements climatiques sont « des variations statistiques indicatives de l’état

du climat ou de sa variabilité persistant pendant une période prolongée (généralement des décennies ou plus). Les changements climatiques peuvent être dus à des processus internes naturels ou à des forçages externes, ou encore à la persistance des variations anthropiques de la composition de l’atmosphère ou de l’utilisation des sols » (GIEC, 2001)14 ;

Ainsi, le changement climatique est la conséquence du réchauffement atmosphérique observé depuis 150 ans. L’augmentation de la teneur en gaz à effet de serre dans l’atmosphère, qui accompagne l’augmentation de la température observée semble la cause la plus évidente. Si certains gaz se retrouvent naturellement dans l’atmosphère (la vapeur d’eau est à l’origine de près des trois quarts de l’effet de serre total, le dioxyde de carbone, le méthane, le protoxyde d’azote et l’ozone), il semble que l’activité humaine ait largement contribué à leur concentration, c’est le cas du dioxyde de carbone émis par les industries du transport, du bâtiment, de l’extraction des ressources naturelles…, du méthane relatif au secteur agricole (production d’origine animale), des hydrochlorofluorocarbures (HCHC – 22, le fréon) utilisés comme gaz réfrigérant et agent propulseur dans les aérosols, des chlorofluorocarbures (CFC) utilisé dans l’industrie du froid et des nettoyants industriels, du tétrafluorométhane (CF4), un gaz réfrigérant ou encore de l’hexafluorure de soufre (SF6) utilisé dans l’industrie métallurgique et celle des semi-conducteurs. Ces gaz ont pour la plupart, étaient visés par le protocole de Kyoto (directive 2003/87/CE) – dans le cas du SF6, son potentiel de réchauffement global (PRG) serait près de 22800 fois supérieur à celui

du CO215 (ce qui en fait potentiellement le plus puissant gaz à effet de serre sur Terre).

Ils constituent cependant un véritable défi scientifique et sociétal pour l’espèce humaine. Scientifique car il convient de cerner avec précision leur niveau de concentration, leur durée de vie et leur vitesse de propagation. Sociétal, car ils ont de puissants effets sur la santé humaine et animale, la perte de biodiversité ou encore la recrudescence des catastrophes naturelles. D’une certaine manière, on peut considérer que le climat accède au statut de savoir scientifique (le réchauffement climatique est un effet physique dû à l’effet des gaz à effet de serre, il se manifeste partout, il est à l’origine du changement climatique et du dérèglement climatique). Comme tout savoir, il génère de nombreux débats au sein de la communauté scientifique, s’immisce

14 L’histoire du GIEC pourrait faire elle-même l’objet d’une controverse. En effet, le Groupe

intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat a été créé en 1988 par une décision du G7 (Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Grande-Bretagne, Canada, Italie) sous la pression de Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Ces derniers voulaient ainsi éviter que l’UNESCO (agence de l’ONU), soupçonnée de militantisme écologique, ne mette la main sur l’expertise climatique (Huet, 2014). D’une certaine manière, la création du GIEC s’inscrit dans le prolongement des inspirations libérales et mondialistes des années 80 (Accord de Washington en 1985). Or les rapports du GIEC (dont les résumés sont approuvés par les délégations gouvernementales) sont devenus au fil du temps difficilement contestables par les pouvoirs publics, ce qui leur confère une certaine autorité scientifique et surtout une capacité à faire bouger les lignes diplomatiques.

15 A cela s’ajoute sa durée de vie dans l’atmosphère, 3200 ans selon le 4e rapport du GIEC (chapitre

dans les grilles de lecture des scientifiques (théories et paradigmes) ou encore ouvrent des pistes de réflexion au regard des outils mobilisés (notamment les modèles climatiques). L’article que nous proposons, entend faire le point sur ces trois aspects du savoir, et revendiquent une place plus importante du climat dans l’éducation au développement durable. Objet de controverses ou de questions socialement vives, le climat doit faire sa révolution et poser les bases d’une véritable éducation aux changements climatiques.