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2. L’éducation au développement durable, une clarification conceptuelle, institutionnelle et didactique

2.2. Le développement durable : un projet éducatif

2.2.1. Le développement durable, un détour par les « éducations à »

La question du développement ne peut être dissociée de la controverse entre enseigner le développement durable et éduquer au développement durable (Pellaud, 2011). En effet, si le développement durable suppose de distiller des connaissances scientifiques permettant de cerner ses différents enjeux, il requiert également de définir les changements de comportements propices à son investiture. Dans ce dernier cas, il renvoie directement à l’émergence et au développement des éducations à. Les éducations à, déclinées sous la forme d’éducation à la santé, à l’environnement, au développement durable, sont présentées comme de nouveaux champs d’investigation dans le cadre du milieu scolaire et périscolaire (Barthe, Alpe, 2012). Elles se différencient « des disciplines par l’absence de référent académique et donc de curriculum

clairement établi » (Lange, Victor, 2006).

Elles s’opposent principalement à la « forme scolaire » mise en place à la fin du XIXe siècle (Vincent, 1994, Monjo, 1998). Celle-ci, admise par tous comme une nécessité inhérente à l’acte d’enseigner, est conditionnée par un certain nombre de caractéristiques : « règles impersonnelles et structure hiérarchique dans la classe, un seul

maître responsable d’un groupe d’élèves triés par âges, existence d’un lieu distinct et fermé »

(Angela Barthes, Yves Alpe, 2012). Cette forme scolaire s’applique aussi aux contenus scolaires, en imposant « un découpage horizontal du savoir » en « matières scolaires », qui s’appuient sur des savoirs scientifiques de référence. Elle accorde également une préférence au « caractère cumulatif des savoirs, et au contrôle du processus de transmission

et de ses résultats (examens, diplômes, inspections) » (ibid.). La forme scolaire a pris un

tournant avec l’époque de J. Ferry : organisation, définition d’enjeux spécifiques (dépassant largement le cadre de l’école), éradication des particularismes locaux, diffusion des valeurs de la modernité, exaltation du sentiment national et de la citoyenneté. Même si l’enseignement dans son ensemble y contribue, sur le plan symbolique la figure emblématique du maître y contribue aussi fortement. Dans ce contexte, le système éducatif est conçu à la fois pour enseigner et éduquer. Ces « fonctions sociopolitiques de l’école » (Prost, 1992) justifiaient dans les enseignements la présence de valeurs (morale, citoyenneté, patriotisme…) ou même de positions idéologiques (débats autour de la démocratie), fort peu remises en question jusqu’aux années soixante. Mais au cours du lent processus de didactisation des contenus scolaires (1960-1990), cette place des valeurs a connu un rétrécissement considérable et progressif.

Le mouvement pour « la massification scolaire » (Merle, 2009) a donné la priorité aux contenus de savoir. La méfiance résultant de la mise en cause idéologique (Baudelot et Establet, 1972) des fonctions de l’école (inégalité des chances scolaires, rôle du capital culturel…) par le développement de la sociologie de l’éducation et la « théorie de la

reproduction » (Bourdieu et Passeron, 1970) conduit à suspecter tout élément semblant

nombreux professeurs se considèrent alors strictement comme des enseignants, ils ne sont plus des éducateurs : « Ils fondent leur légitimité sociale par la légitimité scientifique et

académique des savoirs qu’ils dispensent » (Angela Barthes, Yves Alpe, 2012). Dans ces

conditions, l’enseignement à l’école s'organise autour de la question des fondamentaux : « Il s'agit de déterminer une base éducative minimale indispensable, qui se

décline par tranches d'âge » (ibid.). Parallèlement, la conception utilitariste de

l'éducation, fondée sur l’employabilité future, qui s'accompagne de la montée en puissance du « modèle des compétences inspiré de l'entreprise » (Ropé et Tanguy, 1994), domine en prétendant répondre à une crise de l'école (Joshua, 1999), caractérisée par le doute sur l'utilité sociale des savoirs.

Les années 90 sont toutefois marquées par un mouvement de changement induit par des questions relatives à la détérioration de l’environnement, à l’arrivée de nouveaux vecteurs de communication (le numérique et l’internet), à la montée des problèmes d’incivilité et de violence ou encore issues des critiques du Sud envers les prescriptions éducatives du Nord. L’éducation à l’environnement (Girault et Sauvé, 2008), l’Education

civique juridique et sociale (Alpe et Legardez, 2000), l’éducation à la santé (Eymard, 2004), l’éducation au développement durable (Diemer, 2013) viennent s’ajouter aux deux

éducations déjà présentes dans le cadre scolaire, l’éducation civique et l’éducation physique et sportive. Ces éducations à remettent partiellement en question « le partage

entre la fonction d’instruction, centrée sur les savoirs, et la fonction d’éducation, centrée sur les valeurs à transmettre. » (Audigier et Tutiaux-Guillon, 2008). Le plus souvent, elles

répondent à une injonction politique supranationale et leurs contenus sont orientés par des pratiques d’acteurs et de partenariats. Les enjeux de ces actions éducatives constituent un nouveau souffle pour les acteurs de l’éducation et une nouvelle exigence pour leur formation (Fouguet et al, 2016). Elles trouvent leur justification dans les propos de Gauchet (2013) : « nous sommes en proie à une erreur de diagnostic ; on

demande à l’école de répondre par des moyens pédagogiques des problèmes civilisationnels résultant du mouvement même de nos sociétés, et on s’étonne qu’elle n’y parvienne pas. Quelles sont ces transformations collectives qui aujourd’hui posent à la tâche éducative des défis entièrement nouveaux ? Ils concernent au moins quatre fronts : les rapports entre la famille et l’école, le sens des savoirs, le statut de l’autorité, la place de l’école dans la société ».

D’une manière générale, les éducations à font apparaitre deux constantes. La première est liée à l’interconnexion des problématiques tant du point de vue éducatif (centration sur des expériences à vivre, des compétences, nature mixte et controversée des savoirs impliqués) que du point de vue sociétal (imbrication des questions environnementales, sanitaires, sociales et économiques). La seconde se tourne vers une ressemblance des démarches pédagogiques favorisant leur aspect éducatif et non leur assujettissement à des visées utilitaristes ; la place déterminante et impliquée du sujet dans sa dimension sociale, tant l’élève que l’enseignant, de ses valeurs et de ses systèmes de représentations-connaissances.

Legardez et Simonneaux (2006) ont insisté sur ce qu’ils appellent les quatre caractéristiques principales de ces « éducations à » : (1) elles sont thématiques (le développement durable, l’environnement, le changement climatique.) et non disciplinaires, ce qui les distingue du modèle standard des contenus scolaires à caractère scientifique ; (2) elles ont une relation étroite avec des « questions socialement vives (QSV) » parce qu’elles se focalisent sur des problèmes que se pose la société, en même temps qu’elles sont une réponse à une forme de demande sociale d’éducation. Elles peuvent être controversées (le changement climatique, la gestion de la biodiversité) ; (3) elles accordent une place aux valeurs et à l’action (la pratique : les bons gestes constituent la première étape pour lutter contre le changement climatique) ; (4) elles ont comme objectif généralement explicite, de faire évoluer des comportements, car le but est de comprendre pour agir (les bons gestes conduisent à court/moyen/long terme à un changement de comportement).

Ces caractéristiques font des éducations à un modèle éducatif cherchant à imbriquer savoirs, valeurs et pratiques ; puis s’inscrivant dans une volonté de faire agir pour transformer.