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Les modèles numériques de climat constituent à ce jour, les seuls instruments capables de nous projeter vers l’avenir du climat de notre planète : « Depuis la publication du

quatrième rapport d’évaluation, les modèles climatiques ont progressé, et, ce sur la base des données concernant l’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, le forçage radiatif positif, le réchauffement observé et la compréhension du système climatique

» (GIEC, 2013). Aujourd’hui, ces modèles ouvrent (observations et prévisions) et concluent (prises de décision) tout débat sur la question du changement climatique. Au début des années 1990, les climatologues sur la base de leurs simulations ont cherché à alerter le public et les politiques sur le risque de réchauffement global. Les modèles numériques du climat constituent la pièce maitresse de l’expertise climatique et fournissent périodiquement, pour les rapports du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), des projections de climats futurs sur la base de différents scénarios d’émission de gaz à effet de serre.

Ces scénarii, fortement médiatisés, reposent sur des fourchettes chiffrées de hausses de la température à la surface du globe et sont soumis au feu des critiques. Ils sont ainsi devenus des « objets de controverses » sur le changement climatique, des

controverses de type scientifique et des controverses de type politique. En effet, l’action politique a besoin des données de la science climatique pour justifier ses prises de décisions et imaginer un futur possible, tandis que la science climatique a besoin d’un cadre juridique et institutionnel pour asseoir sa légitimité. Face aux incertitudes liées au changement climatique, les modèles suscitent étonnement et méfiance, ils soulèvent même différentes interrogations : peut-on prédire l’avenir sur la seule base de la puissance des ordinateurs ? Les projections à long terme des modèles numériques sont-elles suffisantes pour susciter l’action parmi les acteurs socio-économiques et politiques ?

Si les premiers modèles du climat apparaissent dans les années 50, des projets sont déjà présents au tout début du XXe siècle. Dès 1904, le physicien norvégien Vilhelm Bjerknes propose dans un article intitulé « The problem of Weather Prediction, as Seen

From the Standpoints of Mechanics and Physics » de rattacher l’atmosphère à un ensemble

de variables que l’on pourrait relier sous forme d’équations :

“The state of the atmosphere at a particular time will be determined, in a meteorological sense,

when we can determine the air speed, density, pressure, temperature, and humidity at every point. The wind velocity will be represented by three scalars, the three wind speed components, so that, as a result, we need to be concerned with the calculation of seven unknown quantities. To calculate these quantities, we set up the following equations:

1. The three hydrodynamic equations of motion. These are differential equations representing relationships between the three wind speed components, the density, and the pressure.

2. The equation of continuity, which states the principle conservation of mass during motion. This relationship is also expressed by a differential equation, more precisely a relationship between the wind speed components and air density.

3. The equation of state for the atmosphere, which is an infinite series involving the density, pressure, temperature, and the humidity of a given air mass.

4. The two major principles of the mechanical theory of heat, which state, in two differential equations, how, as a result of ongoing condition changes, the energy and entropy of a chosen airmass are altered. In addition, these equations introduce no new unknown quantities into the problem, because the energy and entropy express themselves through the same transformations that are found in the equations of state, and tie the changes in these variables with the changes of other known quantities. The other inputs are: firstly, the work done by the air mass, which is determined by the same transformations which are found in the dynamic equations; secondly, the externally determined heat quantities, which will be obtained from physical data concerning radiant energy transfer and the heating of the air caused by the motion of the earth” (Bjerknes,

1904, II).

Dans un système de 7 équations à 7 inconnues, il était possible d’éliminer une inconnue à l’aide de l’équation d’état, toutefois, malgré cette simplification, il s’agissait toujours d’intégrer un système de 6 équations aux dérivées partielles avec 6 inconnues.

Pour Bjerknes, la conclusion était sans équivoque: « It’s not possible to obtain a rigorous

mathematical integration of this system of equations. Even the calculation of the motion of three objects, which are mutually influenced according to simple Newtonian law, goes substantially beyond today’s mathematical tools… The exact analytic solution would not be what we need, even if we were able to obtain it “(ibid). Il convenait donc d’abandonner toute pensée

d’une solution analytique. Le problème du prévisionniste “météo” devait être envisagé sous une forme pratique: « the initial state of the atmosphere is represented by a

number of tables, which specify the division of the seven variables from layer to layer in the atmosphere. With these tables as the initial values, one can specify similar new tables which represent the new values from hour to hour. Graphical or mixed graphical and numerical methods are needed in order to solve the problem in this form, whether from the partial differential equations, or from the physical/ dynamic principles which underlie the equations. The effectiveness of such methods can’t be questioned on an a priori basis. Everything depends on successfully separating a single overwhelmingly difficult problem into a series of sub problems, none of which present impossible difficulties ”(ibid).

Quelques années plus tard (1916 – 1918), le britannique Lewis Fry Richardson21

développa des techniques de prévisions pour résoudre les équations du mouvement atmosphérique. En utilisant crayons, papiers, règles de calculs et tables logarithmiques, il calcula manuellement les changements dans la pression et le vent en deux points, à partir d’une analyse de l’état de l’atmosphère à 7.00 GMT, le 20 mai

1920. Sa méthode22 de résolution des équations du mouvement atmosphérique, les

calculs et sa prévision furent décrits dans un ouvrage Weather Prediction by Numerical

Process (WPNP) publié par Cambridge Press en 192223.

Dans la préface de cet ouvrage, Richardson n’hésitait pas à rappeler la dette qu’il avait envers Bjerknes: “The extensive researches of V. Bjerknes and his School are pervaded

by the idea of using the differential equations for all that they are worth. I read his volumes on Statics and Kinematics soon after beginning the present study, and they have exercised a considerable influence throughout it” (Richardson, WPNP, 1922, preface). Pour résoudre

le problème posé par Bjerknes, Richardson a supposé que l'état de l'atmosphère à n'importe quel point pouvait être spécifié par sept chiffres : pression, température, densité, teneur en eau et vitesse vers l'est, vers le nord et vers le haut. Il a ensuite formulé une description de l'atmosphère en termes de sept équations différentielles. Pour les résoudre et les simplifier, il a considéré qu’il était nécessaire de partir d’une situation météorologique avec un nombre important de données terrestres et

21 Depuis 1997, la médaille Lewis-Fry-Richardson est une récompense offerte par la Société Européenne

de Géophysique) pour une contribution exceptionnelle à la géophysique non linéaire.

22 “Whereas Prof. Bjerknes mostly employs graphs, I have thought it better to procede by way of numerical tables. The reason for this is that a previous comparison of the two methods, in dealing with differential equations, had convinced me that the arithmetical procedure is the more exact and the more powerful in coping with otherwise awkward equations” (Richardson, WPNP, 1922 p. viii).

23 A peine trois ans après la publication de la théorie des fronts météorologiques et de la cyclogénèse des

d’altitude sur l’ensemble du globe. Richardson a découpé le globe en une grille rectangulaire de 200 km2, ce qui donnait 32 000 colonnes sur la carte complète du globe. Il a ensuite estimé 2000 colonnes de calcul actives pour la planète (Heidorn, 2004) et imaginé que pour des pas de temps de trois heures, il faudrait 32 personnes (qu’il appelle « computers ») pour effectuer deux calculs pour chaque point de la carte afin de suivre les changements climatiques.

Figure 7 : Map Grid de Richardson

Source : Richardson (1922)

Ainsi (32 x 2000), 64 000 personnes (individual computers) étaient nécessaires pour que la prévision soit émise avant que l’événement n’intervienne : "Imagine a large hall like a

theater except that the circles and galleries go right round through the space usually occupied by the stage. The walls of this chamber are painted to form a map of the globe. The ceiling represents the north polar regions, England is in the gallery, the tropics in the upper circle, Australia on the dress circle and the antarctic in the pit. A [sic] myriad computers are at work upon the weather of the part of the map where each sits, but each computer attends only to one equation or part of an equation. The work of each region is coordinated by an official of higher rank. Numerous little ‘night signs' display the instantaneous values so that neighbouring computers can read them… From the floor of the pit a tall pillar rises to half the height of the hall. It carries a large pulpit on its top. In this sits the man in charge of the whole theatre; he is surrounded by several assistants and messengers. One of his duties is to maintain a uniform speed of progress in all parts of the globe. In this respect, he is like the conductor of an orchestra in which the instruments are slide rules and calculating machines. But instead of waving a baton he turns a beam of rosy light upon any region that is running ahead of the rest, and a beam of blue light upon those who are behindhand " (Richardson, WPNP, 1922). D’une

certaine manière, on peut considérer que Richardson essaya de montrer que le calcul permettait d’effectuer des prévisions météorologiques à une époque où les calculateurs électroniques n’existaient pas encore, un avènement qu’il appelait de tous

ses vœux: « Perhaps some days in the dim future it will be possible to advance the computations

faster than the weather advances and at a cost less than the saving to mankind due to the information gained. But that is a dream “ (Richardson, WPNP, 1922, p. vii). Il faudra

attendre les années 40 pour que le rêve de Richardson voit le jour. En 1945, le mathématicien américain d’origine hongroise, John Von Neuman fait de la météorologie son demain de prédilection. Engagé dans les simulations d’explosion de l’arme nucléaire, Von Neuman considère que la modélisation du climat peut mener à un contrôle du temps, qui pourrait être lui-même utilisé comme une arme de guerre. Ainsi « Soviet Harvest, for example, might be ruined by a U.S induced drought » (Randall, 2000, p. 69). Avec des fonds de l’US Weather Bureau, de la Navy et de Air Force, Von Neumann parvient à réunir un groupe de météorologistes à l’Institut for Advanced Study (IAS) de Princeton. En 1946, le Meteorological Project est ainsi lancé. Jule Charney, un météorologue de l’énergie qui a travaillé avec Carl Gustaf Rossby (Université de Chicago) et Arnt Eliassen (Université d’Oslo) est invité à prendre la direction du projet. Ce dernier fit sa première prévision opérationnelle du temps sur un ENIAC en 1950 (Harper, 2008). Le modèle reposait sur une division de l’atmosphère en un ensemble de cellules (en réseau) et employait des méthodes de différence finie pour résoudre numériquement des équations différentielles. Les prévisions de 1950, couvrant le Nord des Etats-Unis, utilisaient un maillage à deux dimensions avec 270 points sur 700 kms. Le pas de temps était de 3heures (comme pour Richardson). Les résultats furent assez bons pour justifier la poursuite du projet (Charney et al., 1950).

L’intérêt scientifique de ces recherches fût double. D’une part, elles ont permis de tester des hypothèses sur les mécanismes climatiques en calculant des prévisions susceptibles d’être confrontées aux données. D’autre part, elles ont permis d’admettre que l’amélioration de la prévision du temps passe par une meilleure compréhension des mécanismes généraux du climat. Cette situation privilégie ainsi les scientifiques de Princeton à développer, à côté des modèles de prévision, des modèles de circulation

générale (Global Circulation Models, GCM) dont l’objectif est de reproduire les

propriétés moyennes des mouvements de l’atmosphère. Ces derniers sont les générateurs des modèles du climat que nous connaissons actuellement. Le premier modèle numérique de circulation générale de l’atmosphère fût proposé par Norman Phillip (1955). Sa méthodologie est basée sur des formulations simplifiées des équations de la dynamique, pour lesquelles il parvenait à reproduire les grands traits de la circulation à l’échelle du globe (courants, jets, dépressions…). Désormais, la circulation de l’atmosphère constitue l’un des thèmes majeurs dans la recherche des météorologues.

Ce succès historique a entraîné une nouvelle ère dans la modélisation du climat avec la convergence entre les modélisations du climat et celles de la prévision du temps. Les modèles météorologiques, d’abord régionaux, puis hémisphériques, deviennent sphériques et sont donc capables de reproduire la circulation de l’atmosphère sur tout le globe. Les modèles de circulation générale sont de véritables modèles du climat, ils

intègrent des représentations de surfaces qui leur permettent de retrouver les températures et de faire des projections à long terme.

Ces modèles de circulation générale (GCM) seront utilisés à la fois pour prévoir le temps et pour étudier le climat. En effet, quel que soit leur utilisation (prévision à court terme ou modélisation du climat), ces modèles ont des fondements similaires. Ils cherchent à simuler les mouvements de l’atmosphère en se basant sur les lois de la physique. Ici, le processus de modélisation comprend deux phases : (1) l’atmosphère est représentée par un maillage à trois dimensions ; (2) l’ordinateur calcule pour chaque maille et à chaque pas de temps, les variables caractérisant l’état de l’atmosphère (température, pression, vent, humidité…) à partir de leur valeur au pas de temps précèdent en résolvant les algorithmes constituants le modèle. Cette deuxième phase suit elle-même deux étapes distinctes : (i) une partie dynamique qui décrit les mouvements des masses d’air dont les algorithmes sont tirés des équations de la mécanique des fluides et (ii) une partie physique décrivant les échanges verticaux entre l’atmosphère et l’espace, et entre l’atmosphère et les surfaces océaniques et continentales.

Tous les éléments qui ne sont pas pris en compte par le maillage, et dont on peut estimer statistiquement leurs effets climatiques tels que les processus physiques (la convection, l’évaporation, la turbulence), chimiques (condensation, précipitations…) ou encore biologiques sont paramétrés.

Ainsi, avec l’avènement du calculateur numérique, météorologues et climatologues parviennent à modéliser la circulation de l’atmosphère terrestre à trois dimensions (3D), en utilisant les lois de la dynamique des fluides et de la chimie de l’atmosphère pour simuler les données météorologiques disponibles sur une grille de calcul et projeter leur évolution dans le temps.