• Aucun résultat trouvé

Hormis le village de Lacroix, les autres centres de La Calle sont-ils en voie de dépérissement ? Ce village a connu la désaffection la plus marquée, du fait de son site défavorisé et de la grande proximité du protectorat. Les autres centres connaissent une évolution moins négative. Nous disposons des relevés effectués par l’administrateur et transmis au sous-préfet en 1927, en réponse à la demande de Maurice Viollette ; ils ne sont pas intégrés dans les tableaux proposés dans l’ouvrage du gouverneur général et nous permettent de mettre en perspective le cas de Lacroix au regard des autres centres de la commune mixte, mais aussi de comparer les villages de La Calle aux autres communes de la colonie30.

Globalement, si la diminution concerne chaque centre, elle est moins marquée que dans les villages du département d’Alger. Les centres dynamiques de Blandan, Yusuf ou encore Le Tarf ont certes perdu la moitié de leurs habitants mais conservent une population européenne de quelques centaines de personnes. Par ailleurs, les commentaires de l’administrateur sur la situation des colons encore présents dans les centres met en évidence leur situation aisée, qui là encore contraste avec les mentions présentes dans les statistiques de l’Algérois. Près de 50 ans après leur création, ces centres regroupent donc des colons stabilisés, impliqués dans les rouages économiques et parfois politiques de la commune.

30

196

Année Blandan Lamy Toustain Lacroix Munier RoumElSouk Le Tarf Yusuf Europ. Alg. E A E A E A E A E A E A E A 1926 198 803 172 322 33 204 62 95 56 434 57 390 267 388 210 761 1931 228 933 240 804 40 251 66 878 29 436 57 396 210 1104 189 619 1936 162 954 190 924 39 277 52 243 18 657 66 351 186 1430 151 684

Tableau 4 La population des centres de colonisation de 1926 à 1931 (ANOM 93302/21 à 26).

Si nous considérons le peuplement européen des huit centres de 1918 à 1936, nous constatons une baisse sensible de la population qui va dans le sens de la désaffection générale des villages. Les départs vers la Tunisie signalés à maintes reprises par les différents administrateurs expliquent partiellement cette situation. Toutefois, à l’exception de Lacroix mais aussi de Munier, les centres de la commune mixte sont moins dépeuplés que les villages algérois décrits dans l’enquête commandée par Maurice Viollette en 1927. La comparaison des situations de peuplement de ces centres montre une relative vitalité des villages situés au Nord de la commune mixte. Nous retrouvons ici la hiérarchie des centres de colonisation qui nous était apparue selon d’autres critères. Le Tarf, Blandan, Yusuf se maintiennent, malgré une diminution du peuplement. Le dynamisme de ces villages dès leur création, leur proximité de la Calle (CPE) et de Bône ainsi que la desserte de cette zone par la route menant de Bône à La Calle expliquent la permanence du peuplement.

La situation du centre de Lamy est plus surprenante. Ce centre, érigé plus tardivement -en 1904- conserve une population européenne supérieure à 170 personnes, et ce malgré son éloignement du siège administratif. Nous sommes donc loin des villages du département d’Alger qui affichent moins de 10 colons. Le peuplement de la commune mixte est relativement préservé. Pour Lacroix et Munier, la déprise est plus nette. Si les colons de Lacroix se manifestent auprès du gouverneur général, ceux de Munier n’ont laissé aucune trace d’une éventuelle mobilisation, à moins que la situation du centre frontalier de Lacroix ait ému davantage Joseph Barris. Il est également préoccupé par la fuite du petit colonat vers la Tunisie, ou encore le Maroc. Sa circonscription est directement concernée par les départs vers le protectorat tunisien où les concessions accordées sont plus étendues ; il ne nous est pas possible de les quantifier.

197

Ceux qui restent

Par ailleurs, toutes les familles ne sont pas concernées par une telle évolution. Intéressons-nous maintenant à ceux qui restent, ces Bastianelli de Lacroix, Cipriani de Toustain, Thivolet de Lamy. Ces colons de la première heure passent leur vie à La Calle et tout ou partie de leurs descendants sont restés dans les villages de la commune mixte. Ils ont parfois agrandi leur patrimoine foncier et occupent quelques responsabilités administratives au sein de la commune.

Prenons le cas de la famille Cipriani. En tant que colon de la première heure, l’immigrant arrivé d’un hameau du sud de la Corse est soutenu par Joseph Barris. En 1928, le délégué de colons relate son histoire, qui témoigne une fois encore des difficultés des petits propriétaires à la fin des années 192031. Quelques éléments de biographie retiennent notre attention ; ils sont complétés par des renseignements épars32. Pierre Cipriani est veuf en 1928. Il est père de 8 enfants ; 3 sont décédés et parmi ses deux fils, l’un est exploitant en Tunisie tandis que l’autre -Joseph- est cantonnier à Toustain. Ses filles ont épousé des agriculteurs dont nous ne connaissons pas le lieu de vie. Au début des années trente, Joseph Cipriani devient adjoint spécial du centre, un centre abandonné par ses premiers habitants selon Barris. En effet, une enquête conduite dans le village en 1933 nous permet de retracer l’évolution de la propriété des colons de Toustain depuis sa création. 17 colons sont cités ici et chacun dispose d’une concession de 30 à 50 ha, soit un peu plus étendue que le chiffre proposé par Joseph Barris. Il est précisé que la terre concédée est de qualité plutôt médiocre. Le document précise ensuite les diverses opérations de vente qui ont concerné chaque concession. Les propriétés ont fait l’objet de trois à quatre ventes successives. Ces changements de mains sont identifiés et les mêmes acheteurs se sont tour à tour partagé les terres du centre de Toustain. Les noms de Mimar, Taillefer, Vergez apparaissent systématiquement dans l’achat des concessions. Enfin le nom de Marcel Borgeaud, dernier acquéreur cité, nous renvoie à l’une des plus riches familles de colons algériens, détentrice de propriétés dans la région bônoise. Au début des années trente, il possède 900 ha dans le centre de Toustain. Cipriani a agrandi son domaine ; sa situation est moins désespéré que Barris ne l’affirme : il possède 92 ha et sa

31ANOM 93302/163, lettre de Joseph Barris du Penher au Gouverneur général Pierre-Louis Bordes, 2 novembre 1928. Cette lettre est intégralement proposée en annexe 3, p.426.

32

198 situation de fortune est aisée. Mimar nous renvoie à une famille d’Algériens dont l’un des membres -Zidane Mimar- acquiert également des terres dans le centre de Lacroix en 1948, pour les louer à des prix très élevés33.