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Les administrateurs adjoints, hommes de terrain de la commune mixte

Quatorze dossiers permettent de saisir quelques caractères de cette fonction31.Les administrateurs adjoints sont nommés par le préfet et assistent l’administrateur principal, espérant un jour accéder à ce grade ultime. Les conditions de leur recrutement sont moins exigeantes que celles imposées aux administrateurs principaux : l’arrêté du gouverneur général du 30 décembre 1876 précise que cette fonction nécessite au moins quatre ans de service et la connaissance de la langue arabe32. Cette fonction est peu explorée. L’administrateur adjoint est envisagé comme un administrateur principal potentiel, en attente de promotion. Pourtant, les missions quotidiennes qui lui sont confiées sont bien différentes de celles de son supérieur et en font un acteur majeur de la gestion de la commune. L’analyse des dossiers de personnels met en évidence trois points remarquables : la diversité du parcoursde ces administrateurs, leur mobilité, les relations de grande proximité avec leshabitants des douars et les colons.

Nous entendons par parcours la formation de ces personnels mais aussi leur expérience professionnelle avant leur nomination. Détenir un diplôme n’est pas un critère de recrutement pour la fonction : certains agents n’en ont aucun tandis que l’un d’entre eux est ingénieur agronome. Par contre, la pratique de l’arabe est fréquente, avec des niveaux divers, attesté par un diplôme ou pas. L’origine professionnelle de ces administrateurs est également variable : certains exercent cette fonction pour la première fois après avoir occupé des postes subalternes dans l’administration (comptabilité, secrétariat) ; d’autres sont plus expérimentés.

Les administrateurs adjoints se montrent particulièrement mobiles, tant sur le plan géographique que par la nature de leurs emplois précédents. Cette mobilité est

31 ANOM 93302/93 Dossier 2. Les dossiers individuels étudiés concernent des personnels recrutés à partir de 1903, soit tardivement au regard de la chronologie de cette partie.

32 Arrêté du gouverneur général du 30 décembre 1876, article 2. Législation de l’Algérie : lois, ordonnances, décrets et arrêté, p. 151

150 également caractéristique de leur mission : ils sont des hommes de terrain. En effet, leur prise de fonction s’effectue dans ou à proximité d’un centre de la commune mixte, en fonction des besoins de gestion. L’administrateur adjoint peut être affecté à une section, mais exercer sa mission dans une autre. Ainsi, la multiplication des incendies dans un douar justifie la mise en place d’un administrateur adjoint pour une fonction de contrôle et de sanction. Il est remarquable que sa résidence ne soit pas systématiquement au sein du centre européen : à la différence de l’administrateur principal, son adjoint n’est pas tenu à l’écart des habitants des douars, ce qui parfois le conduit à refuser son affectation.

Ainsi, Paul Vidil, qui prend ses fonctions en 1911, doit s’installer dans un bordj dans le douar Tarf afin de prévenir les départs d’incendie. Au motif qu’il souhaite s’occuper des colons, il préfère louer un logement dans le centre à ses frais plutôt que d’accepter de résider dans le douar. Sa requête est entendue par l’administrateur33.

Lorsque le mobile de l’affectation est caduc, l’administrateur adjoint est déplacé : quelques mois après son arrivée, Paul Vidil est envoyé à Lamy car la gestion des incendies du Tarf n’est plus prioritaire. Cette mobilité n’est pas toujours justifiée par des logiques de besoin : elle résulte parfois de sanctions prises à l’encontre d’agents défaillants. Les villages situés au sud de la commune sont alors considérés comme des affectations sanctions. Ainsi, Raoul Girardet est détaché à Lamy pour incident, au regret du sous-préfet qui ne soutient pas cette pratique imposée par le gouverneur général34. Ce genre de nomination contribue en effet à marginaliser des portions du territoire de la commune déjà moins dotées que les autres. Les centres de colonisation du sud, élaborés plus récemment, sont éloignés des centres urbains et des voies d’accès. Y affecter des personnels moins compétents ou répréhensiblespeut accroître la propension à l’abus et ainsi nuire à l’ensemble du peuplement et aux Algériens en particulier. Cet éloignement n’a ainsi aucun effet sur les pratiques de M. Girardet : il est accusé d’avoir séquestré plusieurs Algériens dans le jardin attenant au bordj de Lamy car ceux-ci ne voulaient pas vendre ou échanger leurs terrains pour le service de la colonisation. Ce point nous conduit à envisager les relations de ces personnels avec les habitants des douars.

Les dossiers consultés ne laissent entrevoir que les éléments saillants : plaintes, conflits, désaccords. Ils ne font pas état d’un quotidien plus apaisé, de relations sans histoires. Il est donc malaisé d’évaluer la représentativité de ces faits. Pourtant, leur

33 ANOM 93 302/92, correspondances avec l’administrateur Brunati, 1911.

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151 absence dans les documents impliquant les administrateurs principaux nous porte à croire que leurs adjoints sont moins soucieux de préserver des relations pacifiées avec les Algériens. Les faits évoqués relatent à plusieurs reprises des cas de séquestration pour refus d’obéissance et constituent des abus de pouvoir dénoncés par les habitants du douar et sanctionnés par la hiérarchie de l’adjoint.

Ces comportements, pour la période qui nous intéresse, mettent en évidence des distorsions entre les pratiques de l’administrateur principal et celles de ses adjoints. Celui-ci, plutôt préoccupé par la cohésion dans sa commune, n’hésite pas, à ce titre ou par conviction personnelle, à prendre la défense des habitants des douars, notamment pour des questions foncières. Les comportements délictueux de ses adjoints sapent cette volonté de cohésion et contribuent à entretenir des résistances dans les marges de la commune mixte. Celles-ci constituent alors des enclaves, des espaces véritablement sous-administrés ; l’éloignement est certes un facteur important, mais ce sont surtout les pratiques particulières des administrateurs adjoints en contradiction avec celles de l’administrateur principal qui contribue à l’isolement de ces espaces. Ainsi, dans ce cas, c’est l’administration de proximité qui constitue un frein à une gestion unifiée du territoire. Par ailleurs, nous pouvons déduire de cette analyse qu’il n’y a pas un mode d’administrer propre aux représentants de l’autorité métropolitaine, mais des pratiques distinctes qui peuvent s’expliquer, dans le cas des administrateurs adjoints, par un recrutement peu exigeant et surtout, par la nomination de certains agents à titre répressif. Nous avons constaté que la commune mixte comprend des marges, des lieux d’affectation de seconde catégorie ; il faut préciser qu’ils le sont à l’intérieur même de la circonscription mais aussi au regard des communes alentours. En effet, la nomination d’un administrateur adjoint issu d’une autre commune dans un centre de la Calle peut constituer une sanction, comme cela est le cas pour Raoul Girardet. C’est alors la commune mixte toute entière qui est considéré comme un espace répulsif.

L’administrateur adjoint entretient également des rapports directs avec les colons. Cette proximité géographique favorise des comportements familiers à la faveur de l’agent ou à son encontre. Léonce Barry est affecté au centre de Lamy en 1909 en remplacement de Raoul Girardet35. Son investissement dans le centre est apprécié. Les colons s’adressent à l’administrateur car ils souhaitent que Barry soit définitivement affecté dans leur village. Celui-ci n’est pas informé de la démarche et écrit à son tour pour demander de ne pas être

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152 fixé dans ce centre éloigné. Cet épisode témoigne d’une relation de proximité que nous n’observons pas entre les colons et l’administrateur de la commune mixte. La présence de l’agent dans le centre rend son action visible par les colons qui expriment leur satisfaction. A l’inverse, l’un de ses prédécesseurs à Lamy, Eugène Durand, connaît en 1904 une altercation avec le facteur-receveur du centre, M.Cartannaz, et son épouse. Le différend concerne l’usage d’un lavoir que l’administrateur doit réglementer. Une discussion véhémente entre les parties conduit M Cartannaz à indiquer à Durand qu’ « il n’est rien ici » et qu’il n’a aucun ordre à lui adresser36.

Ces deux exemples montrent que les colons ont une bonne connaissance de la hiérarchie administrative de la commune mixte et que pour eux, la proximité ne fait pas toujours l’autorité. L’administrateur de la commune mixte, même absent du quotidien des colons, représente le sommet de la hiérarchie. Ainsi, le lien au terrain ne confère pas à l’administrateur adjoint un supplément de légitimité.