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3. F ACTEURS EXPLICATIFS DU SUCCES DES ESPECES INVASIVES

3.1. Les hypothèses des sciences de la vie

3.1.1. Les caractéristiques des espèces introduites

Il existe deux étapes - non exclusives - pendant lesquelles des espèces peuvent cumuler des traits* biologiques et écologiques qui vont favoriser leurs potentiels d’expansion géographique : elles peuvent être pré-adaptées à s’étendre rapidement et densément et/ou avoir la capacité à s’adapter aux nouveaux environnements dans lesquelles elles sont introduites. Ces deux processus peuvent s’opérer sur les mêmes traits biologiques et peuvent être des processus combinés sur de mêmes populations (ex : Treier et al. 2009 ; Hahn et al. 2012a ; Hahn et al. 2013) mais dans un souci de clarté, nous présentons les deux processus successivement.

3.1.1.1.Hypothèses de la préadaptation

Dès les années 1960, dans un contexte de développement agricole, de nombreux chercheurs ont tenté de relever des traits biologiques particuliers pouvant aider à déterminer quelles espèces végétales avaient de fortes capacités d’expansion et pouvaient constituer « la mauvaise herbe idéale ». Les traits biologiques favorisant l’expansion géographique sont ainsi de bonnes capacités de reproduction sexuée et asexuée, de dispersion dans le temps et dans l’espace, une croissance rapide, un potentiel allélopathique* (Bakker 1955 ; Bakker & Stebbins 1965 ; Bakker

22 1974 ; Sutherland 2004 ; Callaway & Ridenour 2004 ; Barrett 2015). Une grande plasticité phénotypique*, c’est-à-dire une grande capacité à exprimer des phénotypes* différents en réponse à des conditions environnementales variées pour un seul génotype* donné permet aux individus d’ajuster leurs traits biologiques aux nouvelles pressions du milieu. Elle favorise ainsi l’expansion géographique d’une espèce dans un nouvel environnement (Maron et al. 2004 ; Davidson et al. 2011 ; Hahn et al. 2012b ; Knop & Reusser 2012).

La polyploïdie* (la multiplication du stock de chromosomes) est de plus en plus reconnue comme favorable à l’expansion géographique rapide des espèces invasives car elle augmente généralement les moyennes de traits biologiques liés à la croissance (ex : hauteur des plantules et des pieds adultes) et la reproduction (ex : nombre de graines, temps de germination) (Bretagnolle et al. 1995 ; Pandit et al. 2011 ; Beest et al. 2011 ; Hahn et al. 2012b ; Hahn et al. 2013). La polyploïdidation s’opère soit par doublement du génome au niveau intraspécifique (autopolyploïdisation) soit par hybridation* interspécifique suivie d’une duplication du génome (allopolyploïdisation). L’hybridité n’engendre pas forcément d’allopolyploïdisation mais cette dernière permet de la stabiliser.

Les traits biologiques pouvant expliquer l’expansion géographique importante des espèces invasives sont nombreux. Il s’est avéré impossible d’identifier des traits qui conduisent systématiquement à une invasion notamment car la valeur quantifiée de ces traits peut varier en fonction des populations* et car l’avantage compétitif d’une grande partie de ces traits dépend des habitats et des espèces co-occurrentes (Alpert et al. 2000 ; Hayes & Barry 2007 ; Lévêque et al. 2012).

L’ajonc d’Europe cumule à la fois une croissance rapide, une bonne capacité de reproduction sexuée, une grande production de graines et une grande plasticité phénotypique. Il s’agit de plus d’une espèce hexapolyploïde (6 paires de chromosomes, obtenues par hybridation).

3.1.1.2.Hypothèse de l’évolution post-introduction

Le potentiel évolutif permet aux espèces de s’adapter rapidement à de nouvelles conditions biotiques et abiotiques. Il peut induire des changements dans les valeurs moyennes des traits biologiques favorisant l’établissement et l’expansion géographique (Lee 2002 ; Lavergne & Molofsky 2007 ; Lee & Gelembiuk 2008). Les traits les plus étudiés sont ceux liés à la reproduction, la croissance et la défense contre les ennemis naturels. Dans les zones envahies, par rapport aux zones d’origine, des modifications peuvent s’opérer sur des traits tels que l’auto-

23 compatibilité* de la plante (Hao et al. 2010), le temps de reproduction (Barrett et al. 2008), la masse des graines (Buckley et al. 2003 ; Daws et al. 2007 ; Hahn et al. 2013), la production de graines (Henery et al. 2010), la survie des plantules (Blair & Wolfe 2004), le temps d’émergence des plantules (Hahn et al. 2013), le poids et la biomasse des plantules (Henery et al. 2010 ; Hornoy et al. 2011), le taux de croissance (Blumenthal & Hufbauer 2007 ; Hahn et al. 2012a ; Lamarque et al. 2014), la plasticité phénotypique (Fenesi & Botta-Dukát 2012), le pouvoir allélopathique (Yuan et al. 2013).

Ces évolutions génétiques ont été reliées à une perte totale ou partielle des ennemis naturels (prédateurs, pathogènes, parasites, compétiteurs) de l’espèce introduite dans son nouveau milieu. Ceci est particulièrement vrai pour les plantes, qui sont généralement introduites sous forme de graines. Puisque ces ennemis limitaient la taille de la population dans la zone native, leurs pertes peuvent provoquer un avantage immédiat en termes de croissance ou de reproduction, c’est l’hypothèse de la relâche d’ennemis (Keane & Crawley 2002 ; Colautti et al. 2004). En raison de la perte de leurs ennemis naturels, des plantes introduites peuvent aussi évoluer vers une modification génétique de l'allocation* des ressources allouées à la défense vers la croissance, la reproduction, et globalement une meilleure compétitivité dans sa nouvelle, c’est l’hypothèse de l’évolution d’un potentiel compétiteur accru (EICA - Evolution of

Increased Competitive Ability hypothesis) (Blossey & Notzold 1995 ; Callaway & Ridenour

2004 ; Joshi & Vrieling 2005 ; Bossdorf et al. 2005). L’hypothèse de la relâche des contraintes génétiques (RGC – Relaxation of Genetic Correlations hypothesis) argue que la relâche d’ennemis naturels conduit à une perte des corrélations génétiques entre les traits d’histoire de vie. Construite à partir des travaux conduits sur l’ajonc, cette hypothèse part du constat que de fortes corrélations phénotypiques d’origine génétiques sont présentes dans la zone native entre le taux d’infestation par les prédateurs des graines et plusieurs traits d’histoire de vie (phénologie de floraison, hauteur des plants, densité des gousses) (Tarayre et al. 2007 ; Atlan et al. 2010). Dans les zones envahies, ces corrélations apparaissent moins fortes, ce qui permet une évolution indépendante des traits et améliore le potentiel adaptatif des espèces introduites (Hornoy et al. 2011). Ensuite, même si les ennemis naturels de l’espèce introduite sont aussi introduits (par exemple dans le cas de la lutte biologique), ils peuvent être moins efficaces voire avoir un effet opposé (Catford et al. 2009).

Des adaptations évolutives* génétiques peuvent avoir lieu pour tout trait propice sous le nouveau régime de sélection des facteurs abiotiques. En particulier, une adaptation aux nouvelles conditions climatiques locales (température, précipitation, saisonnalité) peut être

24 essentielle pour permettre la naturalisation et concoure dans certains cas à augmenter l’invasiveness*. A titre d’exemple, le Scenecio squalidus (le séneçon luisant) a développé dans le sud de l’Angleterre une plus grande tolérance aux conditions de sécheresse et aux températures élevées que ceux introduits en Ecosse (Allan & Pannell 2009).