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Augmentation de la taille de la banque de graines d’ajonc dans les zones envahies

Figure 4-1 – Dispositif de terrain au sein et à l’extérieur des peuplements d’ajonc d’Europe

3. R ESULTAT ET DISCUSSION

La densité moyenne du nombre de tiges par mètre carré n’est pas différente entre la France (3,7±1,14 tiges/m²) et la Nouvelle-Zélande (4,0±2,32 tiges/m²) (figure 4-2a). Elle est en moyenne beaucoup plus élevée à La Réunion (10,9±6,5 tiges par m²), même si la différence avec les autres régions n’est pas significative, probablement en raison de la faible puissance statistique de notre analyse (n=6 populations par région).

La hauteur moyenne des individus adultes est également similaire entre la France (205±49 cm) et la Nouvelle-Zélande (252±29 cm) (figure 4-2b). Elle est en revanche significativement plus faible à La Réunion, où les individus atteignent en moyenne 152±29 cm. Ces résultats confirment ceux de Hornoy (2012) qui n’a pas mis en évidence de différence significative sur la hauteur des plantes adultes d’ajonc entre zones d’origine et zones envahies. La plus petite taille des plantes de La Réunion peut s’expliquer par leur présence à des altitudes beaucoup plus élevées que dans les deux autres régions et par la corrélation fréquente trouvée entre altitude et hauteur de la végétation. Les hauteurs maximales des individus de chaque région sont 374, 392 et 341 cm respectivement pour la France, la Nouvelle-Zélande et La Réunion.

La surface basale n’est pas significativement différente entre La France (2164±677 mm2 m- 2) et La Réunion (2535±1542 mm2 m-2) mais est près de deux fois supérieure en Nouvelle- Zélande (4542±1389 mm2 m-2) (figure 4-3c). Les différences sont tout autant significatives pour la biomasse, calculée à partir de la surface basale. La Nouvelle-Zélande produit donc des plantes plus massives que celle des deux autres régions.

104 Le nombre de graines par gousse n’est pas significativement différent en fonction des régions (4,1±0,3 en France ; 3,6±0,8 en Nouvelle-Zélande ; 3,8±0,5 à La Réunion). Il est cependant difficile d’en déduire que l’ajonc d’Europe est aussi fécond entre la zone d’origine et la zone native car le nombre total de gousses par individu n’a pas été mesuré.

Figure 4-2 – Caractéristiques principales des peuplements et de la taille de la banque de

graines d’ajonc d’Europe (Ulex europaeus) en France (FR), Nouvelle-Zélande (NZ) et Réunion (LR). Les valeurs sont les moyennes ± écart-type des six populations par région. Les lettres indiquent les différences significatives entre région pour P<0,05.

La densité de graines dans le sol est significativement beaucoup plus élevée pour les deux régions envahies (respectivement 11870±7953 et 17404±9549 graines/m² pour la Nouvelle- Zélande et La Réunion) par rapport à la zone d’origine (1253±901 graines/m²). En d’autres

105 termes, le nombre de graines dans le sol est respectivement 13,9 fois plus élevé à La Réunion qu’en France et 9,5 fois plus élevé en Nouvelle-Zélande qu’en France (figure 4-2d). Les valeurs de densité de la banque de graines relevées sont cohérentes avec la gamme de valeurs reportées dans de précédentes études, à la fois dans les zones envahies i.e. 200–37000 graines/m² (Moss 1959 ; Ivens 1978 ; Zabkiewicz & Gaskin 1978 ; Rees & Hill 2001) et pour la zones d’origine, i.e. 503–1312 graines/m² (Puentes et al. 1988 ; Mitchell et al. 1998 ; Gonzalez et al. 2010). De façon similaire à notre étude, Herrera et al. (2011) ont observé que la taille de la banque de graines de Genista monspessulana est 15 fois supérieure dans la région envahie par rapport à la zone d’origine. Dans leur étude, la densité des graines dans le sol est corrélée à une plus grande hauteur des adultes, une plus grande densité des tiges et des diamètres de tige supérieurs. Dans le cas de l’ajonc, seules les populations de Nouvelle-Zélande ont une biomasse plus importante que dans la zone native, ce qui suggère que ce trait ne permet pas d’expliquer entièrement les différences de densité de banque de graines. En revanche, la densité de la banque de graines semble corrélée aux taux de prédations de graines moyens rencontrés dans les trois régions. Le taux de prédation est en effet de l’ordre de 60-80% en France, 35% en Nouvelle- Zélande et nul à La Réunion (Hill et al. 1991, 1996, 2001 ; Atlan et al. 2010 ; Delerue et al. 2014). La productivité totale de chaque plante n’a pas été mesurée, mais elle peut également entrer en ligne de compte. Notons enfin que la présence des graines dans le sol résulte à la fois de la production de graines et de leur persistance, et que ce deuxième trait peut également varier entre les régions.

En conclusion, les populations d’ajonc des zones envahies étudiées, la Nouvelle-Zélande et La Réunion, possèdent des banques de graines de densité bien plus élevées que dans la zone native étudiée, la France métropolitaine. Aucun paramètre mesuré sur la structure des peuplements (densité des tiges, hauteur, biomasse) n’est apparu significativement différent entre zones native et envahies, même si ces traits varient entre régions et entre populations. Ainsi, même si des analyses statistiques complémentaires sont nécessaires pour conclure, ces éléments ne semblent pas soutenir l’hypothèse d’une production nette de graines plus importante due à des individus plus grands ou plus nombreux. A l’inverse, l’absence totale (à La Réunion) ou la moindre efficacité (en Nouvelle-Zélande) des prédateurs de graines contribue plus probablement à expliquer cette forte présence de graines dans le sol. D’autres hypothèses ne peuvent toutefois à ce stade pas être rejetées, notamment la production d’une plus grande quantité de graines par unité de biomasse et des capacités d’accumulation dans le sol ou de dispersion différentes.

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SYNTHESE DES DIFFERENCES OBSERVEES ENTRE

LA FRANCE ET LA REUNION

Les études conduites ont permis de faire ressortir à la fois les préadaptations de l’ajonc et des adaptations post-introduction à La Réunion sur plusieurs caractéristiques biologiques favorisant sa capacité à coloniser rapidement de nouveaux sites.

Les traits biologiques liés à la reproduction et à la défense contre la prédation ne sont pas significativement différents entre la France et La Réunion. En revanche, il existe des différences significatives au niveau de plusieurs caractéristiques des graines et de leur densité dans le sol (tableau Synthèse Partie 1). En effet, nous avons mis en évidence une forte densité de graines d’ajonc dans le sol sous les peuplements de La Réunion de l’ordre de 17 000 graines par m² en moyenne, ce qui représente presque quatorze fois plus qu’en France. De plus, les graines d’ajoncs de la majorité des populations de La Réunion ont de très bonnes capacités de germination (taux et vitesse) sur une plus large gamme de températures par rapport aux populations de France et possède une dormance tégumentaire moins importante peut-être liée à une plus faible dureté du tégument, qui leur permettent de germer beaucoup plus rapidement dans les conditions favorables. Ces adaptations pourraient participer à une germination à la fois plus importante et plus rapide et donc à la capacité de colonisation rapide de nouveaux sites.

Certains traits biologiques liés à la croissance varient également entre les deux régions. La hauteur des plantules d’un an est plus importante pour les populations de La Réunion, ce qui peut aussi favoriser une meilleure compétitivité lors de la préemption de sites nouvellement ouverts. Ce trait est reconnu pour être corrélé à la masse des graines, dont la moyenne est aussi plus importante pour les populations de La Réunion. Les plantes adultes de La Réunion sont d’une taille inférieure à celles de France, mais les peuplements pourraient avoir une plus forte densité de tiges.

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Tableau Synthèse Partie 1 – Comparaisons de caractéristiques biologiques de l’ajonc

d’Europe Ulex europaeus entre la France (FR) et la Réunion (LR).

Trait d’histoire de vie Jardin / laboratoire Pop. naturelles Reproduction Début de floraison LR = FR * Durée de floraison LR = FR * Durée de fructification LR = FR * Densité de gousses LR = FR LR = FR Autofécondation LR = FR Graines et dispersion

Graines par gousse LR = FR LR = FR

Masse des graines LR > FR LR > FR Capacité germinative LR = FR Gamme de température de germination optimale LR > FR Vitesse de germination LR > FR 1 Dormance tégumentaire LR < FR Sensibilité à la moisissure LR < FR 1

Banque de graines dans le sol LR > FR

Croissance

Largeur des plants adultes LR = FR LR max > FR max

Hauteur des plants adultes LR = FR LR < FR

Hauteur des plantules (1 an) LR > FR

Densité des tiges LR = FR

Surface basale LR = FR

Biomasse LR = FR

Parasitisme

Parasitisme des gousses LR = FR LR < FR

Parasitisme des tiges LR = FR LR < FR

Concentration en alcaloïdes

quinolizidiniques (défense) LR = FR Sites de ponte par E. ulicis LR > FR Génétique Diversité génétique LR = FR Dépression de consanguinité LR = FR Corrélation Phénotypique LR > FR Génétiques LR > FR

FR max, LR max = valeurs maximales observées à La Réunion et en France * : forte variabilité en fonction des populations

1 : Résultats variables selon les températures de germination

Les éléments étudiés dans le cadre de cette thèse sont en bleu.

Sources : Tarayre et al. 2007 ; Atlan et al. 2010, 2015b ; Hornoy et al. 2011, 2012, 2013a, 2013b ; Hornoy 2012

109 La perte complète des ennemis naturels prédateurs de graines de l’ajonc à La Réunion est apparue comme un dénominateur partagé dans le processus évolutif de plusieurs traits biologiques à travers plusieurs types de mécanismes. Elle agit en effet directement sur la densité de graines dans le sol (Enemy Release and Enemy Reduction Hypothesis), elle permet une diminution des corrélations génétiques (Relaxation of Genetic Correlations Hypothesis) et elle pourrait aussi être impliquée dans l’augmentation de la hauteur des plantules, de la masse des graines et des taux de germination via une réallocation des ressources non utilisées pour la défense (Evolution of Increased Competitive Ability Hypothesis).

Une des questions qui anime tant les scientifiques que les gestionnaires d’espaces naturels et les agriculteurs de La Réunion est de savoir si l’ajonc, aujourd’hui restreint à des altitudes supérieures à 1000 m, a la capacité ou non de s’établir à de plus basses altitudes. Une descente vers de plus basses altitudes est envisageable si l’ajonc y rencontre les conditions favorables à son établissement ou, si ce n’est pas le cas, s’il a la capacité de s’adapter aux nouvelles conditions climatiques rencontrées. Concernant le premier point, le travail de modélisation de la niche climatique de l’ajonc réalisé par Limbada (2015) met en évidence qu’en dessous de 1000 m d’altitude à La Réunion, la probabilité pour l’ajonc de rencontrer des conditions climatiques propices à son établissement est très faible. Concernant le second point, Limbada (2015) met en évidence que les conditions climatiques requises pour l’établissement de l’ajonc sont identiques entre la France et La Réunion, ce qui suggère qu’il ne s’est pas ou peu adapté à de nouvelles conditions climatiques locales. De même, notre étude sur la germination ne soulève l’adaptation que d’un seul trait qui pourrait participer à un établissement à de plus basses altitudes, une germination plus rapide à des températures un peu plus chaudes (20°C). Ces éléments suggèrent qu’il est peu probable que l’ajonc puisse s’adapter à des températures plus chaudes à court ou moyen terme. En conséquence, dans les zones où ce sont les températures qui limitent l’expansion de l’ajonc vers de plus basses altitudes, il est peu probable qu’il descende.

Les caractéristiques biologiques différentes de l’ajonc entre la France et La Réunion conduisent à des dynamiques d’expansion géographique différentes. Dans l’île, du fait de la grande quantité de graines produites, de la rapidité de germination et de la croissance plus rapide des individus, l’ajonc s’étend géographiquement très probablement plus densément et plus rapidement. Par voie de conséquence, ceci peut contribuer à rendre le contrôle de la plante plus

110 difficile à La Réunion par rapport à la France. Ces éléments pourraient participer à expliquer les différences de discours publics portés sur l’ajonc entre les deux régions.

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PARTIE

2

SYNERGIE DE FACTEURS NATURELS ET

HUMAINS DANS LEXPANSION GEOGRAPHIQUE

DE LAJONC A LA REUNION

Cette partie a pour objectif d’analyser l’histoire de la dynamique d’invasion de l’ajonc sur l’île de La Réunion depuis ces usages dans la zone d’origine, en France jusqu’à son expansion actuelle. Elle vise à mettre en relation à la fois ses caractéristiques biologiques et ses exigences écologiques, les caractéristiques physiques des milieux naturels, les usages et pratiques humaines et les modifications successives des statuts politiques et économiques des espaces envahis.

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CHAPITRE 5

Evolution des usages de l’ajonc en zones