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Dans le cadre de cette partie 3, visant à reconstruire l’évolution du discours porté sur l’ajonc, j’ai choisi d’utiliser le terme de statut social public. Il convient ici de revenir sur le choix de ce terme parmi la variété de concepts mobilisés par les sociologues et les anthropologues, notamment les concepts de perceptions et de représentations.

Le concept de perception est polysémique et a été défini par plusieurs champs disciplinaires (psychologie, sociologie, …). En sociologie, il fait généralement référence à la sensibilité des individus pour appréhender le monde, à la première étape pour identifier une chose ou une question mais peut aussi s’employer comme un synonyme de représentation sociale (Mougenot & Roussel 2006). Pourtant, selon Thiann-Bo Morel et Duret (2011), travaillant sur la construction sociale des espèces invasives à La Réunion, ces deux concepts sont diamétralement opposés : contrairement à perception, le concept de représentations sociales, défini par Abric (2003, 2011) et Jodelet (2003), insiste sur la nature du lien entre l’objet et le sujet, possède un soubassement collectif, justifie et oriente choix et conduites et est le fruit d’une construction par un système cognitif intégré dans un système de valeurs. A son tour, Javelle et al. (2006) refusent le terme de représentation collective ou sociale dans son étude sur l’invasion par Prunus serotina en forêt de Compiègne, du fait que l’espèce n’a pas de visibilité sociale. A travers ces travaux, il nous apparait que les termes de perception et de représentation s’apparentent davantage à un résultat sur la nature du lien entre l’espèce et la société. Or, dans le cadre de notre étude, nous ne postulons pas de lien a priori entre l’espèce et la société, ce qui rend inappropriée la mobilisation de ces concepts.

Dans les études en sciences de la vie, le terme statut est généralement utilisé dans deux contextes. Premièrement, le statut fait référence à l’origine biogéographique de l’espèce par rapport au lieu d’étude, on parle alors par exemple de statut indigène (l’espèce est présente dans le milieu sans intervention de l’humain) ou de statut exotique (l’espèce a été introduite, volontairement ou involontairement par l’homme) (Gargominy et al. 2014). Deuxièmement, le statut fait référence au cadre juridique et est ainsi lié à des actions à mettre en œuvre. C’est le cas par exemple des statuts de conservation accordés aux espèces par l’UICN, par exemple espèce en danger, espèce menacée, espèce disparue. Dans sa définition sociologique, le terme

180 de statut comporte plus de complexité que ces aspects matériels et juridiques. Il correspond à la place que peut prendre un individu ou un groupe – et dans notre cas un non-humain – dans le système social considéré à un moment donné (Linton 1945). La notion de statut englobe alors les attitudes, les valeurs, les comportements que la société assigne aux personnes occupant le dit-statut (Linton 1945 ; Merton 1968 ; Rui 2014).

Le concept de statut n’a pas le désavantage des concepts précédents, il ne postule pas de liens a priori entre l’espèce et les collectifs d’acteurs. Le concept de statut possède également d’autres avantages. Il est lié aux attributs de l’individu ou de l’objet. Il permet ainsi de relier les caractéristiques intrinsèques de l’espèce à la place qu’elle occupe dans le système social et donc de faire le lien entre la dimension naturelle et la dimension sociale des espèces invasives. Selon Di Piazza (1995) dès que l’homme « ôte les plante de leurs environnements pour les inclure

dans son bagage culturel ou son bagage à main, il s’efforce de leur attribuer un nouveau statut, celui de produit social ». Cet élément est très intéressant dans le cadre de démarches

interdisciplinaires telles que pratiquées dans la présente thèse unissant rôle des humains dans l’expansion géographique et rôle des humains dans la catégorisation des espèces. Ensuite, le statut peut être rendu public (par exemple par des normes ou des publications académiques) et engager des actions. Le concept de statut permet ainsi de faire le lien entre les discours et les actes. De plus, le concept de statut permet aussi de porter une attention aux rôles attribués à l’espèce par les instaurateurs et promoteurs des statuts, « ce que l’individu doit faire pour

valider sa présence dans ce statut » (Linton 1945), ou plutôt ce qu’ « il est attendu que l’individu fasse » (Merton dans Bélanger & Mercier 2006).

Dans le cadre de ma thèse, les définitions de « statut » choisies et utilisées sont les suivantes : Statut social : La place que peut prendre un individu ou un groupe – et dans notre cas un non-humain – dans le système social considéré à un moment donné.

Statut social public ou publicisé : Le statut social d’un humain ou d’un non-humain rendu public c’est-à-dire qui est publié, communiqué, diffusé à l’attention du grand public ou d’un groupe social en particulier. On peut aussi parler de statut officiel.

Statut social public juridique : Le statut juridique est un statut social qui fait l’objet d’une norme, et qui est par ce biais rendu public.

Statut social public scientifique : Le statut scientifique est un statut social qui fait l’objet d’une définition scientifique et qui est par ce biais rendu public.

Statut social silencieux : Statut social qui n’est pas rendu public, qui n’est pas publicisé, (Linton parle de statut latents, Merton de statut secondaire, Hughes de statut subordonnés).

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CHAPITRE 7

Percées du statut d’espèce invasive de