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3. F ACTEURS EXPLICATIFS DU SUCCES DES ESPECES INVASIVES

3.1. Les hypothèses des sciences de la vie

3.1.2. Les caractéristiques du milieu récepteur

Les facteurs affectant la vulnérabilité du milieu récepteur aux invasions peuvent être appréhendés du niveau régional au niveau micro-local (Milbau et al. 2008). Au niveau régional, de 100 à 1000 km, le climat est principal facteur explicatif de la distribution des espèces, y compris des espèces exotiques (Ibáñez et al. 2009). A l’échelle locale, de 10 à 1000 m, c’est le type d’écosystème et en particulier la disponibilité des ressources qui détermine les espèces pouvant s’établir. Toutefois, selon Theoharides & Dukes (2007), c’est majoritairement à un niveau intermédiaire, entre 10 et 100 km, que le processus invasif s’opère. C’est en effet à cette échelle que les conditions de nouvelles colonisations sont générées par le changement d’usage des terres, les défrichements, les plantations, l’urbanisation, l’abandon des terres. Dans cette partie, nous présentons des hypothèses explicatives de l’expansion géographique rapide des espèces invasives testées aux échelles locales et intermédiaires.

L’hypothèse de la niche vacante (Hierro et al. 2005) est liée à la disponibilité en ressources dans le milieu. Cette hypothèse a des points communs avec ce que nomment Johnstone (1986) « les fenêtres d’invasion », Shea & Chesson (2002) l’« hypothèse de l’opportunité de niche », Davis et al. (2000) l’«hypothèse de la variabilité de la disponibilité des ressources » et Richardson & Pyšek (2006) « l’hypothèse de l’augmentation de la disponibilité des ressources », bien que ces dernières portent leur attention sur les fluctuations des ressources dans le temps et dans l’espace.

Le mécanisme invoqué sous l’hypothèse de la niche vacante est lié à l’hypothèse inverse de la résistance biotique (Elton 1958 ; Alpert 2006) stipulant que dans un écosystème à richesse spécifique élevée tous les types de ressources sont déjà utilisés par les espèces natives et les relations interspécifiques sont décuplées, ce qui augmente la probabilité d’un compétiteur ou d’un prédateur pour l’espèce introduite. Les communautés présentant une grande richesse spécifique seraient donc plus résistantes aux invasions que celles disposant d’une richesse spécifique faible. Inversement, une niche écologique vide ou vacante est définie par la présence de ressources non utilisées par les espèces présentes mais potentiellement utilisables par d’autres espèces (sous-entendu celles qui sont introduites) et par moins de relations de

25 compétition (Alpert et al. 2000). Une espèce introduite qui a les capacités d’utiliser ces ressources disponibles pourra s’étendre sans être trop limitée par des relations de compétition pour la ressource en question. Toutefois, des milieux très diversifiés peuvent être envahis (Beisel & Lévêque 2010), et, dans les milieux insulaires, la richesse en espèces natives n’est pas apparue comme un bon prédicteur du nombre d’espèces invasives (Kueffer et al. 2010). En fait, il ne s’agit pas que d’une question de richesse spécifique, mais surtout de richesse fonctionnelle : une espèce introduite a plus de chance de devenir invasive si elle est différente sur le plan fonctionnel des espèces déjà présentes dans la communauté d’accueil (Vitousek et al. 1997 ; Callaway & Ridenour 2004 ; Hierro et al. 2005 ; Emery 2007).

Certains milieux sont reconnus pour comporter plus particulièrement des niches vacantes, des ressources non utilisées. C’est par exemple le cas des milieux insulaires où des familles entières de plantes peuvent être absentes, et donc aussi des groupes fonctionnels par exemple, des espèces fixatrices d’azote, des espèces avec des teneurs particulièrement riches en sucre ou en lipides (Kueffer et al. 2010). Les milieux fréquemment perturbés par des évènements naturels (ex : incendie, tempête, cyclone) ou par les activités humaines (ex : aménagement, agriculture, déforestation, incendie) peuvent conduire à la création de nouvelles niches vacantes et donc des ressources disponibles, soit parce que les espèces natives mettent du temps à recoloniser les habitats (ce qui laisse de la place libre et limite la compétition), soit parce qu’elles ne sont pas adaptées aux nouveaux régimes de perturbations et déclinent (Hierro et al. 2005 ; Chytrý et al. 2008). On parle alors aussi de l’hypothèse de la chaise vide, c’est-à-dire que la niche n’était pas vacante mais le devient (Beisel & Lévêque 2010).

Dans un contexte de forte perturbations, les espèces natives peuvent être ainsi supplantées par des espèces introduites ayant de plus grandes capacités de croissance, de reproduction de dispersion, ou étant tout simplement mieux adaptées aux régimes de perturbations et aux nouvelles configurations de l’habitat (Catford et al. 2009). En d’autres termes l’expansion des espèces introduites et la raréfaction des espèces natives ne s’impliquent pas forcément l’un l’autre par relation de cause à effet, il peut seulement s’agir de deux phénomènes corrélés.

La composition et la structure spatiale du paysage, en interaction avec les traits biologiques des espèces introduites, peuvent également influencer les capacités d’expansion géographique d’une espèce invasive. Par exemple, Melbourne et al. (2007), le fait qu’un habitat soit fortement hétérogène peut favoriser l’expansion d’une espèce invasive en raison de la grande variabilité des niches disponibles (hypothèse de l’hétérogénéité environnementale). Vilà et Ibanez (2011) ont montré dans leur synthèse que les espèces exotiques sont davantage

26 présentes et plus abondantes au bord de fragments d’habitats qu’à l’intérieur, et que les fragments plus petits et isolés sont plus concernés par les invasions que les grands patchs interconnectés. Ceci confirmerait le fait qu’un paysage plus hétérogène est plus perméable aux invasions. L’effet des corridors sur l’expansion des espèces invasives est controversé. Selon Muthukrishnan et al. (2015) par exemple, cela joue un rôle fondamental tandis que pour Damschen et al. (2006) et Bartuszevige et al. (2006) cela joue un rôle négligeable. Leur effet dépend in fine de leur connexion avec des sources d’espèces exotiques ou invasives, du type de corridors et des capacités de dispersion de l’espèce concernée (Vilà & Ibáñez 2011).

Globalement, selon Vilà & Ibáñez (2011), il apparait que la configuration du paysage (bordures, corridors) est de première importance pour la présence et l’établissement des espèces exotiques tandis que les facteurs à l’échelle locale (structure de la communauté, végétation, ressources) sont des éléments clés pour la croissance des populations.