• Aucun résultat trouvé

Etudes complémentaires préliminaires : masse et téguments des graines d’ajonc

3.2.2. Description anatomique du tégument d’ajonc

Le tégument des graines d’ajonc est composé de trois couches de tissus différents et atteint une épaisseur moyenne de 79.41±1.91 µm (moyenne ± ET) (figure 3-4). Du plus externe au plus interne se trouve :

- Une couche de cellules palissadiques (ou cellules de Malpighi). Les cellules sont allongées, ont des parois épaisses et sont compactées entre elles. Elles sont recouvertes sur la face externe d’un très mince revêtement cuticulaire qui n’a pu être distingué. L’ensemble correspond au tissu le plus épais avec une moyenne de 56.81±6.44 µm. - Une couche de cellules dites « en sablier » ou « en osselet » présentant de larges espaces

intercellulaires de taille variable. Ce tissu a une épaisseur moyenne de 14.78±5.12 µm. - Un tissu parenchymateux lacuneux constitué de cellules fuselées plus ou moins imbriquées ne permettant pas de définir le nombre d’assises cellulaires le composant. Il correspond au tissu le plus fin, avec une largeur moyenne de 7.19±1.91 µm.

Figure 3-4 - Coupe transversale de graine d’ajonc (population RCF) observée au microscope

94 3.2.3. Effet de l’origine sur la structure tégumentaire

L’effet de la région et l’effet du type n’ont été significatifs ni sur l’épaisseur totale du tégument, ni sur les épaisseurs de chacune des couches tissulaires (tableau 3-4).

Tableau 3-4 - Résultat de l’ANOVA testant les effets hiérarchisés a) de la région, de la

population et de la graine et b) du type, de la population et de la graine sur l’épaisseur des différents tissus tégumentaires des graines d’ajonc d’Europe, Ulex europaeus (N = 45).

N = nombre de graines, ddl: degré de liberté; R²: proportion de variance expliquée par le modèle. Les effets significatifs (P < 0.05) sont mis en gras.

La population a un effet significatif sur le tégument interne, c’est-à-dire sur le tissu parenchymateux. Pour l’épaisseur des autres tissus, ainsi que pour l’épaisseur totale du tégument, la variabilité inter-populations a également été observée (figure 3-5). Le niveau graine a un effet significatif sur la couche de cellule en sablier et sur la couche de cellules palissadiques et sur l’épaisseur totale du tégument (tableau 3-4).

a) Parenchyme lacuneux en sablier Cellules palissadiques Cellules Totale

ddl F P F P F P F P Région 1 1,15 0,343 0,62 0,474 1,71 0,261 3,68 0,128 pop (région) 4 14,63 <10-3 2,30 0,075 1,11 0,365 1,34 0,271 graine (pop (région)) 40 1,36 0,113 5,12 <10-3 7,07 <10-3 5,12 <10-3 R² 0,60 0,74 0,78 0,73

b) Parenchyme lacuneux en sablier Cellules palissadiques Cellules Totale

ddl F P F P F P F P

type 1 1.58 0.277 1.24 0.328 0.09 0.777 1.80 0.251 pop (type) 4 13.75 <10-3 2.07 0.103 1.55 0.205 1.77 0.154

graine (pop (type)) 40 1.36 0.113 5.12 <10-3 7.07 <10-3 5.12 <10-3

95

Figure 3-5 - Largeur totale du tégument et largeur des différents tissus en fonction des

populations (moyenne ± écart-type). Les lettres indiquent les résultats du test de Duncan (p = 0,05)

3.3. Discussion

Ces deux analyses complémentaires ont permis de mettre en évidence d’autres caractéristiques des graines d’ajonc variables au sein et entre la France et La Réunion, ce qui permet d’étayer la stratégie de colonisation de l’ajonc dans la zone introduite. La masse des graines d’ajonc est plus importante à La Réunion qu’en France et pourrait être liée à la plus grande capacité des graines à germer sans scarification pour les populations réunionnaises. Les épaisseurs des différents tissus tégumentaires ne sont pas différentes en fonction des régions et ne semblent pas liées aux différences de taux de germination des graines non scarifiées. En revanche, l'existence de différences significatives entre populations montre que ce caractère a

65 70 75 80 85 90 95 BCC BGO RPP RCF RPE La rge ur (µm ) Tégument entier 45 50 55 60 65 70 BCC BGO RPP RCF RPE La rge ur (µm ) Cellules palissadiques (Malpighi) 5 10 15 20 25 BCC BGO RPP RCF RPE La rge ur (µm ) Cellules en sablier 4 5 6 7 8 9 10 BCC BGO RPP RCF RPE La rge ur (µm ) Parenchyme lacuneux a a a b b b b c a c b a a a a a c a b b a bc b c a a bc a c a b b b b a a a a b ab c a abc bc

96 probablement une variabilité d'origine génétique et peut donc être soumis à sélection. De plus, l’étude du taux de succès des coupes en fonction des taux de germination des graines non scarifiées suggère de façon indirecte une différence dans la structure ou la composition des parois cellulaires des tissus tégumentaires, les rendant plus ou moins perméables.

Les masses des graines d’ajonc de La Réunion sont significativement supérieures à celles de France et n’appartiennent pas à la même catégorie selon la classification de Gutiérrez et al. (1996) dédiée à cette espèce : les graines d’ajonc de France ont une masse dite moyenne, comprise entre 5 et 6 mg et celle de La Réunion, une masse dite élevée, supérieure à 6 mg. Ces résultats sont concordants avec ceux obtenus en jardin expérimental par Atlan et al. (2015) montrant une masse des graines plus importante dans les zones envahies (Réunion et Nouvelle- Zélande) par rapport à la zone d’origine (France et Ecosse). Puisqu’une différence de masse de graines a été observée en jardin expérimental, les adaptations observées sont, pour toute ou partie, d’origine génétique. Toutefois, nos résultats sont contradictoires avec ceux de Buckley

et al. (2003) réalisés à partir de graines d’ajonc en provenance de 15 sites répartis dans 4 régions

envahies (Nouvelle-Zélande, USA, Chili, Sri Lanka) et 4 sites en zone native (en Angleterre et en Ecosse) : ils n’ont mis en évidence aucune différences de masse entre les régions, ni entre zones d’origine et envahies ; même s’ils ont mis en évidence une variabilité intra et inter-sites. L’adaptation de ce trait n’est donc pas systématique dans les zones introduites. Elle dépend très probablement de l’histoire de l’introduction de l’ajonc dans les différentes régions (ex : introduction massive ou réduite, multi-origine ou non, effet de fondation) et des différents facteurs de sélection à l’œuvre dans les zones introduites, ce qui expliquerait aussi la forte significativité de l’effet population. En effet, outre les différences de conditions abiotiques entre les différentes régions envahies qui peuvent jouer un rôle majeur dans la modification des masses de graines (Wulff 1986 ; Easton & Kleindorfer 2009), dans au moins trois des quatre régions envahies étudiées par Buckley et al. (2003) des programmes de lutte biologiques avec plusieurs prédateurs spécifiques de graines d’ajonc ont été effectués (Hill et al. 2008), ce qui n’est pas le cas à La Réunion. Les ajoncs de La Réunion que nous étudions ici sont très particuliers, puisqu’ils ont subi une perte totale d’ennemis naturels sur près de 200 ans, ce qui a pu concourir à une évolution de la masse des graines sous l’hypothèse EICA (Blossey & Notzold 1995).

Des relations significatives entre la masse des graines et les patrons de germination (taux et vitesse) ont été mis en évidence uniquement sous certaines conditions. Dans le cas des graines

97 scarifiées, la masse est négativement corrélée aux taux de germination aux températures froides, mais est positivement corrélée à la vitesse de germination à 20°C. Ces résultats viennent compléter ceux de Gutiérrez et al. (1996) qui après 30 jours de suivi à 20°C n’avaient pas mis en évidence d’effet de la masse de la graine sur la probabilité de germination. En revanche, dans le cas des graines non scarifiées, la masse des graines semble positivement corrélée aux taux de germination à toutes les températures testées (15, 20 et 25°C). Cette relation pourrait s’expliquer soit par le fait que l’embryon dispose de plus de ressources lui permettant de percer le tégument (Gardarin et al. 2011) soit par l’augmentation de la zone de contact avec l’eau en raison de la corrélation probable surface-masse. Elle pourrait aussi être due à la corrélation de ces deux facteurs avec une troisième variable non étudiée ici. En outre, la masse des graines d’ajonc est positivement corrélée à la masse des plantules de 30 jours (Gutiérrez et al. 1996) et Hornoy et al. (2011) ont mis en évidence une différence de taille des plantules d’un an entre zones natives et zones introduites. Une masse des graines pourrait donc participer chez l’ajonc à la préemption rapide des sites envahis. Chez le Cistus ladanifer, les graines plus lourdes sont favorisées après le passage d’un feu (Delgado et al. 2001), l’ajonc étant une espèce pyrophile, il serait intéressant de voir si à La Réunion, la masse plus importante favorise aussi la germination, après le passage, plutôt fréquent, des incendies.

Concernant l’étude tégumentaire, les trois types de cellules mis en évidence dans notre étude sont identiques à ceux mis en évidence par Gehu-Franck (1974) : une couche de cellules palissadiques recouverte d’une très mince cuticule, une couche de cellules en osselets et un parenchyme lacuneux. Cette structure est classique pour les téguments de graines de fabacées. Une variabilité de l’épaisseur du parenchyme lacuneux en fonction des populations a été mise en évidence, mais sans dégager de tendances ni en fonction des régions, ni en fonction des taux de germination ou de moisissures. Aucune variabilité d’épaisseur n’a été mise en évidence au niveau de la couche de cellules palissadiques (cellules de Malpighi) considérée comme une couche particulièrement responsable de l’imperméabilité (Werker 1981 ; Venier et al. 2012 ; Smykal et al. 2014). Il apparaît donc que l’épaisseur des téguments n’est pas un facteur explicatif de la différence des taux de germination des graines non scarifiées entre les deux régions, même si c’est un trait qui varie entre les populations. En revanche, de façon exploratoire, à travers l’analyse du succès des micro-coupes de graines, nos résultats suggèrent une différence dans la structure et/ou la composition des parois cellulaires des téguments les rendant plus ou moins perméables. Une dureté plus importante du tégument pourrait être due à la modification des teneurs des composés phénoliques (subérine) de la paroi secondaire des

98 cellules palissadiques, à la teneur en eau du tégument, ou à une modification de la structure de la cuticule (teneur en cutine) (Thiery 1982 ; Egley 1989 ; Nawrath 2002 ; Smykal et al. 2014).

De plus, plusieurs auteurs ont montré que la dureté du tégument avait un impact significatif sur la fréquence de pénétration des larves parasites en agissant comme une barrière (Thiery 1982 et Thiéry et al. 1994 sur Phaseolus vulgaris ; Boughdad 1986 sur Vicia faba). Chez l’ajonc, ce tégument pourrait aussi avoir ce rôle puisque les gousses sont parasitées jusqu’à 90% par des prédateurs spécifiques dans la zone d’origine, l’ayant d’ailleurs conduit à développer des stratégies d’évitement (échappement et défense) (Tarayre et al. 2007 ; Hornoy 2012 ; Hornoy

et al. 2012). A La Réunion, ces parasites spécifiques ne sont pas présents et aucun autre parasite

ne s’attaque aux graines d’ajonc. L’ajonc à La Réunion aurait pu évoluer vers une perte des défenses en réduisant la dureté des téguments.

Des études seraient à poursuivre pour établir l’existence ou non d’une différence de dureté du tégument entre les graines d’ajonc de zones natives et de zones introduites et en définir l’origine. La mise en évidence d’une couche cireuse hydrophobe sur la cuticule des graines d’ajonc par Gehu-Franck (1974) invite à étudier la variation de ce trait. Les travaux conduits sur d’autres espèces poussent également à étudier la variation mécanique ou physiologique au niveau des points d’entrée d’eau (hile, strophiole) (Egley 1989 ; Karaki et al. 2012 ; Smykal et

al. 2014).

En conclusion, les graines d’ajonc de La Réunion ont une masse plus importante, avec un tégument nécessitant moins de scarification, aussi épais mais possiblement moins dur qu’en France, ce qui leur permet de germer plus vite une fois disséminées et favorise la croissance initiale des plantules. Dans la continuité des études précédentes, ces résultats préliminaires semblent confirmer le potentiel adaptatif de l’ajonc dans les zones introduites sur des traits pouvant favoriser son expansion rapide dans le milieu. Des études complémentaires permettraient d’affiner la compréhension des stratégies de germination de l’ajonc dans les zones envahies, où les forces de sélection sont différentes de la zone native, en particulier dues à l’absence de prédateurs.

99

CHAPITRE 4

Augmentation de la taille de la banque de