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Les autres documents juridiques et/ou comptables

1.4.1.3.1 Les papyri

La documentation papyrologique constitue une source importante d’informations sur l’artisanat lié au travail de l’argile en Egypte antique. En effet, ces contrats et comptes de travail ou de justice, écrits en grec, constituent localement de précieuses références permettant de restituer l’emplacement d’ateliers inconnus par les prospections et les fouilles. Ils offrent également la possibilité de retrouver l’organisation des centres artisanaux ou encore le nom des propriétaires et celui des artisans.

En outre, au-delà de l’Egypte, les données des papyri complètent et donnent une vision d’ensemble sur l’organisation interne des centres potiers et tuiliers du monde romain, ainsi que sur les difficultés qu’ils pouvaient rencontrer. En effet, dans la plupart des autres régions de l’Empire, les documents comptables des ateliers ont pratiquement tous disparus et les quelques exemplaires découverts, notamment en Gaule pour l’Antiquité tardive (Charlier 2004 et notre point 1.4.2.2), apportent des informations très sommaires. Aucun contrat de travail de l’Antiquité tardive engageant un potier ou un briquetier n’est d’ailleurs attesté en dehors de l’Egypte. D’autre part, les papyri illustrent de manière importante les cas de figures présentés dans les recueils de loi précédemment mentionnés et documentent le VIe siècle, qui est une période très mal appréhendée en ce qui concerne les ateliers. Enfin, je présenterai ces documents car ils sont peu connus par les chercheurs travaillant sur la Gaule.

Le Papyrus SB 20.14300.10331 et le Papyrus BGU 19.2819.8332 sont des contrats de location (locatio-conductio) d’un atelier de potiers, datés respectivement du 8 mai 324 et du 29 octobre 442. Ces documents, le premier trouvé à Oxyrhynque et le second à Hermapolis, indiquent que le propriétaire d’un domaine peut louer à un potier, pour une période déterminée, les différents aménagements nécessaires à son travail. En revanche, le Papyrus P. Lips 97333, daté du 25 avril 338, révèle que de tels contrats de location d’atelier peuvent aussi engager un groupe ou une guilde de potiers. Il s’agirait ici d’une guilde ou koinon installée à Hermonthis.

D’autres contrats prouvent que les briquetiers et les tuiliers étaient également liés de la même manière à des propriétaires d’ateliers. Par exemple, le Papyrus Ant. 46.9334 et le Papyrus Dublin 33335 correspondent à un bail pour louer respectivement une briqueterie en 337-338 à Antinopolis et une tuilerie à Arsinoiton Polis, à partir sans doute de juillet 513 (le document est signé du 9 juillet 513). Le premier indique en outre que le propriétaire se charge de fournir de la boue blanche, que l’on doit vraisemblablement traduire par argile blanche.

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http://www.papyri.info/hgv/23713, Mees 2002, 379-380 et Gallimore 2010, 163.

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http://www.papyri.info/hgv/91728 et Gallimore 2010, 163.

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http://www.papyri.info/ddbdp/p.lips;1;97, Mees 2002, 392 et Gallimore 2010, 161.

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http://www.papyri.info/hgv/17195, Mees 2002, 381et Gallimore 2010, 165.

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Le Papyrus Merton 1.044336, contrat du Ve siècle, d’origine précise inconnue, nous apprend pour sa part, que l’approvisionnement en matière première des ateliers pouvait aussi être à la charge des artisans. En effet, ce document correspond à une reconnaissance de dette de briquetiers, qui empruntent des fonds pour acheter de l’argile. La quantité qui leur est nécessaire est assez importante puisqu’ils doivent réaliser avec l’argile ainsi obtenue, deux βαυκάλια de brique, soit environ 6000 briques.

Au-delà de souligner une continuité dans les métiers liés au travail de l’argile lors du VIe siècle et des locations à bail à durée déterminée, les papyri suivant nous énumèrent les différentes structures des ateliers. Ainsi, le Papyrus Lond. 3.0994.11-12337, daté du 24 février 517, nous apprend qu’un propriétaire met à la location à Hermopolites et à un potier, quatre pièces voûtées, un four, un bassin et tous les équipements et structures nécessaires à son travail, dont des outils en bois (Gallimore 2010, 163 et 168). Le Papyrus Cair. Masp. 1.67110, daté du 25 juillet 565338 et réalisé à Aphrodites Kome, concerne trois remises pour le séchage des amphores ou des bassins de préparation de l’argile, un four à amphore, un ou plusieurs tours de potiers, ainsi qu’un four pour préparer la poix destinée aux amphores.

Ce dernier document nous livre aussi plusieurs détails sur les propriétaires de l’atelier et leur organisation. En effet, il est spécifié que les aménagements inventoriés et loués à un certain Aurelius Psais appartiennent à deux sœurs, Hélène et Maria. Toutefois, ces installations ne constituent que la troisième partie du complexe artisanal. Les deux tiers restants dépendent du monastère de Souros à Aphrodito suite à un legs (Wipszycka 2011, 185). On constate donc qu’un atelier peut être divisé en plusieurs parties et ainsi être loué à différents artisans - un groupement de potiers peut ainsi se constituer.

LePapyrus Cair. Masp. 1.67110 atteste aussi l’existence d’une situation rarement mise en évidence par l’archéologie : l’implication de propriétaires ecclésiastiques dans l’artisanat potier, ici les moines de Souros. A ce sujet, E. Wipszycka (2011, 185) mentionne, pour la période comprise entre le IVe et le VIIIe siècle et sans doute par l’intermédiaire de documents similaires, que les monastères de Deir el-Dik, de Deir el-Majma et de Saint Jérémie de Saqqara, en Egypte aussi, possédaient des ateliers, qui ont réalisé des céramiques de table et de service, mais également pour la préparation et la cuisson des aliments (voir aussi les suspicions ou les rares autres attestations d’hommes d’Eglise dans les points 1.4.1.3.2,

1.4.1.4.2, 1.4.2.1 et 1.4.2.2).

Enfin, le Papyrus Cair. Masp. 1.67110 indique que le potier Aurelius Psais doit payer sa location en nature, avec 2400 amphores339 poissées340, même si l’un ou l’autre ou les deux

336 http://papyri.info/ddbdp/p.mert;1;44 et Mees 2002, 384. 337 http://papyri.info/ddbdp/p.lond;3;994 et Mees 2002, 369. 338

http://papyri.info/ddbdp/p.cair.masp;1;67110 ; Mees 2002, 365 ; (Gallimore 2010, 162-163 ; Dixneuf 2011, 194 et Wipszycka 2011, 185-186.

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Les Papyrus CPR X, 39, 10 (443 ap. J.-C.), XIV, 2, 16 (fin VIe siècle / début du VIIe siècle), SB I, 4675, 1 (VIe siècle / VIIe siècle), PSI VIII, 953, 3 (VIe siècle) sont également des contrats pour une certaine quantité d’amphores et celles-ci ne doivent pas présenter de défauts (Gallimore 2010, 173).

propriétaires décèdent. Il devra alors verser son loyer aux héritiers341. Le Papyrus Heid. 5.346342, daté du VIe siècle et d’origine précise inconnue, atteste que des contrats à façon sont aussi réalisés durant cette période, entre des tuiliers et des propriétaires d’ateliers. D’après C. Freu (2013, 293 et note 62), il concerne ici un briquetier, un plintheutès, et son fils qui « s’engagent [vis-à-vis d’un ou de plusieurs propriétaires et] sans doute pour une durée d’un an à fabriquer 160 000 briques ». Ce « loyer-commande » est près de 27 fois plus important que la quantité de briques mentionnées pour le Ve siècle avec le Papyrus Merton 1.044. Le volume d’argile acheté lors du Ve siècle correspondrait à une petite production annuelle ou vraisemblablement à une commande de matériaux pour un chantier.

Les Papyri d’Oxyrhynque 46.1910 à 46.1913 et 65.3804 sont d’un registre autre que les précédents documents. Originaires de la ville éponyme et datés entre 555 et 566, voire du VIIe siècle pour le n°46.1910343, ils correspondent à des extraits de livres de compte concernant le domaine des Apions, la famille la plus importante d’Egypte byzantine (Cheynet 2002 et Freu 2013, 293). Ces papyri démontrent que certains artisans pouvaient être sollicités pour des tâches temporaires : des potiers devaient fournir une quantité peu importante de jarres et des briquetiers, des briques pour réparer des bâtiments (ibid.). D’autres ou les mêmes pouvaient aussi compléter leurs revenus en réalisant des travaux qui n’avaient aucun lien avec l’argile. S. Gallimore (2011, 170) nous apprend par exemple avec le document n°46.1913, aux lignes 16 à 23 et 33 à 35, qu’un potier qui a réalisé 764 amphores vinaires, a été payé en plus pour avoir fait des travaux d’entretien d’irrigation. Cependant ces contrats à la tâche demeurent rares. C. Freu (2013, 293) précise avec « les données des livres de compte les plus complets, [que] les emplois à la tâche étaient minoritaires sur le domaine » des Apions : « en 566 (Papyrus Oxyrhynque 55.3804), sur un total de dépenses de 167 sous d’or, les emplois professionnels recrutés pour des tâches précises représentent moins d’une dizaine de sous ».

Le dernier Papyrus d’Oxyrhynque que nous mentionnerons, le n°16.2055344, est un compte rendu de justice du VIe siècle. Il y est dressé une liste de paysans ou de colons, qui se sont enfuis de leur village suite à des délits. L’un d’entre eux serait parti après avoir volé des briques (Freu 2013, 295, note 77). Avec le Livre XXXIII, 7, 12, 19 du Digeste, il révèle que les matériaux de construction étaient convoités et parfois volés.

Enfin, le Papyrus Lond. Copt. 1.695345, daté des VIe/VIIIe siècles, est un document comptable, de type bordereau d’enfournement. En effet, il enregistre le nombre de poteries (de « bocaux ») qui pouvaient être empilées dans treize fours (Wilford 2008 et Gallimore

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Dans la plupart des cas, les contrats exigent que les amphores soient poissées (Papyrus Oxyrhynque 31, 2570.23-25 (329 ap. J.-C. ; Gallimore 2001, 180) et 14, 1754 (daté de la fin du IVe siècle / Ve siècle ; ibid. : 179, note 131). Ici, le contrat ne le prévoyait pas, même s’il y a sur l’atelier un four pour chauffer la poix.

341 Au verso, trois lignes de texte correspondent aux signatures des trois acteurs concernés par ce bail.

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http://papyri.info/ddbdp/p.heid;5;346 et Mees 2002, 383.

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Ces documents sont cités par Freu 2013, 293 se référant à. Hardy 1931, 122-135 et Banaji, cit (n.5), 201-202. Pour accéder aux textes originaux, en grec, voir http://papyri.info/ddbdp/p.oxy;16;1910 ; http://papyri.info/ddbdp/p.oxy;16;1911 ; http://papyri.info/ddbdp/p.oxy;16;1912 ; http://papyri.info/ddbdp/p.oxy;16;1913; http://papyri.info/ddbdp/p.oxy;55;3804 ou Mees 2002, 372-373.

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http://www.papyri.info/hgv/37931.

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2010, 171-172). Les capacités des laboratoires varient entre 760 et 840 pièces par four pour un total de 10440 vases.

Avant de passer au point suivant, précisons qu’une vingtaine d’autres papyri346 pourraient aussi être examinés afin de bénéficier d’autres exemples sur l’artisanat céramique et tuilier des IVe, Ve et VIe siècles. En revanche, le Papyrus d’Oxyrhynque 50.3595-3597 souligne que les documents présentés s’inscrivent dans une tradition plus ancienne (Pieri 2005, 128

-129 et Dixneuf 2011, 193-195). Ce contrat de bail, d’une durée de deux ans, a été signé le 5 septembre 243 ap. J.-C., pour la location d’un atelier spécialisé dans la production d’amphores vinaires poissées. Riche en détails, il révèle toute l’organisation d’un atelier de potiers en Egypte à l’époque romaine : en plus de l’énumération des structures louées, toute une partie de la chaîne opératoire y est définie, ainsi que le calendrier des différentes étapes de la production347.

1.4.1.3.2 Les ostraca

Les ostraca sont des fragments de céramiques ou de terres cuites présentant des inscriptions faites après cuisson. Nettement moins bien attestés que les papyri, ils renseignent parfois sur l’artisanat lié au travail de l’argile. Certains d’entre eux ont en effet servi à dresser des inventaires de potiers ou de tuiliers. Ils peuvent ainsi être définis comme des bordereaux d’enfournement ou des comptes d’artisans. D’autres sont des reconnaissances de dettes, de travail ou des listes de fournitures.

En Gaule, ces objets sont pour l’instant uniquement attestés sur certains grands groupements d’artisans actifs dès le Haut-Empire348. L’absence de fouilles sur de grands

346

Les papyriBGU 12.2205 ; Flor. 3.314, Herm. Rees 60, Kell. 4.96, Landlisten F 343 ; Lond. 5.1656 ; Mert. 3.125 ; P. Oslo inv. 1525 ; Prag. 1.046 ; Stras. 5.471bis ; SB 01.02137, 01.04675, 18.14021, 20.14712, SPP 08.927 ; Oxyrhynque 01.0158 R, 06.0941{} et 46.2007 ; Stras. 5.486 et 7.677 ; SPP 20.209 ; PS 12.1265 ; SB 03.06266 ; Oxyrhynque 54.3766 ; SB 10.10258 ; Waltzing 3.179 ; Hamb. 1.056 ; Oxyrhynque 31.2579 ; SB 16.12260 ; Oxyrhynque 46.1943, 01.0084, 08.1139, 45.3265 ; SB 04.07668 ; SB 05.08267 et 20.14549 ; Ryl. 4.654 (Mees 2002, 364, 369, 371, 372, 376-377, 378, 379, 380, 384, 385, 386, 389, 390, 392, 393, 395, 396, 400, 403, 404, 405, 406-407).

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Dans le détail, le propriétaire loue toutes ses installations nécessaires pour la fabrication, c’est-à-dire les remises, le four, le tour, la citerne et tous les autres accessoires et outils. Il s’engage également à faire livrer les matières premières que sont l’argile (3 types différents), le combustible, l’eau et la poix.

En contrepartie, le potier doit former annuellement une équipe de travail, comprenant potiers, assistants, maitres-fourniers ; et réaliser une certaine quantité de différents types d’amphore (« quinze mille jarres doubles, de celles qu’on nomme « quatre conges d’Oxyrhynchos » » et en supplément, « cent cinquante jarres doubles et cent cinquante jarres de deux conges ») (Dixneuf 2011, 194). Un calendrier des différentes étapes de fabrication est aussi fixé. L’artisan et ses ouvriers devront à la fin du bail rendre l’ « atelier propre, sans cendres, ni tessons » (ibid.).

Le potier est payé pour des commandes spéciales, celles concernant les « jarres doubles » et de « deux conges », en fonction de lots (de 100), avec de la monnaie et dans d’autres cas, par du vin et du vinaigre. Pour la commande principale, il recevra une certaine somme de monnaie, qui sera donnée par l’intermédiaire de versements mensuels. Une clause indique que s’il était produit plus d’amphores que le chiffre prévu initialement, celles-ci pouvaient être vendues au propriétaire selon ses besoins et selon le prix précédemment négocié – en revanche, les productions annexes de vaisselles et de cuisine ne sont pas mentionnées. Rappelons qu’une telle disposition se retrouve par la suite dans le Digeste, Livre XVIII, 1, 65.

Il est enfin intéressant de relever quelques petits détails concernant les conditions dans lesquelles ce texte a été écrit. Il est en particulier précisé que le potier « s’engage de son plein gré » et que « le droit d’exécution [du bail] est garanti comme il se doit, sans préjudice du montant de ce dont je [le potier] pourrait sembler redevable » (en dernier lieu Dixneuf 2011, 194). Le contrat est écrit à l’initiative du potier, qui passe par l’intermédiaire d’un scribe pour l’écrire car il est illettré. De même, l’artisan s’engage non pas au nom d’un propriétaire, mais envers deux femmes ou enfants, qui sont sous la tutelle d’un homme.

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Marichal 1988 ; Bet et Delage 1993, 324-325 ; Loridant 1997 ; Sireix et Maurin 2000, 21-24 ; Charlier 2004 ; Bémont 2004 ; Picon et Vernhet 2008, 561 ; Gruat et al. 2011, 268 ; Trintignac 2012, 398.

groupements des IVe, Ve et VIe siècles ne permet pas pour l’instant d’en documenter pour l’Antiquité tardive. Néanmoins, il est vraisemblable que cette pratique a perduré, comme c’est le cas en Egypte. En effet, elle est avérée dans les ateliers au moins jusqu’au VIIe siècle puisque deux exemplaires ont été trouvés dans un dépotoir des installations de la Middle Court East du Temple Ouest, à Tehna el-Gebel (Akôris, Egypte ; Dixneuf 2011, 159).

Toutefois pour la période étudiée ici, seul un document est recensé : l’ostracon Bold. 2.2143349, provenant de la région de Thèbes. Daté des IIIe et IVe siècles, il souligne en particulier que les potiers pouvaient s’associer et s’entraider par l’intermédiaire d’un groupement ou d’une guilde, voire d’une corporation (un koinon de potiers ; Gallimore 2010, 161).