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1.4.1.4.1 Les poésies et les fables

Les poésies et fables de l’Antiquité tardive évoquant les métiers et le mobilier liés ou issus du travail de l’argile sont peu nombreuses. Seuls deux textes de Flavius Avianus, auteur de la fin du IVe siècle et du début du Ve siècle, permettent de retrouver une partie de la chaîne opératoire des potiers (Annexe 8).

La plus pertinente pour notre étude est la numéro XLI, La pluie et le vase de terre. En effet, dans l’une des strophes, l’auteur nous fait entrevoir l’étape du tournage, puis celle du séchage des vases sur des aires ouvertes, non protégées : « L’eau qui recouvrait le sol dans une vaste étendue, enveloppa un vase de terre exposé dans un champ. Car l'air, doucement échauffé, fortifie d’abord l’argile qu’a façonnée la roue du potier, et lui apprend à supporter l’approche du feu qui la cuit convenablement »350

.

Cette étape du séchage, pouvant en partie expliquer le mythe des paysans-potiers, n’est jamais attestée ou presque par l’archéologie. Seules les très rares découvertes de vases crus (cf. infra le point 2.1.1) et les observations ethnologiques révèlent cette étape essentielle et systématique dans l’artisanat potier, mais aussi dans tous les autres métiers, où l’argile est travaillée. Comme son contemporain Palladius, Avianus apparaît ainsi informé des problèmes que peuvent rencontrer les potiers : les vases non cuits s’abîment sous les précipitations s’ils ne sont pas protégés de celles-ci et les céramiques crues, si elles sont mises à cuire avant d’être totalement sèches, supportent mal leur passage au feu.

Enfin, Avianus précise encore l’emploi du tour pour réaliser des céramiques dans sa fable XI et, comme dans sa fable XXVII, il fait également référence à un vase en terre cuite

(Annexe 8). Néanmoins, aucun élément ne permettant de comprendre l’organisation des

ateliers du VIe siècle n’y est donné ou sous-entendu. Le poète se sert ici simplement du caractère très courant des céramiques pour que tout à chacun puisse comprendre ses propos et sa morale.

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http://papyri.info/ddbdp/o.bodl;2;2143.

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1.4.1.4.2 Les lettres

La documentation épistolaire est l’une des dernières sources textuelles de l’Antiquité tardive pour aborder les ateliers briquetiers, potiers et tuiliers. Néanmoins, comme les poésies et les fables, peu de ces textes mentionnent l’artisanat analysé ici.

Le plus connu correspond à la lettre 87 de l’évêque de Vienne, Avitus, évêque de 490 à

518351, à son frère, l’évêque de Valence, Appolinaris, mort vers 520. A la fin de cette

correspondance entre ces deux éminents personnages du royaume burgonde352, Avitus demande à son frère de lui envoyer un potier (artificem figulum) expérimenté. Il a en effet besoin de conseils pour construire un four à deux volumes, notamment le laboratoire de celui-ci, ainsi que d’autres sur la fosse de foulage de l’argile.

Cette demande souligne l’utilisation de fours à deux volumes lors du VIe siècle et l’emploi d’animaux dans les ateliers353

. La requête de transfert et de prêt d’ « un habile potier » est assez surprenante car la région de Vienne possède une longue tradition potière354. R. Marti et M. Châtelet se posent ainsi la question de savoir s’il ne s’agit pas d’un changement dans la production ; à moins que ce ne soit pour augmenter ou améliorer la productivité d’un atelier qui fonctionne déjà. Malheureusement, on ne connaît pas la nature des objets qui devaient être cuits dans ce nouveau four.

Toutefois, le fait que la fosse de préparation de l’argile et le four doivent respecter un certain cahier des charges, que seuls apparemment quelques potiers connaissent, pourrait indiquer que l’ « habile potier » réclamé maîtrise la fabrication de céramiques de table et de service particulières. Il serait alors tentant d’y voir les éléments nécessaires à la production de céramiques engobées et habilement poinçonnées car plusieurs ateliers sont bien attestés dans la campagne et aux abords de Valence, qui est l’un des points de fabrication les plus septentrionaux de cette catégorie355, tandis qu’à Vienne une production locale n’est pas pour

351 http://www.sources-chretiennes.mom.fr/index.php?pageid=volume_paru&id=382.

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Ce texte a été étudié par R. Marti (2004, 209) et M. Châtelet (2006, 99). La traduction présentée ici est de B. Delacroix, que je remercie encore vivement, agrémentée de certaines de mes suppositions.

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Leur présence est souvent attestée par la découverte d’empreintes sur des briques ou des tuiles. Toutefois, la mise en évidence de leur rôle dans la chaine opératoire d’un atelier de potiers est exceptionnelle et difficile. L’inventaire de F. Charlier (2011, 100 et 114-115) sur les tuileries d’époque romaine à contemporaine ne recense que des ateliers qui ont fonctionné après les XVIe et XVIIe siècles. F. Dhérent (1993, 11) souligne cette pratique lors du XVIIIe siècle et après.

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Si aucun atelier n’est clairement reconnu à Vienne après la fin du IIIe siècle ou le début du IVe siècle, avec des potiers imitant ou réalisant des céramiques allobroges (Dangreaux 2001, 143 ; Cantin et al 2009, 289, 320), nous avons vu dans le

point 1.2 que la production céramique ne cesse jamais, comme la production locale, qui existe et se maintient quel que soit les événements interrégionaux et régionaux qui affectent un territoire donné. Rappelons également que lorsqu’une région est approvisionnée en quantité importante par une ou plusieurs catégories importée(s), les potiers locaux continuent leur activité, en imitant plus ou moins bien les nouveaux produits, comme au Haut-Empire (Picon 2002b, 350-351).

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Rigoir 1995, 12 ; Mukaï et Rigoir 2006, 114 et Bonnet et al. 2013, 403-406 et 417-418. Ces ateliers assuraient un

En cette fin de lettre, notre échange vaseux à propos d’un ouvrage certes boueux mais nécessaire, exige que tu nous présentes sur le champ un habile potier prêt à nous enseigner les bonnes dimensions pour aménager la chambre supérieure du four ou la proportion de mottes d’argile [vases ou pièces cru(e)s] à y introduire <…> et [les dimensions] de la fosse fangeuse remplie d’argile plastique que le pied de l’animal ramollit et qui sera bientôt cuite [ou utilisée].

In fine autem epistulae, luteo operi, sine quo tamen non transigetur, faeculentus sermo deposcit, ut artificem figulum brevi tenendum e vestigio dirigatis, qui nobis qualibus strui mensuris cribati cenaculum furni vel intra quod spatium fossilis glebae <…> scrobis sordibus saeptae animalium pedibus coctilis caeni glutinum lentari possit.

l’instant avérée. Elle serait en tout cas peu importante.

Cette lettre d’Avitus à son frère illustre aussi les déplacements d’artisans. On s’aperçoit ainsi que les potiers, comme d’autres travailleurs, pouvaient se déplacer ou être envoyé d’une cité à l’autre. Dans le cas étudié ici, les deux agglomérations sont distantes d’environ 70 km.

Il apparaît également que la fabrication des poteries, y compris dans ses aspects les plus concrets (dimensions des structures et le volume de production), fait partie des préoccupations de l’aristocratie et notamment des hommes d’Eglise. Cet intérêt se retrouve dans les papyri et sur certains ostraca, mais aussi parfois dans les estampilles sur les objets en terre cuite (voir infra le point 1.4.2.1).

Une autre lettre, aussi datée du VIe siècle, concerne cette fois un grand administrateur laïc et écrivain italien, Cassiodore, et un certain Sabinianus, vraisemblablement un autre dignitaire impérial356 (Jouanaud 1997, 187). Le premier mentionne que sous son mandat de quaestor sacri palatii, questeur sacré du palais, équivalent d’un poste de ministre, la production de matériaux de construction en terre cuite était (toujours) réglementée et contrôlée par l’administration impériale (ibid. : 183). D’autre part, il nous révèle que les matériaux de construction pouvaient être encore massivement exportés par la mer entre 507 et 511 (Rico 1995, 793, note 56). En effet, il indique que 25 000 tuiles pouvaient être exportées annuellement depuis Portus Licini en Italie vers des destinations qui nous sont inconnues (Cassiodore Variae I, 25357)358.

Cassiodore livrerait aussi dans une autre de ses correspondances ou dans ses mémoires (Vie de Cassiodore, livre IV, 8) quelques éléments sur la chaine opératoire des ateliers, notamment sur la finition des vases : « un pot de terre quelque soin qu’on ait pris de le polir et de l’orner, n’est jamais qu’un pot de terre ». Ce passage confirme ainsi la technique du lissage voir du lustrage sur certaines céramiques du VIe siècle.

1.4.1.5 Conclusion

Les différentes sources littéraires de l’Antiquité tardive sont donc de même nature et tout aussi précises et variées que celles du Haut-Empire : traités d’agriculture, d’agronomie, lois, papyri, ostraca, poésies, fables et correspondances. Elles documentent de nombreux pans de l’artisanat céramique et tuilier que les données de fouilles ne permettent que partiellement ou pas du tout d’appréhender : contrats de travail, de location, comptes rendus de productivité, déclarations de vol, réglementations des installations, des salaires et des prix de vente, certaines étapes de la chaîne opératoire qui laissent peu ou pas de traces matérielles (séchage

approvisionnement "bien structuré à l'image de celui [… des] siècles précédents qui, de fait, décourage les importations à longue distance de produits similaires", notamment les luisantes et les DSP marseillaises et languedociennes (Bonnet et al.

2013, 417). « Une multitude d'autres ateliers est ainsi supposée sur la rive gauche du Rhône » (Mukaï et Rigoir 2006, 114 et Bonnet et al. 2013, 416 et 428).

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Ce personnage est présenté comme « uir spectabilis », qualificatif donné à certains dignitaires impériaux (Gaffiot).

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« Propter moenia civitatis (...) portum Licini (...) reparari iussio nostra constituit, ut XXV milia tegularum annua illatione praestaret, simul etiam portubus iunctis, qui ad illa loca antiquitus pertinabant »(Rico 1995, 793, note 56). Des tuiles du IIIe siècle produites à Portus Licini ont été exportées jusqu’à Orange (France ; ibid. : 781).

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Il semblerait aussi qu’un proche collaborateur de Cassiodore était propriétaire d’un atelier de tuiliers vers 520. Celui-ci aurait approvisionné en matériaux des chantiers impériaux de construction ou de réparation (Jouanaud 1997, 186-187).

sur aires ouvertes non protégées et foulage de l’argile par des animaux), ainsi que les déplacements d’artisans et les transferts de savoir-faire. Ces textes témoignent également de la vie quotidienne dans les ateliers, offrent quelques informations sur les propriétaires, qui ne gèrent pas ou ne fixent pas toujours la productivité de leurs installations, et soulignent l’intérêt de l’aristocratie laïque, ecclésiastique et de l’administration pour les métiers liés au travail de l’argile. Certains auteurs semblent d’ailleurs ne pas être des néophytes en la matière, puisqu’ils connaissent même les problèmes techniques qui peuvent survenir lors de la fabrication.

L’épigraphie sur terres cuites