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CADRE THEORIQUE

3. Les aspects centraux de l’apprentissage moteur

Le changement du comportement produit par l’apprentissage moteur est, d’une manière ou d’une autre, sous-tendu par des modifications structurales et fonctionnelles du SNC. Basés sur les travaux chez l’animal et chez l’homme, plusieurs structures cérébrales, incluant le striatum, le cervelet, les régions corticales motrices du lobe frontal apparaissent être critique pour l’acquisition et/ou la rétention des habilités motrices (pour revue Dayan & Cohen, 2011).

En effet, il existe un lien fort entre l’acquisition des habilités motrices et la plasticité neuronale aux niveaux cortical et sous-cortical, qui évolue au cours du temps et engage différentes régions du cerveau spatialement distribuées et interconnectées. Les études anatomiques ont démontré que les structures impliquées forment deux circuits distincts : la boucle cortico-ganglions de la base-thalamo-corticale et la boucle cortico-cerebello-thalamo-corticale. Le rôle de ces systèmes subcortico-corticaux dans l’apprentissage d’habilités motrices a été mis en évidence par l’étude des dysfonctionnements relevés chez des patients présentant des anomalies striatales17, avec des atteintes du cervelet ou encore des lésions circoncises dans les aires motrices frontales. Plus récemment, les techniques d’imagerie cérébrale ont permis de confirmer non seulement la contribution fonctionnelle des deux systèmes cortico-striatal et cortico-cerebelleux ainsi que les changements fonctionnels dynamiques qui surviennent au cours de l’apprentissage (pour revue Doyon et al., 2003). Doyon & collaborateurs (2003) ont proposé un modèle dans lequel ces deux systèmes contribuent différemment à l’adaptation motrice et à l’apprentissage de séquences motrices (Figure 19).

17 Maladies de Parkinson ou de Huntington.

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Figure 19 – Modèle de la plasticité cérébrale dans le système striatal et cortico-cérébelleux au cours de l’évolution de l’apprentissage d’une séquence de mouvement (en bleu) ou de l’adaptation à une perturbation de l’environnement (en rouge). Les structures communes sont représentées en gris. (Adaptée de Doyon et al., 2003).

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a. Lors de l’apprentissage de séquences motrices

En utilisant des paradigmes d’apprentissage de séquences motrices, les changements d’activité dans les circuits cortico-striataux et cortico-cérébelleux ont été reportés. La phase rapide d’apprentissage des séquences motrices module l’activité de certaines régions : (1) le cortex préfrontal dorsolatéral, le cortex moteur primaire, l’aire motrice supplémentaire montrent une diminution d’activation quand l’apprentissage progresse, et (2) le PMc, la SMA, les aires pariétales, le striatum et le cervelet montrent une augmentation d’activation avec l’apprentissage (pour revue Dayan & Cohen, 2011). Dans un modèle décrivant les mécanismes impliqués dans ces tâches, Hikosaka & collaborateurs (2002) proposent que deux boucles parallèles opèreraient dans l’apprentissage des composantes spatiales et motrices lors de tâches de pointage de différentes cibles dans une séquence particulière18. En effet, alors que l’apprentissage des coordonnées spatiales est supporté par le circuit impliquant le cervelet, le striatum et les aires fronto-pariétales associatives, l’apprentissage de coordonnées motrices est supporté par un circuit impliquant le cervelet, le striatum et le cortex moteur primaire. La transformation entre ces deux systèmes de coordonnées passe par la contribution de la SMA, la pré-SMA, et du PMc. Enfin, le modèle de Doyon & Ungerleider (2002) se base sur le fait que l’activité dans le striatum et le cervelet est différemment associée à l’encodage des programmes de la séquence motrice (Jenkins et al., 1994; Grafton et al., 1995; Jueptner et al., 1997; Doyon et al., 2002) et la récupération des séquences de mouvements apprises (Jenkins et al., 1994; Jueptner et al., 1997). En effet, il apparaît que le cervelet joue un rôle majeur lors des phases rapides de l’apprentissage (Jenkins et al., 1994; Doyon & Ungerleider, 2002; Doyon et al., 2002) alors que son activité diminue avec la pratique et devient moins détectable lorsque les séquences sont acquises (Grafton et al., 1995; Doyon & Ungerleider, 2002). Quelques études ont également reporté des activations dans le striatum dans les phases précoces quand le

18 La composante spatiale correspond à l’orientation des cibles les unes par rapport aux autres alors que la composante motrice correspond à la séquence motrice à réaliser pour atteindre les cibles.

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sujet doit compter plus fortement sur l’utilisation de stratégies cognitives et sur la mémoire de travail (Jenkins et al., 1994; Jueptner et al., 1997). Cependant, il apparaît que le striatum semble être plus activé quand les sujets atteignent des performances stables que quand ils sont au début du processus d’acquisition (Grafton et al., 1995; Doyon et al., 2002). Ainsi, comme le confirment des études en tomographie par émission de positron (TEP) (Grafton et al., 1995) et en IRMf (Doyon et al., 2002), le striatum serait une structure critique pour le stockage en mémoire à long terme des séquences motrices apprises dans ce type de tâches. Finalement, relié à l’apprentissage, le rappel tardif des séquences motrices apparaît être médié par un réseau cortical incluant la SMA, le PMc et le cortex pariétal.

b. Lors de tâches d’adaptation motrice

La contribution spécifique des circuits cortico-striataux et cortico-cérébelleux

En utilisant la TEP, plusieurs études ont montré une corrélation entre l’activité de certaines structures cérébrales et les phases d’apprentissage lors des tâches d’adaptation motrices (Shadmehr & Holcomb, 1997, 1999; Krebs et al., 1998). En effet, au début du processus d’acquisition, les capacités du sujet à s’adapter à une perturbation du champs de force lors de l’atteinte de cible présentée aléatoirement avec un bras robotique, sont associées à une augmentation de l’activité dans le putamen droit, le striatum ventral, le cortex préfrontal dorsolatéral, le S1 et des aires associatives du cortex pariétal. Après la phase d’apprentissage rapide, quand les sujets ne présentent plus d’amélioration des performances, une diminution de l’activité du putamen est retrouvée. Il est également observé un déplacement des activations des aires pariétales et du striatum vers les régions motrices et pré-motrices gauches et le cortex cérébelleux droit. Ces résultats suggèrent que les circuits cortico-striataux contribuent de façon plus importante durant la phase précoce de l’apprentissage par adaptation alors que les circuits

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cortico-cérébelleux jouent un rôle critique durant la phase tardive de l’apprentissage par adaptation.

Le cortex moteur primaire et la trace mnésique

En utilisant des enregistrements intracérébraux chez le singe, Wise & collaborateurs (1998) ont montré que M1 présente des modifications d’activités au cours d’une douzaine d’essais après que les performances atteignent une phase de plateau. Deux explications sont avancées pour expliquer les changements tardifs d’activité des neurones M1 : ils signifieraient le début du processus de consolidation en mémoire à long terme. En effet, il apparaît qu’une réorganisation fonctionnelle surviendrait dans le cortex moteur primaire, soit de façon temporaire ou permanente, associé à l’apprentissage, suggérant la mise en place d’une trace mnésique (pour revue Sanes, 2000). Une étude chez le rat a montré une augmentation de l’efficacité des connexions synaptiques dans M1 après l’apprentissage d’une nouvelle tâche d’atteinte de cible (Rioult-Pedotti et al., 1998). De plus, chez le singe, à partir des propriétés de décharges des neurones dans M1, Gondolfo & collaborateurs (2000) ont mis en évidence plusieurs catégories de neurones : des neurones dit ‘dynamiques’ impliqués dans la phase d’adaptation à un nouvel environnement dynamique et des neurones dit ‘mémoire’ impliqués dans la phase de rétention de la trace mnésique.

Le cortex pariétal et le traitement des informations sensorielles

Les résultats des études en imagerie sont en accord avec une augmentation de l’activation du cortex pariétal droit dans les étapes précoces de l’apprentissage moteur, alors que dans les stades avancés, une activation prédomine dans les aires pariétales postérieures de l’hémisphère gauche. Toutefois, le cortex pariétal inférieur antérieur et le cortex pariétal supérieur postérieur codent pour deux fonctions distinctes : le premier pourrait contribuer à l’intégration des informations sensorielles et aux processus de traitements en feed-back alors

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que le second aurait un rôle critique dans le codage d’une nouvelle transformation entre les informations visuelles et spatiales (pour revue Halsband & Lange, 2006).

Le cervelet : de la détection de l’erreur à une représentation à long-terme

La contribution distincte du cervelet dans l’adaptation motrice a été étudiée par Imanizu

& collaborateurs (2000) et par Flament & collaborateurs (1996) en utilisant la technique d’IRMf lors de tâches dans lesquelles les sujets doivaient ajuster leurs systèmes de coordonnés sensori-moteurs. Les deux groupes trouvent une relation inverse entre le niveau de performance des sujets et le niveau d’activation du cervelet : une meilleure performance est associée à une diminution de l’activité du cervelet, supportant l’idée que cette structure participe à la détection et aux corrections de l’erreur. Par ailleurs, ces études montrent une augmentation soutenue de l’activité dans des aires spécifiques du cervelet (dans une aire proche de la fissure postérieur supérieur (Imamizu et al., 2000) et dans le noyau denté (Flament et al., 1996), suggérant que cette région pourrait faire partie du réseau engagé dans la création d’une représentation à long terme des habilités motrices nécessaire à l’exécution de ces tâches d’adaptations motrices.

c. Lors de tâches posturales

Peu d’études se sont intéressées aux corrélats neuronaux sous-tendant l’apprentissage de nouvelles tâches posturales. La formation des APAs en situation d’apprentissage n’est pas possible chez des patients atteints de lésions impliquant le cortex moteur ou la capsule interne (Massion et al., 1999) mais aussi dans le cas de lésions du cervelet (Diedrichsen et al., 2005a), suggérant ainsi le rôle capital du cervelet et du cortex moteur primaire dans l’apprentissage de nouvelles coordination posture-mouvement. En utilisant la TMS lors du paradigme d’apprentissage de la tâche bimanuelle de délestage, Kavennikov & collaborateurs (2008) ont

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spécifié le rôle du cortex moteur primaire dans l’organisation d’un nouveau patron EMG des APAs durant la stabilisation de l’avant-bras. Le rôle du cervelet dans la réorganisation de la posture et dans l’apprentissage de nouvelles tâches posturales a aussi été abondamment étudié (pour revue Ioffe et al., 2007). La partie antérieure du cervelet joue un rôle critique en modifiant l’amplitude des réponses posturales produites par un déplacement de la plateforme jusqu’à ce que le sujet réalise un déplacement anticipé basé sur l’expérience précédente (Horak

& Diener, 1994). Le cervelet apparaît être important pour l’adaptation prédictive des APAs durant l’initiation du pas (Timmann & Horak, 2001). Enfin, en étudiant l’apprentissage du contrôle volontaire du centre des pressions sur la base d’un entraînement à partir du feed-back visuel chez des patients présentant diverses lésions, Ioffe et collaborateurs (2006) ont également mis en évidence le rôle du cortex moteur, du système nigro-striatal et du cervelet dans l’apprentissage du contrôle postural. Les ganglions de la base seraient principalement impliqués dans la stratégie globale du contrôle du centre des pressions alors que la fonction du cortex moteur primaire concernerai principalement l’apprentissage du contrôle de la trajectoire.

Le cervelet serait impliqué dans le contrôle des deux paramètres.

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Chapitre 4 : L’apprentissage moteur : vers la construction d’un contrôle en feed-forward

En quelques lignes …

Loin de résulter d’un mécanisme unique, l’apprentissage correspond aux processus par lesquels un individu change de façon durable et rapide son comportement pour le rendre plus adapté à une nouvelle situation. L’apprentissage est marqué par une succession d’étapes : une phase exploratoire au cours de laquelle les sujets découvrent les règles, une phase d’acquisition au cours de laquelle les performances augmentent rapidement, et une phase d’amélioration au cours de laquelle la performance augmente plus doucement. Que ce soit lors de l’acquisition d’une nouvelle habilité motrice ou lors de l’adaptation à une perturbation, l’apprentissage passe par la détection d’un signal d’erreur sur la base d’une comparaison entre les informations sensorielles envoyées par le corps et celles qui sont attendues. Ce signal d’erreur, d’abord sensoriel puis moteur, est intégré dans le modèle interne inverse pour qu’il soit construit et/ou mis à jour. Les modifications comportementales produites lors de l’apprentissage font appel à des circuits cortico-striato-thalomo-corticaux et cortico-cérébello-thalamo-corticaux. Dans les tâches posturales, le cervelet et M1 joueraient un rôle privilégié lors de l’acquisition d’un nouveau contrôle anticipé. Enfin, durant l’ontogenèse, l’apprentissage moteur permet la construction de nouvelles habilités motrices en enrichissant le répertoire moteur des enfants au cours de différentes expériences motrices.

PROBLEMATIQUES

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L’adolescence, qui débute avec la puberté, se caractérise par des bouleversements aussi bien physiques que cognitifs. En effet, sous contrôle hormonal, l’adolescent subit des modifications brutales de son corps (changement de forme, de poids et de taille…) (Grumbach, 2000; Rogol et al., 2002). De plus, les processus de maturation cérébrale, qui sont caractérisés par des changements structuraux (Paus, 2005b) et fonctionnels (Luna et al., 2010), continuent à opérer au moment de l’adolescence. Ce travail de thèse explore l’influence de ces modifications sur la sphère motrice de l’adolescent en étudiant à la fois les performances et les processus neurophysiologiques sous-jacentes. Posture et mouvement sont étroitement liés : la réalisation d’un geste réussi et harmonieux ne peut s’affranchir d’un maintien actif et efficace de la posture (Massion et al., 1999). Cette association posture-mouvement est permise par la présence de multiples représentations internes qui sont en particulier le schéma corporel, les représentations de l’action à réaliser et une représentation de l’environnement dans lequel est effectuée l’action. Grâce à l’intégration de différentes informations sensorielles tant visuelles que tactiles, proprioceptives ou vestibulaires, ces représentations se construisent et sont mises à jour tout au long de la vie.

L’hypothèse princeps de mon travail de thèse est que les modifications corporelles observées durant l’adolescence auraient des répercussions sur les représentations du corps et de l’action qui impacteraient la coordination posture-mouvement. Cette hypothèse est étayée par une étude réalisée par Choudhury & collaborateurs (2007) qui rapporte que l’adolescence serait une période de progrès dans de l’utilisation des représentations de l’action lors d’une tâche d’imagerie motrice. Nous intéressant aussi bien à l’expression motrice (cinématique et Electromyographie – EMG) qu’à l’expression cérébrale (Electroencéphalographie – EEG), nous avons choisi d’explorer cette problématique au moyen de deux axes : la construction de la

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fonction d’anticipation, qui est le garant de la coordination entre posture et mouvement et l’apprentissage d’une nouvelle coordination posture-mouvement.

Dans la littérature, la fonction d’anticipation a souvent été étudiée au moyen d’une tâche écologique : la tâche du garçon de café, autrement dite tâche bimanuelle de délestage, qui implique l’utilisation d’un bras postural, qui supporte le poids, et d’un bras manipulateur, qui le déleste (Massion et al., 1999). Dans cette tâche, la fonction d’anticipation s’exprime par la présence des APAs. Les APAs, destinés à annuler les effets de la perturbation posturale causée par le délestage, permettent la stabilisation de l’avant-bras à l’horizontale (Hugon et al., 1982).

Chez l’adulte, cette anticipation posturale se traduit par une inhibition des muscles fléchisseurs du bras postural avant le début du délestage. Au cours de l’enfance, le développement des APAs se caractérise par une apparition précoce et se poursuit par une maturation tardive, avec la sélection des patrons musculaires d’inhibition et la maîtrise du réglage précis des paramètres temporels avant le moment du délestage (Schmitz et al., 1999, 2002). Mais qu’en est-il au moment de l’adolescence ?

Dans une première étude, nous avons cherché à identifier l’évolution des APAs aussi bien dans leur expression comportementale qu’au niveau des activités musculaires. Nous avons supposé que les performances de stabilisation posturale seraient différentes de celle des adultes. Chez les adolescents les APAs seraient également sous-tendus par une inhibition des muscles fléchisseurs mais nous avons fait l’hypothèse que la latence d’apparition diffèrerait encore de celle de l’adulte. Dans une seconde étude, nous avons cherché à identifier, chez l’adulte, les corrélats neurophysiologiques à l’utilisation des APAs lors de la tâche bimanuelle de délestage. Enfin, au cours d’une troisième étude, la maturation des signatures électrophysiologiques décrites chez l’adulte et sous-tendant les APAs a été explorée au cours de l’adolescence. Nous avons supposé que la maturation également tardive des APAs serait liée à une maturation tardive des signatures électrophysiologiques.

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L’apprentissage correspond aux processus par lesquels un individu change de façon durable et rapide son comportement pour le rendre plus adapté à une nouvelle situation. Une des conceptions classiques de l'apprentissage moteur repose sur le rôle principal du feedback sensoriel (Ioffe et al., 2007). Une hypothèse serait que, pendant l'apprentissage moteur, le cerveau utilise le feedback sensoriel pour acquérir une nouvelle représentation sensorimotrice afin de prévoir et d’exécuter le mouvement (Ioffe et al., 2007). En effet, lors de l’adaptation à une perturbation de l’environnement, l’apprentissage passe par la détection du signal d’erreur sur la base des informations sensorielles envoyées par le corps. Ce signal d’erreur, d’abord sensoriel puis moteur, est intégré aux représentations de l’action pour qu’il soit construit et/ou mis à jour. Dans une tâche d’apprentissage d’une nouvelle coordination posture-mouvement, nous avons fait l’hypothèse, chez l’adulte, que la construction d’une nouvelle représentation de l’action reposerait sur la transformation progressive des corrections posturales réactives en un contrôle postural anticipé. Par ailleurs, chez les adolescents, il a été suggéré une négligence transitoire des informations proprioceptives dans l’intégration sensorielle du contrôle postural (Viel et al., 2009). Nous pouvons donc supposer que les processus d’apprentissage moteur s’opéreraient de façon différente chez l’adulte et l’adolescent, et se traduiraient en particulier par une implication différente des informations proprioceptives lors de la construction d’une nouvelle représentation de l’action.