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CADRE THEORIQUE

3. L’organisation centrale des APAs

L’étude de patients ou les approches d’investigations cérébrales chez le sujet sain permettent d’enrichir les connaissances sur les mécanismes neuronaux sous-tendant les processus de coordination entre posture et mouvement et d’élaboration des APAs.

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a. Apport des pathologies lésionnelles et neuro-dégénératives Les aires corticales motrices et pré-motrices

On connaît plus l’implication des structures corticales motrices et prémotrices dans la préparation d’un mouvement volontaire que dans les mécanismes régulant la posture. Pourtant, les aires corticales frontales semblent également jouer un rôle dans le contrôle postural (Gurfinkel & Él’ner, 1988). En effet, une lésion de la partie médiane du lobe frontal altère l’utilisation des APAs lors d’une tâche de lever du bras (Gurfinkel & Él’ner, 1988) ainsi que lors de la tâche bimanuelle de délestage, suggérant le rôle essentiel du cortex sensori-moteur et de la SMA dans les mécanismes intervenant dans l’élaboration des APAs. Les liens anatomiques entre la SMA et les aires sensori-motrices primaires laissent supposer des relations entre ces deux régions lors de la production des APAs. Plus récemment, Jacobs et collaborateurs (2009) suggèrent que la SMA aurait un rôle dans le timing des APAs, ce qui confirme l’hypothèse que la SMA ajusterait le gain des APAs en fonction de l’évaluation de la perturbation à venir, comme le suggéraient Massion & collaborateurs dès 1999.

Les ganglions de la base

Les ganglions de la base semblent impliqués dans trois aspects du contrôle postural : le contrôle du tonus postural, l’utilisation des réactions posturales ainsi que l’utilisation des APAs (Horak & MacPherson, 1996). Plus particulièrement, une étude utilisant la tâche bimanuelle de délestage chez des patients parkinsoniens a révélé que ces patients présentaient une altération de la stabilisation posturale (Viallet et al., 1987). Ce résultat suggère l’existence de l’utilisation des APAs. Une étude a précisé la nature des déficits et a révélé que ni la latence ni le patron des APAs n’étaient affectés par la maladie de Parkinson, mais que les patients présenteraient des APAs de plus faibles amplitudes (Viallet et al., 1992). Le déficit des APAs chez les patients parkinsoniens résulterait donc plus d’une altération qualitative plutôt que d’une

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impossibilité à utiliser un contrôle en feed-forward. Massion & collaborateurs (1999) ont montré que les patients atteints de la maladie de Parkinson présentaient des difficultés à apprendre une nouvelle coordination bimanuelle. Par conséquent, les ganglions de la base ne sont pas essentiels pour la programmation d’APAs qui ont déjà été construits. Puisque les ganglions de la base possèdent des relations privilégiées, via le thalamus, avec la SMA (Wise

& Strick, 1984), leur influence dans la stabilisation posturale pourrait s’effectuer principalement au travers de cette région.

Le cervelet

Le cervelet est considéré depuis longtemps comme une structure critique pour le contrôle postural, notamment pour les coordinations nécessitant l’utilisation de synergies (Babinski, 1899), ou lors de la coordination des mouvements (Holmes, 1939; Diener &

Dichgans, 1992). Cependant, le cervelet ne semble pas indispensable à l’élaboration des APAs puisque les patients cérébro-lésés ne présentent pas d’altérations de la stabilisation posturale (Diedrichsen et al., 2005a). La construction de nouveaux APAs a pu être étudiée lors de l’apprentissage d’une coordination artificielle entre le soulèvement de l’objet et ses conséquences posturales (Paulignan et al., 1989; Schmitz & Assaiante, 2002). Il apparaît dans ce cas que des lésions cérébelleuses empêchent l’apprentissage d’une nouvelle coordination posture-mouvement (Diedrichsen et al., 2005). Par ailleurs, le cervelet joue également un rôle majeur pour l’ajustement temporel fin des APAs (Timmann & Horak, 1997). Ainsi, le cervelet serait une structure essentielle à l’apprentissage moteur, et à la modulation d’une réponse anticipée dans ses caractéristiques d’amplitude et de réglage temporel.

Le corps calleux

Peu d’études ce sont intéressées à l’implication du corps calleux dans la coordination posture-mouvement alors que c’est une structure indispensable à la réalisation de tâches

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impliquant un mouvement coordonné des deux mains (pour revue Swinnen & Wenderoth, 2004). Il apparaît que, dans la tâche bimanuelle de délestage, des patients atteints d’une section du corps calleux présentent des APAs intacts malgré l’absence de transfert inter-hémisphérique entre les deux cortex (Viallet et al., 1992; Diedrichsen et al., 2005a). Ceci indiquerait d’une part que l’intégrité du corps calleux n’est pas nécessaire à une activité bimanuelle telle que celle-ci, et d’autre part que la coordination nécessaire à l’organisation des APAs se ferait à un niveau sous-cortical.

Les afférences périphériques

La tâche bimanuelle de délestage ne nécessite pas l’apport des afférences périphériques une fois que les APAs ont été construits. En effet, une patiente déafférentée, n’ayant plus accès aux informations proprioceptives, ne possède plus la possibilité d’apprendre une nouvelle coordination (Forget & Lamarre, 1990) alors qu’elle stabilise son avant-bras de manière efficace (Forget & Lamarre, 1990) dans la tâche bimanuelle de délestage.

L’ensemble des résultats, évoqués ci-dessus et issus d’études réalisées chez des patients atteints de différentes lésions cérébrales, ont donc permis de formuler des hypothèses quant à l’organisation centrale des APAs. La Figure 14 représente les circuits supposés impliqués dans la construction et l’utilisation des APAs associés à la tâche bimanuelle de délestage (Massion et al., 1999).

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Figure 14 – Représentation schématique des structures cérébrales intervenant dans la construction et la production des APAs dans la tâche bimanuelle de délestage. M1 : Cortex moteur primaire, PM : Cortex prémoteur, SMA : Aire motrice supplémentaire, BG : Ganglion de la base. (Adaptée de Massion et al., 1999).

b. Etude chez le sujet sain : Apport des études en TMS et en EEG/MEG dans la tâche bimanuelle de délestage

L’étude du contrôle central de l’anticipation posturale chez le sujet sain est récent et concomitant avec l’essor des méthodes d’investigations cérébrales. Une étude en IRMf a montré la mise en jeu de nombreuses structures cérébrales dans l’élaboration du contrôle anticipé lors de la réalisation de la tâche bimanuelle de délestage (Schmitz et al., 2005). En effet, les auteurs montrent l’implication des régions motrices (aires motrices primaires, SMA), des ganglions de la base et du cervelet dans la production des APAs. Dans la tâche bimanuelle de délestage, la mise en jeu des ganglions de la base dans la production du contrôle anticipé est également reportée par Ng & collaborateurs (2011) dans une étude en MEG.

Dans cette même tâche, l’implication de l’aire motrice primaire controlatérale au bras postural dans la production des APAs reste une question ouverte. Dans une étude antérieure

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menée chez des enfants sains et autistes, Martineau & collaborateurs (2004) ont montré, en regard de l’aire motrice primaire controlatérale à l’avant-bras postural, une désynchronisation liée à l’événement (Event-Related Desynchronisation : ERD) qui débute 500 ms avant le début du délestage chez les enfants sains. Cette signature électrophysiologique est absente chez les enfants autistes alors qu’ils présentent un déficit de la fonction d’anticipation (Schmitz et al., 2003; Martineau et al., 2004). Ce résultat suggère l’implication du cortex moteur primaire controlatéral au bras postural dans le contrôle postural anticipé.

Les approches par TMS16 permettent d'évaluer l’implication d'une région cérébrale dans un processus défini. Dans un protocole de TMS utilisant la tâche bimanuelle de délestage, Kazennikov & collaborateurs (2005) stimulent le cortex moteur primaire ispsilatéral à l’avant-bras postural. Les résultats montrent une diminution des potentiels évoqués moteurs (MEP) concomitant avec la diminution observée au niveau des muscles fléchisseurs impliqués dans la stabilisation posturale, que ce soit dans la situation active ou situation passive. L’absence de modification de l’excitabilité corticale lors de la production des APAs suggère que les neurones cortico-spinaux du cortex moteur impliqué dans le contrôle postural anticipé sont inhibés par le cortex moteur impliqué dans le soulèvement de l’objet. Ce mécanisme passerait par une inhibition inter-hémisphérique.

A l’inverse, Taylor & collaborateurs (2005) montrent que les commandes issues de chaque cortex moteur primaire seraient spécifiques, suggérant le rôle primordial du cortex moteur primaire controlatéral au bras postural dans les APAs. En effet, dans un protocole de coordination posture-mouvement, Taylor & collaborateurs (2005) utilisent la TMS appliquée au niveau de M1 alternativement en ipsi- ou controlatérale du bras manipulateur. Le sujet doit exécuter un mouvement de flexion du coude d’un bras, déclenchant une force d’extension sur l’autre bras. Une réponse anticipée est produite au niveau des muscles fléchisseurs du bras

16 Par l’application d’un champ électromagnétique sur une région préalablement localisée grâce à ses coordonnées, la TMS, à une certaine fréquence, reproduit de façon artificielle l’effet d’une lésion temporaire et réversible.

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postural. Les stimulations controlatérales au bras manipulateur altèrent le début de la bouffée électromyographique (EMG) de ce bras mais pas celle du bras postural. La stimulation inverse déclenche uniquement des modifications de l'EMG du bras postural (Taylor, 2005). Les auteurs concluent que les réponses posturales et motrices, pourtant étroitement associées lors d'un mouvement, sont altérées différemment en fonction des stimuli délivrés respectivement sur chaque cortex moteur respectif. Ces deux études relancent le débat autour des mécanismes assurant la coordination entre la posture et le mouvement: la coordination posture-mouvement implique-t-elle un contrôle commun ou un contrôle en parallèle ?

c. Une origine commune ou un contrôle en parallèle de la coordination entre posture et mouvement?

Deux modes de contrôle de la coordination entre la posture et le mouvement ont été proposés dans la littérature (pour revues Massion, 1992, 1997) et sont illustrés par la Figure 15.

Le premier mode de contrôle suppose une origine commune à la coordination entre la posture et le mouvement focal. Celle-ci utiliserait une organisation hiérarchique : à partir des voies centrales contrôlant le mouvement émergeraient également des voies collatérales qui contrôleraient les réseaux posturaux responsables des APAs. Ainsi, les APAs et le mouvement seraient une conséquence différente d’un seul et même processus. Ce modèle est principalement appuyé par la corrélation qui existe entre l’action motrice et les APAs (Aruin &

Latash, 1995) et par la présence des APAs associés aux mouvement provoqués par une stimulation électrique au niveau du cortex moteur chez le chat (Gahéry & Nieoullon, 1978;

Gahéry & Massion, 1981). Dans ce mode de coordination, le début de l’activité focale et les APAs s’effectue dans une même fenêtre temporelle, ils sont dits « time-locked ».

Dans le second mode de contrôle, deux systèmes de contrôle en parallèle existeraient, et seraient coordonnés par un signal temporel: le premier pour le contrôle du mouvement, et le

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second pour contrôler les APAs qui lui sont associés. Dans ce cas le début de l’activité posturale peut être dissocié du début de l’activité focale. Le mouvement volontaire pourrait avoir pour rôle de donner le signal temporel de la perturbation à venir (Massion, 1998). Ce modèle est appuyé par la présence d’APAs même en l’absence d’une action motrice (Aruin et al., 2001) mais également lors de l’étude des patients cérébro-lésés dans la tâche bimanuelle de délestage (pour revue Massion et al., 1999).

Figure 15 – Illustration des deux modes de contrôles de coordination entre posture et mouvement. A : mode en parallèle ; B : mode hiérarchique. (Adaptée de Massion, 1992).

Contrôle de

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Chapitre 3 : Posture et mouvement : le contrôle postural anticipé ou feed-forward

En quelques lignes …

La posture, définie comme étant l’agencement, à un instant donné, des différents segments du corps, les uns par rapport aux autres, repose sur deux modes de contrôle : le contrôle réactif ou feed-back et le contrôle anticipé ou feed-forward. Alors que le premier survient après le début de la perturbation posturale, le second, en étant plus précoce, permet d’annuler l’effet de la perturbation souvent déclenchée par le mouvement volontaire. Au cours du développement, le contrôle anticipé apparaît très précocement et sa maturation se poursuit jusqu’à des âges relativement avancés de l’enfance. Sa construction reposerait sur une transformation des corrections posturales réactives en corrections posturales anticipées.

Grâce aux investigations menés chez les patients atteints de pathologies neurologiques et plus récemment à l’aide des méthodes d’investigations cérébrales réalisées chez le sujet sain, le contrôle postural anticipé (appris ou en construction) semble être sous-tendu par un réseau vaste et distribué impliquant le cortex sensori-moteur, l’aire motrice supplémentaire, les ganglions de la base et le cervelet… Le mode de coordination entre la posture et le mouvement focal peut reposer sur un mode en parallèle ou un mode hiérarchique : le débat reste ouvert à l’heure actuelle.

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Chapitre 4 : L’apprentissage moteur : vers la construction d’un contrôle en feed-forward

« Apprendre, c'est déposer de l'or dans la banque de son esprit. » De Shad Helmstetter

Extrait de « Le Pouvoir de motivation intérieure »

L’apprentissage correspond aux processus par lesquels un individu change de façon durable son comportement pour le rendre plus adapté à une nouvelle situation, ou pour accroître ses capacités à interagir sur le monde. Il est à l’œuvre tout au long de la vie d’un individu. L’apprentissage moteur, depuis sa définition jusqu’aux corrélats neuronaux sera détaillé au cours de ce dernier chapitre.