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Les arguments chrétiens contre les mystères romano-orientau

II L’engagement isiaque dans la littérature antique

II.2 La « lutte littéraire » religieuse

II.2.1.1 Les arguments chrétiens contre les mystères romano-orientau

Le vocabulaire religieux peut être utilisé et détourné par les auteurs chrétiens dans un sens péjoratif pour décrire la religion polythéiste romaine, et en particulier les cultes romano-orientaux qui ont pu intéresser les Romains. Pourtant, si le vocabulaire religieux peut correspondre aux propres pratiques cultuelles et liturgiques des auteurs, ils n’oseront véritablement utiliser ces termes pour leur propre dogme que lorsque leur utilisation ne représente plus le danger d’assimilation entre la falsa et la vera religio. Nous verrons ici des exemples argumentatifs qui peuvent être dirigés contre le paganisme romain en général, et parfois propres aux attaques contre certains cultes romano-orientaux. Il s’agit de voir si « seul change le nom du vaincu » comme l’affirme Belayche à propos de la littérature gréco-romaine des premiers siècles sur l’Orient300. Nous nous dirigerons ainsi vers les attaques chrétiennes spécifiques à l’Égypte et ses dieux.

L’un des thèmes récurrents présents parmi les anciens topoi païens envers l’Égypte et son peuple – chez Juvénal surtout – est repris par les auteurs chrétiens, car ils sont eux- mêmes accusés de cela : le cannibalisme301. Déjà au IIe siècle, Athénagore302 explique cette accusation dont le christianisme est victime. En réponse, il généralise en parlant des « passions » sur les µυστήρια303 en général. Pour les époques qui nous concernent,

Tertullien opère le même schéma304 : explication de l’accusation païenne de cannibalisme et d’inceste envers les chrétiens, puis retournement ironique de l’argument qui vise alors uolentibus initiaris qui vont voir le « père des mystères » (le hiérophante – pater

300 Belayche, 2000a, p. 12.

301 Borgeaud, Prescendi (éd.), 2008, p. 163, exposent les trois thèmes les plus fréquents contre le

christianisme : le cannibalisme, l’athéisme et l’inceste.

302 Athénagore, Apologie des Chrétiens, XXXI-XXXII.

303 Athénagore, Apologie des Chrétiens, XXXII, 1 : « Rien d’étonnant que ces gens-là nous

imputent ce qu’ils rapportent sur leurs propres dieux : ne font-ils pas de leurs passions l’objet de mystères ? — Τοὺς µὲν οὖν θαυµαστὸν οὐδὲν λογοποιεῖν περὶ ἡµῶν ἃ περὶ τῶν σφετέρων λέγουσι θεῶν – καὶ γὰρ τὰ πάθη αὐτῶν δεικνύουσι µυστήρια.

sacrorum), donc les communautés mystériques. C’est là un schéma récurrent des textes chrétiens : les attaques spécifiques envers certains points du paganisme sont des réponses aux mêmes attaques qui ont pu viser le christianisme.

Lors de l’évocation du terme µυστήριον comme détournement « diabolique » de la doctrine chrétienne, les auteurs chrétiens ont souvent pris l’exemple des mystères de Mithra. En effet, il existe toute une tradition historiographique qui fait du culte mithriaque le grand rival du christianisme. Nous avions déjà cité cette fameuse phrase de Cumont dans ses Mystères de Mithra en 1913, qui fait de l’Empire romain du IIIe siècle un monde sur le point de devenir mithriaste. Mais ce courant et le débat qui en résulte remontent en réalité à la fin du XIXe siècle, lorsque E. Renan affirmait en 1882 que « si le christianisme eût été arrêté dans sa croissance par quelque maladie mortelle, le monde eût été mithriaste »305. Depuis quelques décennies déjà, cette position – qui s’appuie principalement sur les écrits de Justin et Tertullien – a été révisée. Et les historiens s’accordent aujourd’hui pour réexaminer les sources littéraires selon leur usage, leur typologie et le contexte de leur rédaction306. D’ailleurs, Tertullien confirme bien que le contexte de la rédaction influe sur ses ouvrages lorsqu’il proclame dès l’introduction que ses Prescriptions contre les Hérétiques sont imposées par « la condition des temps présents307 ». La position historiographique actuelle correspond à notre souhait de réutiliser les œuvres chrétiennes dans une étude isiacologique malgré l’avertissement de Malaise en 1972, qui a fait date jusqu’à aujourd’hui dans ce domaine de l’histoire des religions.

Tertullien est réellement l’auteur chrétien évalué et considéré comme l’attaquant le plus virulent envers les cultes romano-orientaux, et le deuxième détracteur du cercle isiaque après Juvénal. Pour Mithra, il nomme explicitement le dieu quatre fois au total – sans compter les mentions plus indirectes. Mithra y est majoritairement défini en tant que daemon ou diabolus. Il est donc accusé d’imiter les sacramenta de la religion chrétienne et

305 Cité par Casaux, 2010, p. 171-172, qui fait une courte mais efficace présentation de

l’historiographie et du débat que nous n’exposerons pas de nouveau ici.

306 Bonnet, « Repenser les religions orientales », dans Bonnet, Rüpke, Scarpi (éd.), 2006, p. 9 et

Belayche, Rebillard, « “Cultes orientaux” et pluralisme religieux. Introduction thématique », dans Bonnet, Ribichini, Steuernagel (éd.), 2007, p. 140.

de les détourner pour ses propres rituels. C’est là le principe de l’imitatio diabolica, qui explique que les auteurs chrétiens peuvent avouer certaines similitudes entre le christianisme et les cultes polythéistes, pour mieux attaquer ces derniers. Ajoutons que les mentions de Tertullien sur Mithra se trouvent par trois fois dans des œuvres destinées aux hérétiques308 et une fois dans un livre destiné aux païens309 : ce ne sont pas des œuvres de

pur prosélytisme chrétien – hormis le De la couronne d’un soldat qui approuve l’attitude d’un soldat qui confesse publiquement sa nouvelle foi –, mais de polémique contre ce que Tertullien considère comme sacrilèges. Ce ne sont pas uniquement des œuvres de défense du christianisme, à une époque où il est en danger – avec des persécutions provinciales, voire locales, sous Septime Sévère310. Ce sont en priorité des œuvres offensives où le dialogue interreligieux est peu possible. Dans Le baptême, il fait l’éloge du véritable lavacrum contre ceux qui sont altérés : les rites d’initiation aquatique chez Mithra et Isis. Sans que ce soit une apologie de l’eau directement adressée à ces cultes, puisqu’il s’agit plutôt de les afficher en exemples à ne pas suivre par les destinataires réels de l’œuvre : les gnostiques qui ne reconnaissaient pas le pouvoir purificateur de l’eau. Des titres comme

308 Tertullien, Contre Marcion, I, 13, 5 (« Il en va de même aussi pour Osiris : toujours enseveli,

recherché dans les choses vivantes, retrouvé avec joie (…) de la même façon, d’après leur théorie, les ‘lions’ de Mithra symbolisent une nature aride et brûlante ») ; Du baptême, V, 1 (« Ainsi est-ce par un bain qu’ils sont initiés à certains mystères, comme ceux d’une Isis ou d’un Mithra ») ; Les prescriptions contre les hérétiques, XL, 4.

309 Tertullien, De la couronne du soldat, XV, 3-4 : commilitones eius, iam non ab ipso iudicandi,

sed ab aliquo Mithrae milite. Qui cum initiatur in spelaeo, in castris uere tenebrarum, coronam interposito gladio sibi oblatam quasi mimum martyrii, dehinc capiti suo accommodatam, monetur obuia manu a capite pellere et in humerum, si forte, transferre, dicens Mithran esse coronam suam (…).

310 Ploton-Nicollet, 2005, résume le débat quant à l’implication active de Septime Sévère dans les

persécutions chrétiennes qui ont lieu sous son règne, selon les sources littéraires. Sa réputation de persécuteur est dûe à des auteurs ultérieurs au règne, en particulier des auteurs chrétiens comme Eusèbe de Césarée qui reste vague, et à des descriptions confuses comme l’Histoire Auguste (que le chercheur explique comme des gloses postérieures fondées sur la tradition chrétienne). Alors que les auteurs proches du temps de Septime le décrivent comme neutre voire comme auteur d’une période de pax longa selon Cyprien, ou simplement ommettent ces faits comme Hérodien, Dion Cassius et (ce qui est alors plus étonnant si Septime était bien persécuteur) Tertullien. « Du point de vue juridico-politique aussi, on peut dire que l’empereur africain se plaçait dans la droite ligne de la position antonine sur le sujet de la religion chrétienne » (p. 188).

Contre les psychiques, De l’idolâtrie311, Les prescriptions contre les hérétiques, Contre les spectacles, attestent ce genre d’œuvres contre un sujet en particulier, et qui utiliseront les « mauvais » exemples cultuels romano-orientaux insérés dans un même contexte : la perversion diabolique. « Les hérésies ne diffèrent nullement de l’idolâtrie312 » : Tertullien procède à des rapprochements globalisants, car l’important pour lui est de distinguer ce qui est diabolique de ce qui relève du seul et unique Dieu, tout en donnant l’exemple idéal des cultes diaboliques : les mystères païens. Cette bipartition idéalisée falsa/vera religio dicte l’ensemble de sa production littéraire. Et elle sera la base des écrits chrétiens jusqu’à la fin du IVe siècle.

Son utilisation du terme lavacrum dans son Du baptême peut avoir deux emplois313 : utilisé dans les exemples païens, il adopte une signification « normale » de bain, sans sacralité de l’eau utilisée ; avec l’emploi « chrétien », il se réfère explicitement au baptême, sacramento aquae nostrae comme cité dans le premier chapitre. En outre, il utilise le terme lavatio pour désigner les bains de la statue divine de Cybèle, alors que pour les initiations d’Isis et de Mithra, c’est bien lavacrum : le terme est choisi pour témoigner du détournement péjoratif et diabolique, donc répréhensible, par ces cultes d’un geste sacré lorsqu’il est chrétien. C’est encore là un exemple de distinction entre la sacralité de différents termes et de choix réfléchi dans leur utilisation, selon si elle se réfère aux pagani ou à la vera religio. Les auteurs chrétiens ont le choix : soit d’utiliser la terminologie païenne qu’ils connaissent pour détailler les pagani et de l’éviter pour la description de la

311 Le terme « idolâtrie » remonterait au grec eidololatria, dérivé de eidolon signifiant « image », et

de latreia, « adoration ». Sa rare utilisation dans les œuvres païennes explique son association moderne avec un point de vue chrétien. En outre, ce sont les premiers apologistes chrétiens qui en ont donné un sens particulier. Dans son traité, Tertullien utilise principalement le terme idololatria et en décrit une signification particulière (I, 1 : « Idolatry is the chief crime of mankind, the supreme guilt of the world, the entire case put before judgement », Principale crimen generis humani, summus saeculi reatus, tota causa iudicii idolatria). C’est ainsi que pour le vocabulaire employé dans son De Spectaculis, on retrouve le terme crimen pour désigner le culte négatif et méprisable des images, tandis qu’on retrouve également le mot stuprum – littéralement le déshonneur – dans le De Idololatria. Tous ces termes sont équivalents chez Tertullien et ces héritiers, et ont pour fonction de désigner l’idolâtrie comme criminelle et méprisable.

312 Tertullien, Les prescriptions contre les hérétiques, XL, 8, dans le même chapitre que la mention

de Mithra : neque ab idolatria distare haereses.

religion chrétienne ; soit d’utiliser le vocabulaire chrétien pour témoigner de l’imitatio diabolica de la part des pagani comme il le fait également pour sacramentum. Le vocabulaire sacré/païen est « en fonction de ses besoins rhétoriques et polémiques314 ».

Il existe un Contre les Juifs, mais pas de Contre Mithra, Contre Isis ou plus généralement Contre les mystères de l’Orient. Ainsi, la bipartition de Tertullien place la confession juive du côté des perversions diaboliques, des Autres. Avant lui, dans son Dialogue avec Tryphon le juif, Justin de Naplouse315 attestait que l’opposition entre juif et chrétiens existait dès les débuts du christianisme et annonce les bases de l’opposition : la pensée chrétienne que les juifs ont mis à mort Jésus, le peuple devenant déicide316. Le débat théorique des textes de Justin est confirmé historiquement, malgré l’absence de réponse par des textes juifs : il y avait sur le terrain une réelle compétition entre judaïsme et christianisme, donc une compétition interreligieuse entre professions monothéistes. Quant aux cultes romano-orientaux, Justin attaque par deux fois les mystères mithriaques dans leur fondement : la divinité de la pierre à partir de laquelle Mithra naquit317 et la caverne d’initiation, qui ne seraient qu’une pâle imitation de la pierre désignée par Daniel et de la prophétie d’Isaïe qu’il cite pour apporter du poids à son argument. Dans sa Première apologie, adressée à Antonin le Pieux, il désigne les mystères comme diabolisant l’Eucharistie et la divinité comme daemon318, n’hésitant pas à recourir aux Évangiles qui

rapportent la parole de Jésus Christ lui-même. Ce qui, là encore, permet à son

314 Casaux, 2010, p. 181.

315 Nous reviendrons peu sur les œuvres de Justin. Mort sous le règne de Marc-Aurèle, il ne

mentionne une divinité isiaque (Apis) qu’à une seule reprise, et quelques rares fois l’Égypte, avec des arguments dont nous reparlerons.

316 Justin martyr, Dialogue avec Tryphon le Juif, XCIII, 4 : « Mais vous (…), on vous a trouvés

partout idolâtres, meurtrier des justes, portant les mains jusque sur le Christ lui-même, persévérant jusqu’à maintenant dans votre malice, maudissant même ceux qui démontrent que celui que vous avez crucifié était le Christ ».

317 Justin martyr, Dialogue avec Tryphon le Juif, LXX, 1 ; LXXVIII, 6 : « Et je répétai le passage

d’Isaïe que j’ai transcrit plus haut, et j’ajoutai que c’est à cause de ces paroles que ceux qui confèrent les mystères de Mithra ont été poussés par le diable à dire qu’ils faisaient leurs initiations dans un lieu qu’ils appellent “grotte” ».

318 Justin martyr, Apologie, I, 66, 4 : « Les mauvais démons ont imité cette institution (l’eucharistie)

dans les mystères de Mithra : on présente du pain et une coupe d’eau dans les cérémonies de l’initiation et on prononce certaines formules que vous savez ou que vous pouvez savoir ».

argumentation d’avoir plus d’impact, dans une œuvre destinée à l’empereur… Le De errore profanarum religionum de Firmicus Maternus a la même vocation, destinée aux fils de Constantin Ier, et se présente comme un appel à l’autorité impériale contre les cultes à mystères alors que le christianisme est dans les faveurs impériales officielles. C’est pourquoi les références chrétiennes comme chez Justin sont inutiles. Firmicus s’y prend d’une autre façon en attaquant par exemple la théologie persique du double feu dont Mithra en est l’élément masculin319, et réitérant que cette théologie est ab auctore suo diabolo. Surtout, quand Tertullien détourne le vocabulaire mystérique, Firmicus détourne, quant à lui, le vocabulaire néoplatonicien320 et notamment celui de Porphyre, que nous avons vu en tant que curieux envers le mithriacisme et la sacralité égyptienne. Ajoutons un argument inédit, dans ces attaques chrétiennes contre Mithra : les fidèles ont une foi aveugle en cette divinité notamment parce que sa sacralité serait acceptée des Romains et pas seulement des Perses – Scio, hoc Romano nomine dignum putatis, ac Persarum sacris. Ainsi, l’intégration publique romaine d’une divinité aux origines romano-orientales devient un argument détourné par les auteurs chrétiens.

Les attaques contre Mithra ne sont donc pas l’initiative de Tertullien, mais elles sont présentes dès le IIe siècle, avec déjà la thématique d’imitatio diabolica qu’il reprend et accentue pour d’autres thèmes « chrétiens » comme le baptême. Et elles persévèrent au IVe

siècle lorsque le pouvoir impérial officialise peu à peu le christianisme, lorsqu’il interdit des pratiques traditionnelles et qu’on ose attaquer les anciens Romains qui avaient pu officialiser des daemones pour ironiser sur ces derniers.

Chez Tertullien, le « cas juif » n’est pas identique aux cultes romano-orientaux dans sa production. Car il peut être la cible directe et non un simple argument. Cette constatation est la base du courant actuel qui révise la position mettant Mithra comme le rival absolu de

319 Julius Firmicus Maternus, De l’erreur des religions profanes, V, 1-2 : « (…) Ce faisant, ils ne

manquent aucunement aux leçons du Diable leur maître : ils veulent que leur déesse grouillante de serpents soit attifée des attributs infects du Diable ! Dans la déité mâle, ils adorent un voleur de bœuf et rapportent son culte à la puissance du feu (…) Ils le nomment Mithra (…). »

la vera religio. Et elle peut être réutilisée pour les cultes isiaques qui n’ont pas droit à une attaque directe par un ouvrage polémiste qui leur serait consacré. Ainsi, les divinités romano-orientales ne sont pas considérées comme divines, mais réduites pareillement à des daemones, instrument de l’action du diable321 : la compétition avec les démons isiaques n’existe pas dans l’esprit d’un chrétien, alors qu’elle l’est avec le judaïsme. La compétition monothéiste, qui est autant théorique que pratique, induit que les écrits des auteurs ne sont pas uniquement pour le prosélytisme chrétien, mais qu’ils servent autant à asseoir leur respectabilité en se déclarant supérieur à une doctrine monothéiste rivale donc plus « respectable » et conséquente à attaquer, qu’à gagner des adhérents : il s’agit de se définir par rapport à l’Autre monothéiste qu’on définit soi-même322.

Ames déclare, dans un article du Companion to Roman religion sur la religion romaine dans la production de Tertullien : « His selection of sources of information is not determined by the mere quantity or quality of information on religious practices, but by his intentions, the audience, and the reception framework323 ». L’affirmation est confirmée dans le cas de Mithra par Marion Casaux, avec sa démonstration des choix terminologiques par l’auteur. Elle conclut : « Il est dès lors dangereux de donner trop de crédit au témoignage de Tertullien concernant le culte de Mithra, puisqu’il sélectionne et réinterprète la documentation mithriaque à son bon vouloir324 ». Lorsqu’on pense que sa démonstration,

notamment sur le lavacrum, se base sur une mention qui cite conjointement les initiations mithriaques et isiaques325 – et que cette mention conjointe n’est pas unique et se retrouve dans le Contre Marcion326 –, on peut s’interroger sur la même subjectivité de Tertullien envers Isis, Sérapis et les autres. On peut se demander non pas si les divinités isiaques sont une cible particulière de Tertullien, mais plutôt si elles sont un argument particulier avec (après ?) celui de Mithra. Les manœuvres terminologiques et argumentatives sont-elles les mêmes ? A-t-on des arguments spécifiques à l’utilisation de l’exemple isiaque ?

321 Casaux, 2010, p. 177.

322 Casaux, 2010, p. 176, encore qu’il faut rappeler que pour l’analyse de cette compétition

monothéiste, nous ne disposons que du point de vue chrétien et non celui des juifs.

323 Ames, « Roman religion in the vision of Tertullian », dans Rüpke, 2007, p. 470. 324 Casaux, 2010, p. 186.

325 Tertullien, Du baptême, V, 1. 326 Tertullien, Contre Marcion, I, 13, 5.

II.2.1.2 Les attaques spécifiques contre l’Égypte et ses dieux

Si Mithra est nommé explicitement quatre fois dans la production littéraire de Tertullien, les divinités isiaques apparaissent clairement au total 27 fois sur huit œuvres (et cinq fois implicitement). En outre, lorsqu’il s’attaque spécifiquement à la religion romaine qui naturalise des divinités étrangères, il cite explicitement l’exemple de Sérapis327. Donc

s’il existe un débat historiographique sur la rivalité religieuse entre le Christ et Mithra, on peut s’étonner que le même débat n’existe pas entre le Christ et Isis ou Sérapis. Même si les conclusions actuelles auraient été similaires : l’absence de réelle compétition aux yeux des auteurs chrétiens. Car répétons-le : comme les mystères en général, les divinités isiaques ne sont pas l’objet ciblé par une œuvre chrétienne, ni l’objet d’un aveu de caractère divin étant pareillement réduites à l’état de daemones, terme commun à ces auteurs : on le retrouve chez Minucius Felix328, Origène329, Τhéodoret de Cyr330, Firmicus Maternus,331 etc.

Auparavant, les divinités isiaques et l’Égypte en général sont rarement victimes des attaques chrétiennes. Athénagore ne cite Isis et Osiris que pour illustrer la complexité des allégories divines dont leur mythe est l’objet par les philosophes, pour se moquer de ces

327 Tertullien, Apologétique, VI, 10 : Adhuc quod uidemini fidelissime tueri a patribus traditum, in

quo principaliter reos transgressionis Christianos destinastis, studium dico deorum colendorum, de quo maxime errauit antiquitas, licet Serapidi eam Romano aras restruxeritis (…) suo loco ostendam proinde despici et neglegi et destrui a uobis aduersus maiorum auctoritatem.

328 Minucius Felix, Octavius, XXVII, 6 : « Oui, Saturne, Sérapis, Jupiter, et tous les démons que

vous adorez (…) » ; Minucius Felix, Octavius, XXXI : « Quant aux banquets incestueux, c’est une