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2.3.1) Proximité entre les anticorps de primates et les anticorps humains

Les primates non-humains sont philogénétiquement proches des Hommes, et ils sont donc considérés comme des animaux de choix pour la recherche dans différents domaines comme l'hématologie, l'immunologie, la virologie, ou encore pour l'évaluation de la toxicité de molécules thérapeutiques avant les essais cliniques. (Akari, Iwasaki, Yoshida, & Iijima,

2009; Dixit & Coats, 2009; Fabbrini et al., 2012; Hérodin, Thullier, Garin, & Drouet, 2005; P.

R. Johnson & Hirsch, 1991; Muller & Brennan, 2009; Nyindo & Farah, 1999; SCHER, 2009) Leur utilisation a donc été proposée pour l'isolement d'anticorps à visé thérapeutique quand l'immunisation de volontaires humains n'est pas possible éthiquement ou pratiquement. Des

travaux menés par Abhinandan et al (Abhinandan & Martin, 2007) et Thullier et al (Philippe

Thullier, Huish, Pelat, & Martin, 2010) ont calculé le pourcentage moyen d'identité existant entre les domaines variables Vγ, Vκ et Vλ de macaques et celles des anticorps humains représentés dans la base de données de Kabat. (G. Johnson & Wu, 2001) Ces études ont permis de développer deux index qui évaluent la proximité d'une séquence donnée avec les

séquences de cette base : le H-score (Humanness-score) et le G-score (Germline-derived

score). (Philippe Thullier, Huish, et al., 2010) Le H-score compare la séquence du domaine variable d'un anticorps donné (VH ou VL) avec l'ensemble des séquences de domaines variables exprimés contenues dans la base de Kabat. L'un des inconvénients du H-score est lié au fait que certaines familles de gènes VH humains sont surreprésentées (comme les familles VH3 et VH4) par rapport à d'autres, car elles sont plus fréquemment utilisées par le système

immunitaire. (Druar et al., 2005; Huang et al., 1992) Les séquences appartenant à ces familles

surreprésentées ont un H-score artificiellement amélioré. Pour éviter ce biais le G-score a été développé ; il compare la séquence protéique du domaine variable analysé uniquement avec les séquences peptidiques humaines exprimées codées par les gènes VH ou VL de la famille à

laquelle la séquence analysée est apparentée et contenues dans la base de Kabat. Ces deux index évaluent la proximité de séquences de domaines variables d'anticorps avec leurs homologues humains, et ils peuvent être utilisés comme un outil de prédiction de tolérance.

Les H- et G-score sont des moyennes centrées réduites (Figure 38 et Figure 39) donc elles

sont :

- égales à 0 si la séquence à analyser présente autant de différences avec la

séquence humaine de référence que le nombre moyen de différences observé quand on compare les séquences humaines entre elles.

- inférieures à 0 si la séquence à analyser présente plus de différences avec la

séquence humaine de référence que le nombre moyen de différences observé quand on compare les séquences humaines entre elles.

- supérieures à 0 si la séquence à analyser présente moins de différences avec la

séquence humaine de référence que le nombre moyen de différences observé quand on compare les séquences humaines entre elles.

Le H-score, et plus encore le G-score, permettent donc d'évaluer la proximité entre une séquence de domaine variable à analyser et ses homologues humains. Afin d'estimer "l'humanité" des domaines variables des anticorps de macaques, les G-score moyens des séquences de 53 régions VH, 55 régions VLκ et 39 régions VLλ de macaques ont été calculés,

et sont de -1,184, -0,650 et -1,538, respectivement. (Philippe Thullier, Huish, et al., 2010) Ces

résultats démontrent que les séquences des domaines variables des anticorps de macaques ne peuvent pas être considérées comme humaines, ce qui justifie l'humanisation des anticorps à visée thérapeutique isolés à partir de macaques.

Figure 38 : Formule du H-score et du G-score.

Les H- et G-score sont des moyennes centrées réduites. X : Valeur de la séquence observée ; µ = Valeur moyenne de la banque ; σ = écart-type.

Figure 39 : Explication schématique du G-score et du H-score.

La séquence d'un domaine variable d'anticorps est comparée aux séquences des domaines variables des anticorps humains contenues dans une base de données. Le nombre moyen de différences existant entre l'ensemble des séquences contenues dans la base de données est connu. Moins il y a de différences entre la séquence analysée et l'ensemble des séquences du pool d'anticorps humains, plus les valeurs du H-score et du G-score sont élevées plus la tolérance attendue de l'anticorps est bonne.

L'Index de Germinalité (IG) est un autre paramètre utilisé pour évaluer le caractère humain des domaines variables d'un anticorps non-humain, non pas en les comparant avec les séquences des anticorps humains exprimés, mais en les comparant avec les séquences protéiques germinales des domaines variables des anticorps humains qui leur sont les plus proches. En effet, les séquences germinales codant les IgM, qui appartiennent au Soi immunologique et sont donc parfaitement tolérées. La séquence germinale la plus proche de celle du domaine variable à analyser est d'abord identifiée à l'aide d'outils bioinformatiques

comme IMGT/DomainGapAlign®. (Ehrenmann & Lefranc, 2012; M.-P. Lefranc, Ehrenmann,

Ginestoux, Giudicelli, & Duroux, 2012; Pelat et al., 2008) L'index de germinalité est ensuite

calculé comme la proportion d'acides aminés identiques entre les régions charpentes (FR1 à 4) de l'anticorps non-humain et celles de la séquence humaine sélectionnée. Plus sa valeur est proche de 100 %, plus les régions charpentes de la séquence analysée sont similaires à leurs homologues humains, et donc plus leur administration à l'Homme devrait être bien tolérée. Cependant l'index de germinalité ne tient pas compte des régions hyper-variables (CDR) et n'est donc que partiellement prédicteur d'une bonne tolérance, mais un "indice de germinalité" a été défini, pour inclure ces régions hyper-variables. En outre, aucune valeur de référence de l'index de germinalité des anticorps humains n'a été calculée, ce qui ne permet pas de quantifier la proximité de la séquence à analyser avec l'ensemble des anticorps humains.

Ce paramètre mathématique a été utilisé dans notre laboratoire pour comparer l'ensemble des anticorps de macaques avec l'ensemble des anticorps humains. Afin d'identifier les gènes V putatifs de macaques, un BLASTP entre l'allèle numéro 1 de chaque gène V

humain et le génome de Macaca mulatta (accessible au 14/04/2013 sur

http://www.hgsc.bcm.tmc.edu/content/rhesus-monkey-genome-project) a été effectué. A

partir des 141 gènes V humains, seuls 75 gènes V macaques ont été identifiés, et leurs séquences peptidiques ont été analysées par IMGT/DomainGapAlign afin d'identifier le gène V humain le plus proche de chaque région V de macaque. (Philippe Thullier, Chahboun, & Pelat, 2010) Le pourcentage d'identité entre les gènes V humains et les gènes V macaques ont alors été calculés, et en moyenne :

- les régions VH de macaques présentent 91 % d'identité avec les régions VH

humaines les plus proches. Ce degré d'identité est moindre que celui observé (97,3 %) en comparant entre eux les différents allèles, lorsqu'ils existent, des gènes VH humains.

- les régions VLλ de macaques présentent 92,7 % d'identité avec les régions VH

humaines les plus proches. Ce degré d'identité est moindre que celui observé (99 %) en comparant entre eux les différents allèles, lorsqu'ils existent, des gènes VH humains.

- les régions VLκ de macaques présentent 92,8 % d'identité avec les régions VH

humaines les plus proches. Ce degré d'identité est moindre que celui observé (98,8 %) en comparant entre eux les différents allèles, lorsqu'ils existent, des gènes VH humains.

En moyenne, la différence entre les gènes V de macaques et humains est 4,2 fois plus importante que la différence existant entre les différents allèles d'un gène V humain. Des résultats similaires sont obtenus lorsque seules les régions charpentes sont étudiées. Cette étude montre donc que les gènes V de macaques et humains sont différents, donc les domaines variables des anticorps de macaques sont potentiellement immunogènes chez l'Homme mais leur tolérance peut être optimisée par un processus d'humanisation.

Le G-score et l'index de germinalité ont été utilisés pour analyser "l'humanité" du Fab

35PA83 avant et après germinalisation (cf paragraphe ''2.2.3) La 2ème génération d'anticorps

: les anticorps humanisés "). Avant humanisation, l'index de germinalité était de 87,6 %, le H-score de -0,241 et le G-H-score de -0,541 alors qu'après humanisation ces trois valeurs sont respectivement de 97,7 %, -0,082 et 0,191, et donc le Fab germinalisé est quasiment humain. Ces paramètres confirment donc l'intérêt de l'humanisation pour augmenter "l'humanité", et donc théoriquement la tolérance, des anticorps thérapeutiques.

2.3.2) Limitations juridiques restreignant l'utilisation des anticorps de macaques

Afin de tirer parti des avantages que procurent les primates non-humains pour l'isolement d'anticorps thérapeutiques, la société Biogen-Idec Inc (Weston, Etats-Unis d'Amérique) a breveté en Europe (brevet EP1266965, 1992) et aux Etats-Unis d'Amérique (brevet US5693780, 1997) l'utilisation clinique d'anticorps dont les domaines variables

dérivent des anticorps des "singes de l'ancien monde" (old world monkey : babouins et

macaques). De tels anticorps chimériques, dont les régions constantes sont humaines et les

domaines variables sont d'origine primate, sont appelés anticorps primatisés (Primatized®).

Aux Etats-Unis d'Amérique, ce brevet porte sur l'utilisation d'anticorps de babouins et de macaques dirigés contre tous les antigènes. En Europe, compte tenu des limitations plus strictes sur la brevetabilité du vivant, d'autres éléments scientifiques ont dû être apportés. Le brevet européen repose sur l'observation selon laquelle un macaque a répondu à l'immunisation par le CD4 humain, et cette observation a été généralisée à l'ensemble des protéines humaines si bien que le système immunitaire du macaque reconnaitrait les protéines humaines comme non-Soi. En outre, des travaux comparant 29 séquences de domaines variables de macaques avec des séquences consensus humaines, considérées comme statistiquement représentatives, auraient permis de montrer que les différences observées entre les séquences des anticorps de macaques et celles des anticorps humains sont équivalentes à celles observées lorsque les anticorps humains sont comparés entre eux. Il serait donc impossible de distinguer les anticorps de macaques et les anticorps humains, et l'administration de ces deux types d'anticorps serait tolérée de façon équivalente. Les macaques seraient donc, selon ces observations, des animaux dont toutes les protéines sont différentes de leurs homologues humains, à l'exception des domaines variables des anticorps, et représenteraient donc des animaux de choix pour l'obtention d'anticorps bien tolérés dirigés contre ces protéines humaines. Le brevet européen est basé sur ces "observations" et il a donc été limité à l'isolement d'anticorps thérapeutiques dirigés contre les antigènes d'origine humaine. Cependant, les travaux de notre laboratoire, présentés au chapitre précédent et réalisés sur les 131 séquences des domaines variables des anticorps humains disponibles dans les bases de données en ligne, ont mis en évidence l'existence de différences significatives entre les anticorps de primates non-humains et les anticorps humains, ce qui contredit les

résultats avancés par la société Biogen-IDEC. (Philippe Thullier, Huish, et al., 2010) Une

juridiquement et financièrement par le Laboratoire français du Fractionnement et des Biotechnologies (LFB), conduisant à son annulation le 22 aout 2010. La société Biogen Idec Inc a néanmoins tiré profit des années d'utilisation exclusive des domaines variables d'anticorps permises par ces brevets, pour développer des anticorps thérapeutiques à partir des primates immunisés : le Galaximab, une IgG dirigée contre le CD80, actuellement en phase

III d'essais cliniques (Czuczman et al., 2012) et le Lumiliximab, une IgG dirigée contre le

CD23, actuellement en phase II d'essais clinique (Poole, Meng, Reff, Spellman, & Rosenwasser, 2005). Aucun anticorps anti-lumiliximab n'a été détecté durant les essais

cliniques, ce qui souligne la bonne tolérance des anticorps de primates. (Byrd et al., 2007)