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Le principal rôle des anticorps est la neutralisation et l'élimination spécifique des pathogènes. Pour cela, le domaine variable va directement interagir avec l'antigène, et les régions constantes vont activer différentes fonctions effectrices.

1.3.1) L'interaction anticorps/antigène

Un immunogène est une substance qui est reconnue comme non-Soi par le système immunitaire, et qui induit l'activation de la réponse immunitaire dont la formation d'anticorps. Un antigène est une substance qui est reconnue par les anticorps mais qui n'induit pas forcément une réponse immunitaire, comme dans le cas des haptènes qui doivent être

conjugués à une autre molécule (carrier) pour pouvoir activer la réponse immunitaire. Tous

les immunogènes sont donc des antigènes mais la réciproque n'est pas vraie. Le paratope est la région de l'anticorps responsable de la reconnaissance de l'antigène, et l'épitope, ou

déterminant antigénique, est la partie de l'antigène reconnue par l'anticorps. Certains antigènes ne possèdent qu'un seul épitope (antigène monovalent), alors que d'autres en possèdent plusieurs (antigène multivalent). Lorsque plusieurs épitopes sont présents sur une molécule ceux-ci peuvent être identiques (comme souvent dans le cas des polysaccharides) ou différents (protéines "complexes"). La valence est définie par le nombre de sites de fixation de l'antigène présents sur une molécule d'anticorps (égale à deux, dans le cas des IgG, et à 10, dans le cas des IgM pentamériques).

L'interaction entre chaque épitope et chaque site de fixation de l'antigène dépend des lois de la thermodynamique. Quatre types de liaisons non covalentes sont mis en jeu : les forces électrostatiques, les liaisons hydrogènes, les liaisons hydrophobes et les forces de Van der Waals. (Greenspan & Cooper, 1995) L'interaction entre l'antigène et l'anticorps est

réversible et exothermique (libération de 40 à 60 kilojoules.mole-1). (He, Luo, & Li, 2007)

L'affinité est la mesure indirecte de ces forces d'interaction. L'association et la dissociation des complexes anticorps/antigène est régie selon la loi d'action de masse (ou loi de Guldberg et Waage), qui permet de définir l'équilibre d'un système réactionnel. L'affinité de l'anticorps

(KD) est définie comme le rapport de la constante de dissociation (Koff) sur la constante

d'association (Kon) : KD=Koff/Kon (Figure 7). L'affinité est un indicateur des vitesses

d'association et dissociation, ainsi que de la stabilité du complexe anticorps/antigène. Les paramètres Koff et Kon peuvent être mesurés par différentes technologies comme la

résonance plasmonique de surface (appareils Biacore® dans notre laboratoire, par exemple).

Figure 7 : Mesure de l'affinité.

[Anticorps] et [Antigène] représentent respectivement les concentrations molaires des anticorps et antigène sous forme soluble et [Anticorps-Antigène] représente la concentration molaire des complexes antigènes/anticorps. KD représente l'affinité, exprimée en M, Kon représente la constante d’association, mesurée en M-1.s-1, et Koff représente la constante de dissociation, mesurée en s-1.

Comme les forces qui entrent en jeu dans l'interaction entre l'anticorps et l'antigène reposent sur l'établissement de liaisons faibles, et que la force de chaque liaison diminue avec le carré de la distance, une grande proximité entre le paratope et l'épitope est nécessaire pour permettre une interaction stable. Cette proximité entre l'antigène et l'anticorps a été confirmée par plusieurs études cristallographiques, et elle constitue la base de la spécificité de

l'anticorps. (Davies & Cohen, 1996; Y. Li, Li, Smith-Gill, & Mariuzza, 2000; Padlan et al.,

1989) Ces études ont montré que l'épitope vient se loger entre les domaines variables des chaines lourdes et légères, en interagissant principalement au niveau des CDR, et plus spécifiquement au niveau des CDR3. L'affinité de l'anticorps pour l'antigène est définie comme l'affinité entre un déterminant épitopique et l'un des deux sites de fixation de l'antigène. Ceci ne correspond à la réalité biologique de liaison des anticorps que dans le cas où l'antigène est une protéine soluble, présente à faible concentration. Comme les anticorps disposent de deux sites de fixation de l'antigène, des phénomènes d'avidité entre en jeu. La formation de complexes associant plusieurs anticorps et antigènes (complexes immuns) va former un "réseau" limitant la diffusion des pathogènes et facilitant leur élimination en

favorisant la phagocytose (Figure 8). (Dorrington & Klein, 1981; Greenspan, 2001)

Figure 8 : Formation de complexes immuns.

Les anticorps peuvent fixer simultanément plusieurs antigènes (carrés bleus) disposant d'épitopes identiques (triangles orange ou trapèzes violets), grâce à leurs deux sites de fixation de l'antigène. Les "réseaux" ainsi formés diffusent plus difficilement dans l'organisme et sont plus facilement éliminés par le système immunitaire.

1.3.2) Les fonctions effectrices

Les interactions entre anticorps et antigènes ne permettent pas à elles seules d'éliminer le pathogène, et les anticorps présentent plusieurs fonctions effectrices qui vont permettre d'initer cette élimination.

1.3.2.1) L'activation de la voie du complément

Les complexes immuns comprenant des IgG1, IgG3 et IgM peuvent activer le complément par la voie dite "classique". (Gasque, 2004) La cascade d'activation du complément implique une trentaine de protéines sériques qui ont un rôle important dans la réponse immunitaire innée, en activant l'inflammation et la lyse du pathogène. Le complexe pentamoléculaire C1 se fixe au niveau d'un site localisé dans le CH2 des IgG et dans le CH3 des IgM, qui n'est accessible que lorsque l'anticorps s'est associé à un antigène. Le recouvrement d'un pathogène par plusieurs molécules d'anticorps et de complexes C1 (opsonisation) va activer une cascade d'activation impliquant d'autres molécules de la voie "classique". Finalement, les protéines C5 à C9 vont s'associer pour former le complexe d'attaque membranaire (Podack, Esser, Biesecker, & Müller-Eberhard, 1980), qui va former un canal dans la bicouche lipidique des pathogènes, permettant l'influx des fluides

extracellulaires et la lyse des cellules qui avaient été reconnues par les anticorps (Figure 9).

Les protéines du complément sont aussi impliquées dans l'inflammation grâce à la libération de médiateurs par les mastocytes et au chimiotactisme (attraction des cellules du système immunitaire au niveau de l'infection). (Ricklin, Hajishengallis, Yang, & Lambris, 2010)

Figure 9 : Activation de la voie classique du complément.

Le pontage d'un antigène par plusieurs anticorps va permettre aux complexes C1 d'interagir avec le domaine Fc d'IgG et des IgM. L'activation de ce complexe va engendrer une cascade d'activation de molécules du complément. In fine la formation du complexe d'attaque membranaire induira la lyse du pathogène. (Parham, 2005)

1.3.2.2) Activation de la phagocytose par les anticorps (opsonisation)

Les anticorps et le fragment C3b du complément sont des opsonines qui peuvent recouvrir une cible, respectivement de façon spécifique et non spécifique, et ainsi faciliter la phagocytose par les macrophages et neutrophiles. En l'absence d'opsonine, l'interaction entre les pathogènes et les phagocytes est faible. Les IgG peuvent interagir avec les récepteurs Fc présents à la surface des phagocytes, et donc agir comme des adaptateurs moléculaires qui facilitent la reconnaissance des pathogènes par ces cellules, permettant aux cellules immunitaires de s'affranchir d'une reconnaissance spécifique de chaque pathogène. (S. Greenberg, 1999; Indik, Park, Hunter, & Schreiber, 1995) Les cellules phagocytaires n'expriment pas de récepteur du fragment Fc spécifique des IgM, donc cette classe d'anticorps ne peut pas induire directement la phagocytose du pathogène. Cependant les IgM pentamériques disposent de cinq régions Fc, ce qui favorise le recrutement et l'activation du complément. Le complément activé se fixe alors à la surface des pathogènes et interagit avec des récepteurs spécifiques présents à la surface des phagocytes, permettant ainsi la

phagocytose des pathogènes opsonisés. Si la fixation d'une seule classe opsonines est suffisante pour accroître la phagocytose, l'opsonisation simultanée par C3b et l'anticorps va engager les deux types de récepteurs à la surface des phagocytes (macrophages et polynucléaires neutrophiles) et permettre une optimisation de la phagocytose du pathogène (Figure 10). Dans le cas où les pathogènes sont phagocytés par les cellules dendritiques ils vont pouvoir être présentés aux lymphocytes, et donc activer la réponse immunitaire adaptative.

Figure 10 : Augmentation opsonine-dépendante de la phagocytose.

En absence d'opsonines, la phagocytose est limitée. L'opsonisation par C3b et/ou des anticorps va augmenter la phagocytose.

1.3.2.3) La cytotoxicité à médiation cellulaire dépendante des anticorps

Trois classes de récepteurs pouvant interagir avec la région Fc des IgG1 et IgG3 ont

été décrites (Tableau 3) : FcγRI (CD64), FCγRII -a, -b et -c (CD32 -a, -b et -c) et FcγRIII -a et

-b (CD16 -a et -b). Ces récepteurs sont retrouvés à la surface des lymphocytes B, macrophages, éosinophiles, cellules dendritiques, monocytes, neutrophiles, mastocytes,

cellules NK et basophiles. (Bryceson et al., 2011; Schneider-Merck et al., 2010; Sibéril,

Dutertre, Fridman, & Teillaud, 2007) La cytotoxicité à médiation cellulaire dépendante des

anticorps (Antibody Dependent Cell Cytotoxicity, ADCC) est un mécanisme par lequel les

anticorps vont activer des cellules cytotoxiques en se fixant aux récepteurs Fc présents à leur surface, et favoriser la lyse et l'apoptose des cellules ainsi ciblées. L'affinité des IgG pour ces

récepteurs dépend de l'isotype : les IgG1 et IgG3 présentent les affinités les plus élevées, jusqu'à 20 nM. L'activation des cellules cytotoxiques, provoque la sécrétion des perforines, du granzyme B et des cytokines comme l'interféron gamma. La perforine va former un pore qui va permettre le passage du granzyme B dans le cytoplasme du pathogène procaryote ou eucarryote, et ainsi induire la dégradation de ses protéines. L'interféron gamma est une cytokine induisant l'apoptose des cellules eucaryotes, comme les cellules tumorales ou les cellules infectées par des virus, en augmentant la transcription du gène p53. Ces deux mécanismes vont agir de façon synergique pour induire l'apoptose du pathogène ou de la cellule infectée. (Casadevall & Pirofski, 2003; Raghavan & Bjorkman, 1996)

Dans le cas de pathogènes de grandes tailles, comme certains helminthes, l'ADCC va impliquer les IgE. Les IgE fixées à la surface d'un parasite vont pouvoir interagir avec le récepteur FcεRI à la surface des éosinophiles et induire leur dégranulation, et ainsi la lyse du pathogène. (Capron & Capron, 1994)

Récepteur FCγRI (CD64) FCγRIIa (CD32-a) FCγRRIIb (CD32-b) FCγRIII-a (CD16a) FCγRIIIb (CD16-B) FCγRIIc (CD32-C)

Motif lié ITAM ITAM ITIM ITAM Aucun ITAM

Exprimé par Macrophages, eosinophiles, cellules dendritiques, neutrophiles activés par le G-CSF ou l'IFN-γ Monocytes, macrophages, neutrophiles, eosinophiles, plaquettes, cellules dendritiques, cellules de Langerhans Monocytes, macrophages, neutrophiles, eosinophiles, lymphocytes B, mastocytes, basophiles, cellules dendritiques Cellules NK, macrophages, cellules dendritiques, eosinophiles, cellules T γδ, mastocytes, cellules de Langerhans, monocytes Neutrophiles, eosinophiles activés par l'IFN-γ Cellules NK Affinité (20 nM<KD<30 nM) IgG1=IgG3>IgG4>>IgG2 (300 nM<KD<10 µM) IgG1>IgG3=IgG2>IgG4 (5 µM<KD<10 µM) IgG1=IgG3>IgG4 (100 nM<KD<800 nM) IgG1=IgG3 (900 nM<KD<1 000 nM) IgG3>IgG1 (5 µM<KD<10 µM) IgG3>IgG1=IgG4>IG2 Effets principaux Phagocytose, métabolisme oxydatif Phagocytose, dégranulation des eosinophiles Inhibition de la réponse immunitaire, inhibition de l'activation et de la prolifération des lymphocytes B

Activation de l'ADCC Effet synergique avec FCγRIIa

Activation des cellules NK, activation de l'ADCC

Tableau 3 : Principales caractéristique des récepteurs Fc.

Principales cellules exprimant les récepteurs du fragment Fc, affinité du récepteur pour la region Fc et principaux effets induits par l'activation de ces récepteurs. ITAM : Immunoreceptor Tyrosine-based Activation Motif ; ITIM : Immunoreceptor Tyrosine-based Inhibition Motif. (Janeway et al., 2009; Strohl & Strohl, 2012)

1.3.2.4) Récepteur Fc néonatal

Le récepteur Fc néonatal (FcRn ou récepteur de Brambell) est un peptide de 62 kDa exprimé à la surface de très nombreuses cellules telles que les cellules endothéliales, les

cellules épithéliales intestinales ou les cellules phagocytaires. (Baker et al., 2009) Il est

composé de deux sous unités de β2-microglobuline et d'une chaine alpha membranaire. (Simister & Mostov, 1989) Le récepteur Fc néonatal tire son nom du fait qu'initialement, il a

été démontré qu'il était impliqué dans le passage transplacentaire des IgG de la mère vers son fœtus. (Ghetie & Ward, 2000; Roopenian & Akilesh, 2007) Il a aussi été mis en évidence que ce récepteur était présent à la surface des cellules intestinales du nouveau-né. Les IgG contenues dans le colostrum vont ainsi pouvoir franchir la barrière instestinale de l'enfant par

transcytose puis rejoindre son compartiment vasculaire (Figure 11). Ce tranfert confère au

nourisson une immunité passive pendant environ quatre semaines après la naissance, alors qu'il ne peut pas encore synthétiser ses propres anticorps.

Le récepteur néonatal à aussi un rôle dans l'augmentation de la demi-vie des IgG, en permettant leur recyclage. En effet les anticorps pénètrent naturellement dans les cellules, notamment par pinocytose, où ils sont dégradés par les protéases cellulaires. Cependant, à pH acide (pH <6,5) les résidus histidines de la région Fc des IgG sont protonés et peuvent établir des liaisons hydrogènes avec les résidus acides du FcRn, présents à la surface interne de la membrane des vésicules d'endocytose ou de pinocytose. (Gurbaxani & Morrison, 2006; Story,

Mikulska, & Simister, 1994; Suzuki et al., 2010) En conséquence, lors de l'acidification de

ces vésicules, les IgG peuvent être fixées par le récepteur néonatal et être protégées de la dégradation protéolytique. Les IgG en excès, non fixées aux FcRn seront quant à elles détruites par la voie de dégradation lysosomale. (Brambell, Hemmings, & Morris, 1964; Junghans & Anderson, 1996) Lors du recyclage des membranes des vésicules d'endocytose, la membrane de ces vésicules va fusionner avec la membrane plasmique des cellules et exposer à nouveau les complexes IgG-FcRn sur la face externe de la membrane plasmique. Les

complexes IgG-FcRn se retrouvent alors exposés au pH neutre (pH > 7,4) de la circulation

sanguine, provoquant leur dissociation. Cette protection et ce recyclage des IgG après

internalisation expliquent la longue demi-vie des IgG1, IgG2 et IgG4 (environ 21 jours). (Israel

et al., 1997; Tzaban et al., 2009) Les IgG3 dont l'un des résidus histidines est altéré ne peuvent pas se fixer au FcRn ce qui explique que leur demi-vie n'est que de cinq à sept jours. (Martin & Bjorkman, 1999; Vaughn & Bjorkman, 1998)

Figure 11 : Recyclage des IgG et transfert de l'immunité passive au nourisson.

1) Les IgG peuvent pénétrer dans les cellules par pinocytose voire endocytose. 2) Lors de l'acidification de l'endosome, les IgG vont interagir avec les FcRn. 3) Les IgG non fixées aux FcRn vont être dégradées par le protéasome. 4) Les IgG qui ont interagi avec les FcRn vont être recyclées lors de la fusion de la vésicule à la membrane apicale ou à la membrane basale. Le pH neutre du sang permet la dissociation des IgG recyclée et leur retour dans la circulation sanguine.