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En 1973, Jerrold SCHWABER (1947-) et Edward COHEN ont observé (Schwaber & Cohen, 1973) que la fusion de lymphocytes murins et humains permettait d'obtenir un clone

hybride pouvant sécréter les deux anticorps parentaux. (Cambrosio & Keating, 1992; Sourya, Samarth, SN, & SK, 2011) La même année, Richard COTTON et Cesar MILSTEIN (1927-2002) ont démontré que la fusion de deux cellules somatiques myéloïdes, une de rat et une de souris, permettait d'obtenir une cellule hybride sécrétant les immunoglobulines parentales. (Cotton & Milstein, 1973) Schwaber et Cohen ont aussi mis en évidence en 1974 que la fusion d'un lymphocyte humain et d'une cellule myéloïde murine permettait d'obtenir une lignée cellulaire hybride presque immortelle, qui sécrétait des immunoglobulines humaines. (Schwaber & Cohen, 1974) Néanmoins, la découverte de la technologie des hybridomes est généralement attribuée à Georges KOHLER (1946-1995) et Cesar MILSTEIN, qui ont mis au point en 1975 une technique permettant de produire à l'identifique des molécules d'anticorps de spécificité unique, à partir de souris immunisées avec un antigène d'intérêt. (Cotton & Milstein, 1973; Köhler & Milstein, 1975) La production d'anticorps de spécificité unique représentait un enjeu majeur car il était impossible d'isoler biochimiquement chaque

anticorps, de spécificité unique, à partir d'un sérum. En effet, si in vivo l'hétérogénéité des

anticorps permet d'accroître la protection immunitaire, in vitro il est préférable d'utiliser des

anticorps de spécificité unique pour obtenir des résultats reproductibles. (Harlow & Lane, 1988) L'obtention d'hybridomes débute par l'immunisation d'une souris avec un antigène

d'intérêt (Figure 24), le plus souvent en présence d'un adjuvant (Peipp et al., 2001;

Schwemmlein et al., 2006), bien que des protocoles récents permettent de s'en affranchir. En

effet, les adjuvants "classiques", comme l'adjuvant complet de Freund peuvent parfois dénaturer l'immunogène. Pour diminuer le risque d'une telle dénaturation et réduire la durée

des protocoles d'immunisation, Staquet et al (Staquet et al., 2006) ont mis en évidence que

l'interféron de type I (IFN-I) et un ligand du CD40 pouvaient respectivement être utilisés comme stimulant et comme agent de prolifération des lymphocytes B. L'INF-I induit la différenciation des cellules dendritiques en cellules présentatrices de l'antigène (Theofilopoulos, Baccala, Beutler, & Kono, 2005), et les ligands du CD40 des cellules B induisent la prolifération, la commutation isotypique et la génération de lymphocytes B

mémoires (Banchereau et al., 1994). Comparé à l'utilisation d'adjuvant, ce traitement permet

en moyenne de multiplier par deux la synthèse des lymphocytes B et d'obtenir de 5 à 10 fois plus d'hybridomes réactifs, dont les anticorps sécrétés présentent des affinités similaires à celles obtenues par les protocoles conventionnels d'immunisation. En outre, en utilisant ce protocole d'immunisation, 18 jours sont suffisants pour que les souris développent une réponse immunitaire vis-à-vis de l'immunogène, contre 43 à 176 jours avec l'adjuvant complet

immunitaire suffisante, les plasmocytes de la rate sont isolés et fusionnés avec des cellules myéloïdes de souris, en utilisant un agent permettant la fusion des membranes plasmiques, le

polyéthylène-glycol. (Davidson, O’Malley, & Wheeler, 1976; Lentz, 2007; Staquet et al.,

2006) Les cellules sont ensuite mises en culture et, seules les cellules fusionnées seront sélectionnées. En effet, le milieu de culture utilisé, appelé HAT, contient de l'Hypoxanthine,

de l'Aminoptérine et de la Thymidine (Figure 25). L'aminoptérine est une enzyme qui inhibe

la voie de synthèse classique de l'ADN dite "de novo". Lorsque cette voie est inhibée, les

cellules utilisent la voie dite de récupération pour synthétiser l'ADN à partir de deux précurseurs principaux : la thymidine et l'hypoxanthine. Cette voie implique deux enzymes indispensables, naturellement présentes dans les plasmocytes : la HGPRT (Hypoxanthine-Guanine PhosphoRibosylTransferase) et la thymidine kinase. Les cellules myéloïdes qui sont utilisées pour la fusion sont déficitaires en HGPRT et en thymidine kinase et meurent donc rapidement en présence du milieu HAT, tout comme les lymphocytes non fusionnés dont la durée de vie est naturellement limitée. Seule les cellules ayant fusionné avec un plasmocyte peuvent survivre, car les enzymes manquantes sont apportées par le lymphocyte fusionné grâce au mécanisme de complémentation génétique. Les lignées cellulaires myéloïdes murines servant de partenaires de fusion ont été obtenues en induisant chimiquement des myélomes chez la souris, puis en recherchant parmi les nombreuses cellules ainsi obtenues celles présentant les caractéristiques adéquates. Un tel protocole ne peut pas être éthiquement appliqué chez l'Homme, et le taux de cancers myéloïdes humains spontanés est trop rare pour pouvoir isoler une lignée myéloïde humaine pouvant servir de partenaire de fusion. Les lymphocytes issus d'une souris immunisée ne produisent pas tous des anticorps dirigés contre l'antigène d'intérêt, ce qui rend nécessaire une étape de criblage des hybridomes. Les cellules d’hybridomes sont déposées dans les puits de plaque de culture à un degré de dilution tel que, statistiquement, chaque puit ne reçoit qu'une ou aucune cellule d’hybridome ("dilution limites"). Après identification des hybridomes sécrétant des anticorps d'intérêt par ELISA (Orii, Yamaguchi, & Watanabe, 2013), des étapes successives de sous-clonages peuvent être nécessaires pour obtenir un clone pur. Puisque les anticorps sont sécrétés par un clone cellulaire pur, ils seront tous identiques et sont donc qualifié d'anticorps monoclonaux. Ces

anticorps monoclonaux sont ensuite produits soit in vitro, en purifiant les anticorps sécrétés

dans les surnageants de cultures en bioréacteurs, soit in vivo, en injectant un clone

d'hybridome dans la cavité péritonéale d'une souris puis en purifiant les anticorps à partir des liquides d'ascites. (Hefferon, 2012; Yokoyama, 2001) La mise au point de la technologie des

hybridomes a valu à Georges KOHLER et Cesar MILSTEIN le prix Nobel de Physiologie et Médecine en 1984 (prix partagé avec Niels Kaj Jerne).

Figure 24 : Production d'anticorps monoclonaux par la technique des hybridomes.

Les plasmocytes d'une souris immunisée sont isolés et fusionnés avec des cellules myéloïdes. Le milieu HAT permet uniquement la sélection des hybridomes formés par la fusion d'un plasmocyte avec une cellule myéloïde. Un criblage est réalisé pour sélectionner les hybridomes sécrétant un anticorps dirigé contre l'antigène d'intérêt, qui sont alors utilisés pour la production in vitro ou in vivo des anticorps monoclonaux. HGPRT : Hypoxanthine-Guanine Phosphoribosyl Transférase ; TK : Tyrosine Kinase ; PEG : PolyEthylène-Glycol. (Janeway et al., 2009; Kindt et al., 2008; Köhler & Milstein, 1975)

Figure 25 : Pression de sélection exercée par le milieu HAT sur les cellules.

Le signe X indique que les cellules ont fusionné. En présence de l'aminoptérine, seuls les hybridomes formés par la fusion de plasmocytes et de cellules myéloïdes survivront et produiront des anticorps. HGPRT : Hypoxanthine-Guanine Phosphoribosyl Transférase ; TK : Tyrosine Kinase ; Ig : Immunoglobuline. (Janeway et al., 2009; Kindt et al., 2008; Köhler & Milstein, 1975)

Plusieurs anticorps monoclonaux murins à visé thérapeutique ont été développés à partir des hybridomes, dont le Muromonab (Orthoclone OKT3®, Centocor Ortho Biotech Inc., Horsham, Etats-Unis d'Amérique), qui fut le premier anticorps approuvé pour un usage thérapeutique (1986). (Emmons & Hunsicker, 1987) Les anticorps possèdent des déterminants antigéniques différents entres les espèces, et peuvent donc se comporter comme de puissants immunogènes. Si ces anticorps murins thérapeutiques sont reconnus comme non-Soi par le système immunitaire, comme les anticorps polyclonaux équins, l'organisme va alors les éliminer, principalement en produisant des anticorps anti-anticorps thérapeutiques. (Hwang, Almagro, Buss, Tan, & Foote, 2005; Hwang & Foote, 2005; Mirick, Bradt, Denardo, & Denardo, 2004) On peut distinguer les anticorps anti-isotypes, anti-allotypes et anti-idiotypes :

• Les anticorps anti-isotypes reconnaissent tous les anticorps de même

isotype d'une autre espèce. Ils reconnaissent donc des épitopes codés par les régions constantes des immunoglobulines. De tels anticorps peuvent par exemple être utilisés pour déterminer la (sous)-classe de l'anticorps sérique

produit au cours de la réponse immunitaire. L'organisme humain ne développe de tels anticorps que contre les anticorps thérapeutiques entièrement non-humains.

• Les anticorps anti-allotypes reconnaissent des épitopes propres à certains

allèles des gènes constants. Ils ne reconnaitront donc que les immunoglobulines d'un isotype donné produites par certains individus

d'une espèce. (Geertje M Bartelds et al., 2010) Par exemple, de tels

anticorps peuvent être formés durant la grossesse par le système immunitaire de la mère, et être dirigés contre les allotypes paternels présents dans les immunoglobulines du fœtus.

• Les anticorps anti-idiotypes reconnaissent des épitopes formés durant le

processus de maturation d'affinité dans les domaines variables des anticorps (cf paragraphe "2.5.3) Maturation d'affinité") et ne reconnaissent donc qu'un anticorps unique. (Greenspan & Bona, 1993)

Les anticorps humains peuvent donc être reconnus comme non-Soi par l'organisme et être éliminé. L'organisme a donc mis en place un système qui repose sur un équilibre entre une introduction de diversité, qui permet de cibler tous les antigènes, mais qui fait que les anticorps n'appartiennent plus strictement au Soi immunologique. Cet équilibre repose notamment sur le fait que les anticorps d'une spécificité donnée ne sont pas sécrétés en permanence.

A l'exception des cas où les anticorps thérapeutiques murins induisent une immuno-suppression, leur origine conduit l'organisme des patients traités à synthétiser des anticorps anti-anticorps murins, essentiellement de type anti-isotype, qui favorisent l'élimination de l'anticorps, et peuvent conduire à un échec thérapeutique. Cette élimination est aussi la cause d'autres phénomènes délétères comme par exemple le dépôt des complexes anticorps humain/anticorps thérapeutiques au niveau des glomérules rénaux. Actuellement, les anticorps murins ne sont que peu utilisés en thérapie, et il n'existe actuellement que cinq anticorps

monoclonaux murins à visé thérapeutique sur le marché (Figure 26). Cependant la technologie

des hybridomes a constitué une révolution dans le domaine du diagnostic in vitro et de la

recherche. Ces anticorps monoclonaux ont un rôle central, par exemple pour la cytométrie en flux, la purification de protéine ou encore la déplétion de cellules.

La technologie des hybridomes ne peut que difficilement être appliquée à des cellules humaines. Le problème principal limitant l'application de la technologie des hybridomes aux l'ymphocytes B humain est l'absence de lignée cellulaires pouvant servir de partenaire de fusion pour immortaliser les lymphocytes humains. De plus, l'application de la technologie des hybridomes aux anticorps humains nécessite d'avoir accès à des lymphocytes B issus de volontaires immunisés ou de patients convalescents. Cette technique ne peut donc pas être appliquée à tous les antigènes, et en particulier elle ne peut éthiquement pas être appliquée aux agents du risque biologique provoqué, qui ne sont pas rencontrés naturellement. Néanmoins, les avancées récentes en biologie moléculaire et cellulaire et l'absence de brevet limitant l'utilisation de la technologie des hybridomes ont donné un regain d'intérêt pour la technologie des hybridomes. La fréquence des lymphocytes B dans le sang périphérique total exprimant des anticorps dirigés contre l'antigène d'intérêt étant très faible, il est nécessaire d'isoler, par tri cellulaire, ces lymphocytes spécifiques avant toute immortalisation. Leur

immortalisation peut aussi être réalisée en utilisant le virus d'Epstein Barr (Epstein Barr

Virus, EBV), responsable du lymphome de Burkitt et de la mononucléose infectieuse. (G. Miller, 1982; Nilsson, Klein, Henle, & Henle, 1971; Steinitz, 2009) L'EBV va infecter les lymphocytes B en se fixant au CD21 et au CMH de classe II, puis induire l'expression de la

protéine EBNA (Epstein-Barr ,uclear Antigen) qui inhibe l'apoptose en bloquant la protéine

bcl2. Cependant les cellules immortalisées par l'EBV sont difficiles à cloner et ne produisent qu'une faible quantité d'anticorps. Pour remédier à ce problème, il est possible d'effectuer un sauvetage en les fusionnant avec une cellule non-humaine pour donner un hétérohybridome immortel, ce qui a reposé le problème d'identifier une lignée cellulaire compatible. Il est aussi possible de cloner les gènes codant les anticorps en utilisant les techniques moléculaires. Plusieurs études se sont aussi intéressées à la transfection des lymphocytes avec des gènes induisant la transformation cellulaire. Par exemple, l'expression ectopique de la sous unité

catalytique de la télomérase en combinaison avec la transfection de l'oncogène SV40 (Simian

Vacuolating Virus 40 T Antigen) et l'allèle oncogène de H-ras ont été démontrés comme

permettant la transformation de cellules épithéliales et fibroblastiques. (Hahn et al., 1999)

La société Vivalis (Vivalis, http://www.vivalis.com, La Corbière, France) a développé

la technologie VIVA|ScreenTM qui permet de sélectionner un lymphocyte B sécrétant un

anticorps d'intérêt parmi plus de 200 millions de cellules mononucléées du sang périphérique, issues de patients convalescents. Après prélévement des cellules mononucléées, les lymphocytes B sont isolés, activés, multipliés puis immortalisés. Après des étapes de sélection contre l'antigène, les gènes codant l'anticorps d'intérêt sont isolés et clonés dans un vecteur

permettant son expression dans les lignées cellulaires stables CHO ou EB66® (Vivalis, La

Corbière, France). Les cellules EB66® permettent en particulier de moduler le profil de

glycosylation des anticorps et ainsi d'optimiser l'ADCC.

Nom générique Nom commercial Entreprise Cible Particularités Prescription Première AMM

Catumaxomab REMOVAB® Fresenius Biotech GmbH TRION Pharma EPCAM Cancers gastriques et ovariens.

Ascites malignes. 20 avril 2009 (EMA) Edrecolomab PANOREX® Centocor Inc.

GlaxoSmithKline EPCAM Cancers du colon

01 janvier 1995 (Allemagne) Ibritumomab tiuxetan ZEVALIN® Biogen IDEC Pharmaceuticals

Schering AG MS4A1

Conjugué au tiuxetan pour être radiomarqué avec Y-90 ou In-111

Lymphome non-Hodgkinien 19 février 2002 (FDA) Muromonab-CD3 ORTHOCLONE OKT3® Centocor Ortho Biotech Products LP CD3E Transplantation du foie, des reins et

du coeur

19 juin1986 (FDA) Tositumomab BEXXAR® Corixa Corp.

GlaxoSmithKline MS4A1 Radiomarqué I-131 Lymphome non-Hodgkinien

27 juin 2003 (FDA)

Figure 26 : Liste des anticorps monoclonaux murins disposant d'une autorisation de mise sur le marché pour un usage thérapeutique.

AMM : Autorisation de Mise sur le Marché. FDA : U S Food and Drug Administration. D'après IMGT (http://www.imgt.org), en date du 21/02/2013.