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CHAPITRE 1 Revue de la littérature : de l’émergence du mouvement nationaliste

4. Les analyses du mouvement afrikaner post-apartheid : la mort du nationalisme et

4.2 Les Afrikaners, la nouvelle minorité discriminée

d’adolescents afrikaners (ou ceux qu’on appelle les born-free) que l’auto-identification des individus est complexe et changeante en fonction des situations sociales. En effet, dans notre perspective, « collectivities and individuals have multiple and conflictual identities over which

there can be no final consensus » (Hutchinson 2005 : 5).

Plutôt que de placer au cœur de l’analyse les débats sur la nature nationaliste ou non du mouvement, la question de la continuité entre le mouvement pré-1994 et celui post-apartheid nous semble plus féconde pour comprendre le phénomène actuel. Un élément central de la thèse de Kriel pour notre étude est qu’elle soutient que le nouveau mouvement afrikaner s’inscrit dans une « certaine continuité » (loose continuity) avec le mouvement nationaliste. L’auteure expose qu’il y a continuité, car la promotion de l’afrikaans dans la période post-apartheid s’effectue aussi par l’entremise d’organisations de la société civile ancrées dans les communautés locales. Comme nous le démontrons dans la thèse, la préservation de la langue n’est pas l’unique aspiration du nouvel activisme ethnique. D’ailleurs, la littérature sur le mouvement post-apartheid met en lumière un nouveau type de manifestation identitaire : celui de la mobilisation de la catégorie des minorités discriminées.

4.2 Les Afrikaners, la nouvelle minorité discriminée

Dans son étude, Davies (2009) soutient que plusieurs organisations « jouent la carte des minorités ». D’après cette auteure, le discours sur les droits des minorités est une nouvelle manifestation de l’identité afrikaner depuis la chute de l’apartheid. Elle a observé que ce discours provient de l’ancienne garde nationaliste et trouverait une résonnance variable dans la population. Comme nous le démontrons dans la thèse (voir surtout le chapitre 5 à ce sujet), la protection des

droits des minorités est l’enjeu central dans les nouvelles manifestations de l’afrikanerité, malgré que les bases de ce discours avaient d’abord été élaborées par les opposants de la droite afrikaner, soit le courant des verligtes lors des négociations entre le NP et l’ANC. Par conséquent, cette manifestation est plutôt une adaptation qu’une nouveauté. Ce que nous observons est donc une récupération et une adaptation de ce discours pour les besoins politiques du SoMo. Comme Grobbelaar (1998 : 396) l’a mentionné,

the era of Afrikaner nationalist activity in South Africa is not quite the vestige of the past that most of us would want to believe it to be. [...] It is [...] clear that the growing

international respectability and legitimacy attributed to issues of ethnicity, ethnonationalism and diversity together with the culture of dialogue and negotiation in South Africa, are playing a vital role in attempts to address Afrikaner nationalist identity. Afrikaner nationalist elites dominating the movement are at present and in

general committed to `trading’ and negotiating. The questions of soft territorial boundaries and relative cultural autonomy are on the constitutional menu in South Africa for the foreseeable future.

To suggest that Afrikaner nationalism is a completely empty and spent force would be to misunderstand the modern history of South Africa. […] if threat and insecurity [...] were to become the dominating culture [...], it is more than likely that the support for the vision of the [nationalists] would grow significantly [...] and we will not have heard the last of this once powerful force ».

En effet, l’environnement institutionnel national et international offre des opportunités de mobilisation sur de nouvelles bases. Bien que la constitution ne fait aucune mention de la protection des droits des minorités, des principes et des institutions en matière de protection des communautés culturelles et linguistiques existent dans la constitution. De plus, la réintégration de l’Afrique du Sud démocratique à la communauté internationale implique des engagements en matière de protection des droits humains dont la protection des droits des minorités est corolaire.

Nous avons montré que des auteurs soulignent l’existence d’un mouvement linguistique imbriqué dans un narratif plus général sur les minorités qui vise à cadrer les Afrikaners comme telles (Giliomee 2003, Davies 2009, Kriel 2012). C’est face à ce constat que Alsheh et Elliker ajoutent que

there is an art to becoming a minority : transforming populations that happen to have a shared interest that is different from what the sovereign demos defines as the general interest, into a self-conscious and self-organised community that is politically effective in legitimately promoting its interests » (Alsheh et Elliker 2015 : 4).

En effet, pour que cette catégorie ait une résonnance parmi la population, il faut que des entrepreneurs et leurs organisations les transforment en cadrant celle-ci comme une minorité qui aurait des intérêts différents de ceux de la majorité. C’est en invoquant la catégorie des minorités et en posant des actions que des organisations cherchent à obtenir une légitimité pour parler en leur nom. Les nouveaux activistes sont effectivement devant un défi de taille : les Afrikaners sont en minorité, sans possibilité de retrouver la domination politique qui leur permettait de protéger les intérêts socioéconomiques et culturels.

Au contraire de ce que Alsheh et Elliker (2015 : 3) mentionnent, le fait d’être une minorité est un important bien politique, car la catégorie permet de s’opposer légitimement à des mesures qui seraient défavorables à leur égard en vertu de protections constitutionnelles de la diversité et du droit international en la matière. La catégorie des minorités est donc une base pour l’action politique. La littérature sur le mouvement post-apartheid a identifié l’existence de la catégorie cette nouvelle manifestation, mais sans répondre aux questions suivantes : quels sont les objectifs du discours et comment la catégorie des minorités est maintenant articulée. Bien que les auteurs offrent un bon point de départ pour comprendre le nouveau mouvement, ils sont ambigus dans leur démonstration conceptuelle : elle est plutôt concentrée une discussion de la politisation de l’ethnicité et moins sur cet « art de devenir une minorité ».

L’ombre du régime de l’apartheid est encore très présente sur toutes initiatives mises en place pour protéger les intérêts des Afrikaners et les entrepreneurs ethnopolitiques sont bien au fait de ce défi. Comme le mentionne Kriel (2013 : 272), les droits et les intérêts des Afrikaners sont défendus « unashamedly » par les nouveaux activistes alors qu’il n’est pas anormal de voir

des minorités ethniques s’organiser pour protéger leurs droits et leurs intérêts. Cette remarque fait ressortir une caractéristique de la littérature sur le mouvement post-apartheid. Les analyses des auteurs (pour la plupart Sud-africains) sont marquées par leur positionnement à l’égard de la politisation de l’afrikanerité. Sans être nécessairement explicites, certains la dénoncent et au contraire, d’autres la soutiennent. La mobilisation afrikaner est vue d’un mauvais œil par plusieurs en raison du poids du passé et des liens antérieurs du SoMo avec la droite (et parfois même l’extrême droite pour certains membres). Par conséquent, cette image négative doit être transformée par les activistes pour que l’action politique soit efficace et légitime.

5. Conclusion : la mobilisation afrikaner entre continuité et transformation

La revue de la littérature nous a permis d’identifier certains points essentiels à notre analyse. D’abord, le mouvement nationaliste a été marqué par des tensions intraethniques, créées par des trajectoires divergentes entre le Nord et le Sud. En effet, le mouvement du Nord s’est développé dans un esprit républicain décentralisateur qui favorisait le rejet de la politique partisane au profit de la préservation de l’authenticité afrikaner et de son caractère sacré face à « l’Autre » britannique dominant. L’afrikanerité s’y est institutionnalisée par l’entremise d’organisations de la société civile, censées promouvoir l’autonomie des communautés locales et sauver les descendants des Voortrekkers de la pauvreté et de la déchéance culturelle et sociale. Parmi ces organisations, les syndicats ethniques ont notamment été des acteurs clés de la mobilisation identitaire en organisant « ethniquement » les travailleurs qui ont donné leur soutien au NP jusqu’à ce que le parti mette en oeuvre des réformes du régime de l’apartheid.

Le broedertwis a par la suite créé une fracture du mouvement nationaliste entre les « libéraux » et les conservateurs. Ces deux camps avaient non seulement une vision divergente de