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CHAPITRE 2 Cadrage théorique : entre passé, présent et futur Comprendre la

2. Le présent : les processus de restructuration idéologique et de l’action politique

2.2 Le group-making des minorités ethniques et raciales discriminées

de la transition démocratique, n’est pas adaptée aux réalités africaines, car elle ne respecte pas les particularismes identitaires alors que la société est très divisée. Ils mentionnent que ces divisions constituent une menace pour l’ensemble des Sud-africains qui font tous partie d’un groupe ethnolinguistique spécifique. C’est ainsi que l’ANC est présenté comme le gardien d’un système qui institutionnalise la domination et l’hostilité face aux Afrikaners et aux autres minorités ethnolinguistiques. Face à ce constat, une stratégie politique qui se porte au secours de ce qui est appelé les minorités discriminées a été mise sur pied par le SoMo

2.2 Le group-making des minorités ethniques et raciales discriminées

Notre analyse met ensuite en lumière les processus de group-making ou comment la catégorie des minorités discriminées est proposée, articulée et institutionnalisée (Brubaker 2002 : 170). Pendant la transition, le projet du mouvement conservateur était la création du volkstaat afrikaner qui a échoué. Malgré que les élites conservatrices aient diffusé une afrikanerité qui nécessitait l’autonomie territoriale pour préserver leur autodétermination à l’aube de la transition, la majorité de la population n’a pas répondu à cet appel. Il fallait donc trouver un projet ayant une meilleure résonnance chez la population. La démocratisation du régime et la prise du pouvoir par l’ANC ont rendu certaines avenues improbables, comme la sécession territoriale, mais offrent aussi de nouvelles opportunités de mobilisation comme celle sur la base de la catégorie des minorités discriminées.

Nous démontrons que la protection des droits des minorités discriminées est une catégorie instrumentalisée pour confronter les orientations de l’ANC en matière de cohésion sociale et pour défendre les intérêts des Afrikaners qui seraient violés par celles-ci. Cette stratégie politique

s’effectue au niveau national par des campagnes de sensibilisation de l’opinion publique et par l’utilisation des canaux juridiques; et qu’au niveau international au sein d’instances des Nations unies (NU) en matière de protection des droits des minorités culturelles, religieuses, raciales et linguistiques. Le processus de group-making soutient que les minorités raciales et ethniques sont délibérément discriminées par le gouvernement de l’ANC. D’après les entrepreneurs ethnopolitiques, la discrimination gouvernementale qui viserait à éliminer les particularismes identitaires et homogénéiser la société sud-africaine constitue une menace non seulement pour les Afrikaners, mais pour l’ensemble des minorités qui revendiquent leur droit à la différence par rapport à la majorité. Par exemple, les politiques de construction de la nation de l’ANC sont présentées comme une menace aux intérêts socioéconomiques, dans la mesure où les politiques d’affirmative action (AA) seraient des obstacles pour l’accès à l’emploi de tous ceux qui ne sont pas Noirs.

Tel que relevé précédemment, les nouveaux activistes ethniques seraient « avides d’utiliser la Constitution pour promouvoir activement l’afrikaans et résister à ce qu’ils appellent la discrimination injuste envers les minorités » (Giliomee 2003 : 703). Cet appel à la solidarité raciale s’effectue surtout au niveau de la dénonciation des politiques d’AA qui défavoriseraient aussi les Coloureds et les Indiens, les deux autres catégories raciales héritées de l’apartheid. Solidarity a fait de ce que ses activistes appellent la lutte contre la discrimination raciale injuste en matière de l’accès à l’emploi, le principal cheval de bataille de l’Organisation. Cette campagne implique différentes stratégies pour exercer une pression sur le gouvernement pour réviser ses politiques et rééquilibrer les rapports entre la majorité et les minorités. Alors que les stratégies discursives et judiciaires reliées aux minorités raciales sont dans une certaine mesure rassembleuses, lorsqu’il est question des minorités ethniques discriminées, le mouvement se concentre sur les Afrikaners (tout en reconnaissant le droit des autres minorités ethniques à se

mobiliser pour protéger leurs droits). Cette dernière catégorie est utilisée par les élites du SoMo lorsqu’elles dénoncent la disparition de l’afrikaans dans les institutions d’enseignement et le monolinguisme anglais, ce qui constitue une menace à la transmission de la langue et à la survie de l’identité. Le dernier enjeu sur lequel la catégorie des minorités ethniques discriminées est utilisée est lorsqu’il est question des meurtres de fermiers afrikaners. Les élites du SoMo déclarent que le gouvernement ignore volontairement la violence à l’égard des fermiers ce qui constitue la discrimination la plus grave. Les violences sont cadrées comme ethniques et le gouvernement est accusé d’alimenter délibérément la haine envers les Afrikaners par des déclarations racistes.

Enfin, bien que le processus de création des minorités raciales et ethniques discriminées ait été traité comme une nouvelle manifestation de l’afrikanerité depuis 1994, il y a tout de même continuité avec certains éléments du mouvement nationaliste. D’abord, lorsque les Afrikaners ont rencontré des crises, c’est-à-dire lorsque ces derniers se sont retrouvés dans une situation où leur existence même était interprétée comme étant menacée, l’appréhension des frontières identitaires s’est modifiée (van Jaarsveld 1964). En effet, la littérature sur le nationalisme afrikaner exposée précédemment nous a montré que le mouvement s’est d’abord articulé dans une opposition entre Afrikaners et Britanniques pour ensuite se déplacer vers l’opposition entre les Blancs et les Noirs (et les Coloureds et Indiens). Tout comme l’ont fait leurs prédécesseurs, l’opposition entre le « Nous » et les « Autres » est au cœur du projet politique du SoMo. En cadrant le gouvernement comme un violateur des droits des minorités, les entrepreneurs ethnopolitiques renforcent l’image du nouvel « Autre » contre lequel les Afrikaners doivent se protéger. Ensuite, nous démontrons que le discours sur les droits des minorités s’inscrit dans la continuité de ce que le NP avait établi comme conditions de négociations avec l’ANC. Donc, après que les organisations héritées du mouvement nationaliste conservateur aient désavoué le NP, elles ont repris les mêmes thèmes

comme base de l’action politique.

De plus, cette opposition contribue au processus de redéfinition de l’afrikanerité. En effet, les nouveaux activistes se présentent comme les « vrais » démocrates au contraire de l’ANC qui violerait les principes constitutionnels et le droit international en matière de protection des droits des minorités. Ce cadrage est donc primordial pour modifier l’image des Afrikaners qui deviennent des militants pour les droits humains et la démocratie plutôt qu’être des suprémacistes comme les anciens nationalistes. Conjointement avec leur projet politique, les élites du SoMo ont mis sur pied un réseau d’organisations visant à mettre en pratique le mythe sur l’autosuffisance afrikaner pour remédier aux déficiences des initiatives gouvernementales en matière de prestation de services et de protection des intérêts culturels et socioéconomiques.

3. Le futur : l’institutionnalisation des niches d’autosuffisance afrikaner

Nous avons mentionné précédemment que les périodes de chocs sont des moments propices aux « éveils historiques » qui « se manifestent par la recherche de modèles concrets » (Hutchinson 2000 : 657). Tel qu’exposé ci-dessus, l’autosuffisance des communautés afrikaners a été identifiée comme la voie à suivre pour redéfinir l’afrikanerité par les élites du SoMo. Ce cadrage de l’afrikanerité s’est accompagné par la mise sur pied d’organisations issues de la société civile pour mettre en œuvre l’autosuffisance communautaire. Pour comprendre ce phénomène, nous soutenons que les catégories identitaires ont besoin de niches écologiques dans lesquelles elles peuvent survivre et se développer par la routinisation organisationnelle (Brubaker 2002 : 185). Brubaker donne en exemple les systèmes scolaires parallèles pour les minorités hongroises en Roumanie. Il mentionne que ces niches donnent

a legitimate institutional home and a protected public space for the category. They also generate the social structural foundations for a small Hungarian world within the