• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 4 « Our survival is to take more self-responsability » : le cadrage de

2. L’interprétation de l’apartheid comme une anomalie historique

Un des grands défis de la restructuration du mouvement identitaire et du cadrage de la nouvelle afrikanerité est de se distancer du régime de l’apartheid. Il est en effet crucial pour les dirigeants de Solidarity de trouver des moyens pour insérer l’activisme ethnique de l’organisation comme une mobilisation politique légitime ne souhaitant pas perpétuer le « white

privilege ». Un intervenant affirme à ce sujet que

the Afrikaner people is still seen and rightly so responsible for apartheid. We think that one of the best way to respond to apartheid is to help recreate ourselves along democratic lines. To recreate the Afrikaner people as a real democratic people (FAK –

entretien 7 octobre 2014).

Pour les dirigeants de Solidarity et du SoMo, le cadrage des Afrikaners comme « un peuple démocratique » est un des meilleurs moyens de s’éloigner du régime de l’apartheid, sans toutefois nier la responsabilité de la communauté. En adéquation avec le mythe de l’autosuffisance, l’organisation interprète l’apartheid comme une anomalie historique, contraire à l’essence afrikaner.

Selon le mythe de l’autosuffisance, les Afrikaners auraient payé un très grand prix durant cette période : celui de la perte de leur autonomie sous un régime centralisé où ils sont devenus de plus en plus dépendants de l’État. Bien que la rupture avec l’apartheid appuie l‘idéologie de Solidarity, elle ne peut cependant pas être réduite qu’à une simple stratégie. Tout comme L.J. du Plessis, un fervent nationaliste culturel41, le rejet de l’apartheid par Solidarity expose une idéologie où l’individualisme et la démocratie parlementaire sont discrédités, au profit de la priorisation du développement autonome des communautés. C’est par l’établissement d’institutions communautaires que les Afrikaners auraient survécu en Afrique. Dans cette longue tradition de l’autosuffisance, l’apartheid ne représente qu’une courte période de temps (Solidarity

– entretien 9 octobre 2014). L’instauration d’un régime fortement centralisé à partir de 1961 est interprétée comme de l’hostilité gouvernementale à l’égard des Afrikaners, au même niveau que l’impérialisme britannique. L’opposition actuelle au régime de l’apartheid semble oublier le fait que le système était bénéfique pour les travailleurs miniers blancs ainsi que les Blancs de manière générale. Jusque dans les années 1970, les emplois étaient protégés par des politiques discriminatoires. Autant durant l’apartheid, l’autodétermination afrikaner servait à justifier le régime, autant depuis la transition démocratique, ces mêmes éléments servent à le discréditer.

L’apartheid est non seulement contraire au cadrage de l’organisation, mais le régime est interprété comme le responsable de la division des Afrikaners et de leur actuelle faible confiance en soi en tant que communauté. Un intervenant soutient que

even before the 80s, the apartheid destroyed the inner cohesion and the self-image of the Afrikaners. Due to internal critics on apartheid and external critics we internalized that and it created preconditions of extreme forms of lack of self confidence amongst Afrikaners. The lack of a positive collective self image are reflected in these hardcore racist tendencies. If we are recreating Afrikaners along democratic lines, recreating our own institutions, we will also create the preconditions for getting away from forms of racism. For us, racism is an evil, it’s doing us bad, bad, bad... (FAK – entretien 7 octobre 2014).

En effet, dans la période post-apartheid, les Afrikaners se voient souvent accoler l’étiquette de racistes. Pour Solidarity, la reconstruction de la communauté allait obligatoirement devoir passer par le recadrage de la signification donnée à la catégorie raciale.

Dans l’interprétation des dirigeants de Solidarity, l’ethnicité est priorisée plutôt que la catégorie raciale. Comme exemple de la centralité de l’ethnicité comme cadre cognitif, le président-directeur général de Solidarity a remis en question la légitimité de l’orientation de la MWU envers la protection des Blancs dans les années 1970. Il soutient qu’à cette époque, la race a été préférée à la culture afrikaner par le secrétaire général de la MWU. Il ressort de l’entrevue qu’étant donné qu’il avait des origines syriennes, il a été classé dans la catégorie « blanche » par

l’État de l’apartheid. Par conséquent, l’éducation de ce dernier a été faite en afrikaans, mais il ne pouvait prétendre parler au nom des Afrikaners en raison de ses origines étrangères. D’après l’intervenant, cela expliquerait la réorientation de la MWU vers l’appartenance à la catégorie raciale comme projet rassembleur au détriment de l’ethnicité (Solidarity – entretien 16 cotobre 2014)42.

Dans la suite de la réflexion de l’intervenant, la même logique est attribuée à Hendrik Verwoerd. Ce dernier, originaire des Pays-Bas, a reçu une éducation en afrikaans. Par conséquent, l’ancien président n’était pas un Afrikaner. Tout comme le secrétaire général de la MWU des années 1970, Verwoerd ne pouvait prétendre parler au nom des Afrikaners (Solidarity – entretien 16 octobre 2014). D’après l’intervenant, c’est pourquoi le NP et le mouvement nationaliste afrikaner auraient favorisé la catégorisation raciale à partir des années 1960 plutôt que de conserver l’accent sur l’afrikanerité. La réconciliation raciale entre les Afrikaners et les Britanniques effectuée par le NP durant l’apartheid est interprétée comme le fruit d’une classification par un homme politique étranger, non afrikaner.

Ces affirmations vont dans le sens du transfert opéré par Solidarity vers la défense de l’afrikanerité plutôt que la protection de la langue. Comme mentionné précédemment, il y a eu une transition de l’afrikaans vers l’afrikanerité (Solidarity – entretien 9 octobre 2014). Malgré que la langue offre une certaine proximité avec des membres de catégories identitaires différentes ayant l’afrikaans comme langue maternelle, l’afrikanerité est au cœur de l’activisme de Solidarity. Depuis 1998, l’organisation appuie officiellement les principes de la liberté d’association (Visser 2006 : 35), mais dans les faits, elle est encore très fermée. Par exemple, lorsqu’il a été question de l’intégration des descendants britanniques au sein de Solidarity et de

42 Le 27 février 1967, Petrus Jacobus « Arrie » Paulus est élu au poste de secrétaire général de la MWU. Il restera en poste

jusqu’en 1987. Une recherche documentaire n’a pu confirmer que ce dernier avait des origines syriennes (Solidarity 2014). L’affirmation a été conservée pour exposer la distanciation effectuée entre la catégorie raciale blanche et l’ethnicité afrikaner dans les rangs de Solidarity.

son mouvement, un haut dirigeant soutient que « we include them but we are very careful not to

be a white movement. If the British see South Africa as their home, they can join us. Coloured and Indians (muslims) who feel threatened, they can joined us. Black people can also join us. But there’s not a lot of them » (Solidarity - entretien 16 octobre 2014). Comme cette citation le

démontre, le sentiment de menace ressentie à l’égard de la domination de l’ANC est le critère déterminant sur lequel les dirigeants de l’organisation souhaitent trouver des appuis.

Il a une ouverture chez les dirigeants du SoMo envers d’autres communautés. Concernant l’ouverture, un des intervenants d’Afriforum mentionne que

we had to give a new content to the Afrikaner identity. We have to become a community that respect the dignity of all the other groups in the world and in this country and to build our future path on mutual recognition and respect. It is something new that we have to bring in our campaigns to attain a higher moral ground, not like in the past (Afriforum – entretien 6 octobre 2014).

Sauf que l’ouverture n’est pas chose nécessairement facile. L’affirmation montre aussi la persistance de la dichotomie entre Afrikaners et les Anglophones de descendance britannique. En effet, l’accent sur la protection de l’afrikaans face à la domination de l’anglais et le rejet de l’« English type of democracy »43 rend les rapprochements avec les descendants britanniques assez difficiles. La perception des individus catégorisés comme des Anglais maintient les divisions héritées du passé. Pour un intervenant d’Afriforum, « the English still have their

homeland, England, Afrikaners have no choice, we have to build strong institutions to survive. The English have a double passport to acces Britain » (Afriforum – entretien 6 octobre 2014).

Cette vision transmet la croyance que les Anglophones sud-africains pourraient retourner quand ils le désirent en Angleterre, leur véritable patrie. Malgré cette perception, ils joindraient tout de même des institutions du SoMo pour les fonctions (comme rendre les municipalités meilleures) plutôt que pour les sentiments, car « English [la langue] is international, it is not threatened.

English people, they have an international identity. That’s why they don’t have strong institutions. They assimilate » (Afriforum – entretien 6 octobre 2014). La menace du

monolinguisme anglais transparait de ces interprétations et diffuse l’image de la continuité de la domination.

L’afrikanerité est liée à l’attachement au continent africain qui trace une frontière par rapport aux autres Blancs qui ne seraient ni des Afrikaners, ni de « vrais » Africains. Dans le discours sur l’histoire des Afrikaners, les membres de ce qui est parfois appelé la « tribu blanche d’Afrique » auraient survécu dans l’environnement hostile sud-africain grâce à leur identité ethnique. Les élites du SoMo déplorent que l’ANC ne reconnaisse pas l’africanité des Afrikaners, par conséquent, qu’ils soient traités comme des étrangers et des colonisateurs. Comme un des intervenants d’Afriforum le mentionne, en Afrique du Sud, « a white is not African » (Afriforum – entretien 14 mars 2014). Le déni des autorités de ce niveau d’identité est vu comme une menace supplémentaire à leur survie. Bref, pour les élites de Solidarity, la catégorie raciale n’est pas un élément central dans le cadrage de l’afrikanerité post-apartheid, du moins officiellement (voir le chapitre 6 concernant les interprétations racistes de certains dirigeants du SoMo).

Malgré les difficultés d’ouverture du mouvement aux non-Afrikaners, dans la perspective de Solidarity, leur manière de cadrer le mouvement identitaire est le meilleur moyen pour les Afrikaners, d’intégrer la nouvelle Afrique du Sud. Dans la perspective du FAK,

we see the institutions that we are creating right now as intrinsically dependent of the rest of South Africa. You cannot create autonomous structures and think that you are completely autonomous from the rest. It’s impossible. We recognize our dependency. If we create good functioning institutions the rest can be also be helped. We don’t isolate ourselves from South Africa, we see ourselves intrinsically part of South Africa. The preconditions for us to play a good role is to have the necessary institutions where which can also care for ourselves and also care for the rest, for the Other. It’s an interplay between the Self and the Other within the same structure (FAK – entretien 7 octobre 2014).

Les élites de Solidarity voient les Afrikaners comme une part entière de la nouvelle Afrique du Sud. La création d’institutions autosuffisantes serait un moyen de contribuer activement à la société sans toutefois exposer clairement quelles sont les contributions de ce mode de fonctionnement. Enfin, les contributions les plus importantes restent circonscrites aux membres de l’organisation qui sont majoritairement des Afrikaners surtout que les frontières identitaires sont assez étanches comme le prouvent les déclarations sur les Britanniques qui constituent toujours une catégorie contre laquelle les entrepreneurs définissent l’afrikanerité. La définition du « Nous » s’accompagne de la délimitation des frontières avec un « Autre » auquel des attributs antagonistes sont donnés.

3. La définition d’un nouvel « Autre »

Tout comme la petite-bourgeoisie afrikaner qui attribuait à l’impérialisme britannique la source de tous leurs problèmes (O’Meara 1983 : 55), les élites de Solidarity ont aussi construit un virulent discours antigouvernemental. Ce dernier soutient que les Afrikaners doivent une fois de plus survivre dans un environnement défavorable, dominé par le gouvernement centralisateur et hostile de l’ANC. Un entretien fait ressortir que

we are interpreting the early 19th century as a typical example of how a community can care for itself. And the examples in the 1920s and 1930s is very important for us. We had no economic power, no political power and we were socially marginalized at that time. We must always remember that we grew from the background of the Anglo-Boer war. The whole nationalist movement was a way to respond to that (FAK – entretien 7 octobre 2014).

Bien au fait de la trajectoire historique du nationalisme afrikaner, les dirigeants de Solidarity se sont engagés dans la continuité avec la voie pavée par leurs précurseurs. Comme au temps de l’émergence du nationalisme afrikaner, la construction d’un « Autre » hostile et dominant, alimente l’urgence de la mobilisation pour assurer la survie ethnique. L’appel à la mobilisation