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Le futur : l’institutionnalisation des niches d’autosuffisance afrikaner

CHAPITRE 2 Cadrage théorique : entre passé, présent et futur Comprendre la

3. Le futur : l’institutionnalisation des niches d’autosuffisance afrikaner

De plus, cette opposition contribue au processus de redéfinition de l’afrikanerité. En effet, les nouveaux activistes se présentent comme les « vrais » démocrates au contraire de l’ANC qui violerait les principes constitutionnels et le droit international en matière de protection des droits des minorités. Ce cadrage est donc primordial pour modifier l’image des Afrikaners qui deviennent des militants pour les droits humains et la démocratie plutôt qu’être des suprémacistes comme les anciens nationalistes. Conjointement avec leur projet politique, les élites du SoMo ont mis sur pied un réseau d’organisations visant à mettre en pratique le mythe sur l’autosuffisance afrikaner pour remédier aux déficiences des initiatives gouvernementales en matière de prestation de services et de protection des intérêts culturels et socioéconomiques.

3. Le futur : l’institutionnalisation des niches d’autosuffisance afrikaner

Nous avons mentionné précédemment que les périodes de chocs sont des moments propices aux « éveils historiques » qui « se manifestent par la recherche de modèles concrets » (Hutchinson 2000 : 657). Tel qu’exposé ci-dessus, l’autosuffisance des communautés afrikaners a été identifiée comme la voie à suivre pour redéfinir l’afrikanerité par les élites du SoMo. Ce cadrage de l’afrikanerité s’est accompagné par la mise sur pied d’organisations issues de la société civile pour mettre en œuvre l’autosuffisance communautaire. Pour comprendre ce phénomène, nous soutenons que les catégories identitaires ont besoin de niches écologiques dans lesquelles elles peuvent survivre et se développer par la routinisation organisationnelle (Brubaker 2002 : 185). Brubaker donne en exemple les systèmes scolaires parallèles pour les minorités hongroises en Roumanie. Il mentionne que ces niches donnent

a legitimate institutional home and a protected public space for the category. They also generate the social structural foundations for a small Hungarian world within the

larger Romanian one. [T]his world is to a certain extent a self-reproducing one

(Brubaker 2002 : 185).

Ce type d’institution vise à institutionnaliser l’ethnicité, non pas de manière dramatique et extrême, mais par des gestes au quotidien. Au sein de ces structures parallèles hongroises, les individus sont socialisés aux interprétations des entrepreneurs ethnopolitiques. Elles sont donc un moyen d’assurer un degré d’endogamie plus élevé que si les individus d’une même catégorie devaient fréquenter des institutions scolaires hors des frontières ethniques. Ces réseaux ethniques ont l’avantage de pouvoir exister sans un degré élevé de groupness, « largely through the logic of

contact probabilities and opportunity structures and the resulting moderately high degrees of ethnic endogamy » (Brubaker 2002 : 185). Comme le soutient l’auteur, la reproduction sociale

sur la base de ces réseaux ethniques ne requiert pas de forts engagements nationalistes.

Le modèle des niches écologiques s’applique bien à notre cas d’étude. Le SoMo est un réseau d’organisations de la société civile, à caractère ethnique, qui visent à reproduire l’afrikanerité. Ces organisations sont exposées comme étant un moyen de protéger les intérêts culturels, linguistiques et socioéconomiques des Afrikaners, car le gouvernement serait hostile à leur égard. Par conséquent, dans l’esprit de l’autosuffisance, la communauté doit s’occuper elle- même de sa survie. À ce jour, quatorze organisations forment le SoMo. Leurs champs d’expertise touchent différents domaines : le financement du mouvement, la défense des droits civils et le développement des communautés, la défense des droits des travailleurs, les médias et l’enseignement postsecondaire en afrikaans et la recherche sur des enjeux touchant la communauté. Parmi ces institutions, trois sont héritées du mouvement nationaliste afrikaner et les autres sont des créations de la « nouvelle » Afrique du Sud. Nous appelons ces institutions des niches d’autosuffisance, car elles visent non seulement la reproduction de l’afrikanerité, mais aussi à créer un système parallèle d’institutions ethniques qui offrent des services en substitution

à l’État. En d’autres mots, les institutions visent à mobiliser la communauté, à assurer son autosuffisance et à diffuser la nouvelle afrikanerité.

Nous soutenons que la mise sur pied de ce réseau d’organisations ethniques permet aux entrepreneurs ethnopolitiques d’adapter la protection des intérêts communautaires aux effets de la transition démocratique. Non seulement, le gouvernement a écarté toute initiative spécifique de protection des intérêts afrikaners, mais les organisations qui étaient autrefois les piliers du mouvement nationaliste ont soit disparu (comme le NP), soit perdu une grande part de leur influence (comme l’Afrikaner Broerderbond) ou soit se sont détournées des objectifs nationalistes (comme la maison d’édition NasPers ou les entreprises privées qui finançaient autrefois le mouvement nationaliste). Par conséquent, les nouvelles institutions ont émergé d’un vide institutionnel, laissé par les anciennes organisations nationalistes. Malgré que la création du SoMo soit contingente au contexte post-apartheid, nous démontrons que les institutions du mouvement ont été créées dans un esprit de continuité avec l’époque de l’âge d’or nationaliste. En prenant exemple sur le volksbeweging (le mouvement des organisations sociales culturelles, politiques, religieuses et syndicales afrikaners de l’époque de l’âge d’or du nationalisme)24, les élites du SoMo utilisent leur mouvement comme stratégie institutionnelle pour dynamiser la communauté au nom de laquelle ils parlent, tout comme leurs prédécesseurs l’ont fait dans le passé. Les organisations ont été converties pour atteindre les objectifs du mouvement actuel. Ces objectifs sont exprimés en d’autres termes, mais sont assez similaires, soit la quête de l’autosuffisance culturelle et de l’authenticité afrikaner ainsi que la création de l’unité de la communauté. Tout comme le volksbeweging, le SoMo est formé d’organisations sociales, culturelles, à caractère politique et syndical.

24 Avec l’arrivée au pouvoir du NP en 1948, les organisations extraparlementaires sont tombées sous la gouverne du NP. C’est à

Les institutions qui feront l’objet de notre analyse sont Afriforum, Helping Hand, Kraal Publications, Maroela Media, la Fédération des organisations culturelles afrikaners (FAK), Sol- Tech et Akademia (voir le tableau ci-dessous). D’autres ne font pas l’objet d’analyse, car elles n’œuvrent pas directement pour établir des niches d’autosuffisance. Parmi celles-ci, Die Kampus est un projet en cours de réalisation. Ce projet prévoit la construction d’un campus regroupant les deux établissements d’enseignement du mouvement, à hauteur de 150 millions de rands. Ensuite, le Solidarity Research Institute œuvre dans la collecte de données sur des sujets économiques et sociaux. L’institut est mobilisé lorsque jugé nécessaire, comme dans les cas de poursuites judiciaires en matière de discrimination positive. Enfin, les institutions responsables du financement visent à offrir un soutien financier aux activités du mouvement.

Tableau 1 : Les institutions du Solidarity Movement étudiées

Domaines d’intervention Organisations et dates de création

Financement Solidarity Growth Fund

Solidarity Financial Services Solidarity Property Company Solidarity Investment Company Défense des droits civils et développement des

communautés

Afriforum (2006) Helping Hand (1939)

Syndicat Solidarity (1902)

Médias Kraal Publications (2006)

Maroela Media (2011)

Promotion de la culture Federation of afrikaner cultural

organisations (FAK) (1929)

Enseignement postsecondaire Sol-Tech (2006)

Akademia (2009)

Die Kampus (projet en cours)

Recherche Solidarity Research Institute

Le SoMo est financé en grande partie par les quatre institutions financières. Cependant, le moyen le plus répandu pour financer les activités des différentes institutions est celui de

l’adhésion de membres individuels. Moyennant des frais mensuels, des individus ou des organisations peuvent profiter des services offerts par l’institution dont ils sont membres. Afriforum, la FAK et Helping Hand fonctionnent selon ce principe. Les deux établissements postsecondaires, Akademia et Sol-Tech, sont financés par les frais d’admission de leurs étudiants. Il est possible pour les étudiants et leurs parents d’adhérer au syndicat Solidarity en tant que membres individuels pour obtenir un rabais sur ces frais. Les deux institutions médiatiques, Kraal Publications et Maroela Media, se financent par l’entremise de la vente de leurs livres et par la publicité. Étant donné que le mouvement ne reçoit aucun soutien gouvernemental, il est financé entièrement par les frais d’adhésion ou par des investissements immobiliers des institutions financières. Par conséquent, lorsqu’il est fait mention de la « communauté afrikaner », les dirigeants du SoMo parlent d’abord au nom des membres qui adhèrent aux différentes institutions du mouvement tout en diffusant leur message à l’ensemble des Afrikaners, ultimement pour gonfler les rangs de la communauté.

4. Conclusion : le SoMo en continuité avec le nationalisme afrikaner

Notre principale hypothèse est que le nouvel activisme afrikaner est en continuité avec le passé nationaliste, plus précisément le courant conservateur. Cependant, la survie institutionnelle est attribuable à des processus d’adaptation aux changements du contexte politique et à des modifications des coalitions internes au mouvement nationaliste. C’est donc sur les traces de leurs prédécesseurs que les entrepreneurs ethnopolitiques de Solidarity et de leur mouvement ont développé des stratégies pour assurer la pérennité de l’afrikanerité. Avant de nous lancer dans l’analyse des dynamiques propres au SoMo, nous allons présenter dans le chapitre suivant la trajectoire historique du syndicat et de ses liens avec les autres organisations afrikaners, depuis sa