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CHAPITRE 3 « From apartheid institutions to post-1994 institutions » : l’émergence du

1.1 Des origines à la transition démocratique

rebaptisé. La MWU deviendra par la suite le plus important syndicat blanc de la période de l’apartheid et s’inscrira dans la lutte pour le maintien du régime ségrégationniste qui protégeait les droits des travailleurs blancs au détriment de leurs homologues africains (Visser 2006). La trajectoire du syndicat est intimement liée au mouvement nationaliste qui a contribué à l’élection du NP en 1948. Après plusieurs années de proximité avec le parti pendant l’apartheid, le syndicat fait défection pour joindre les rangs des conservateurs afrikaners dans les années 1980. Avec son rôle de défenseur des intérêts de la classe ouvrière minière blanche et afrikaner, le syndicat a été un des derniers bastions de résistance face aux transformations de la démocratie multiraciale. Un bref portrait de la trajectoire historique de la MWU permet de mettre en lumière les continuités entre le syndicat et son contemporain, Solidarity.

1.1 Des origines à la transition démocratique

La tradition activiste de la MWU s’est amorcée en 1922, lors d’une des plus importantes grèves de l’histoire de l’Afrique du Sud. L’importance du secteur minier pour l’économie sud- africaine de l’époque explique le rôle prédominant joué par la MWU dans ce qu’on appelle la

Rand Revolt (Visser 2006 : 20). Pendant près de trois mois, des travailleurs blancs du secteur

industriel se sont opposés à l’abolition des politiques assurant une protection spécifique à leur égard. Les travailleurs ont essuyé la violente répression du gouvernement de Jan Smuts alors à la tête du South African Party. La répression, qui aurait été sans retenue de la part du gouvernement, aurait grandement déplu à l’électorat. Dans la foulée de ces évènements, Smuts a perdu le pouvoir au profit de la coalition formée du NP et du South African Labour Party (SALP) lors des élections de 1924. En 1926, la coalition introduit le « Colour Bar Act » pour protéger les emplois

des travailleurs miniers qualifiés et semi-qualifiés blancs. Avec l’arrivée du NP-SALP au pouvoir, les syndicats blancs sont devenus des alliés du gouvernement. Ainsi, ils ne représentaient plus une menace politique, mais un outil pour obtenir le soutien électoral nécessaire pour se maintenir au pouvoir (Visser 2006 : 20).

Dans les balbutiements du nationalisme afrikaner, le soutien des ouvriers miniers a été bénéfique pour le NP dans une Afrique du Sud dont les structures sociales ont été bouleversées par l’industrialisation et l’exode rural. La décroissance du secteur de l’agriculture au début du 20e siècle, conjugée aux effets de la guerre anglo-boer, a contraint plusieurs familles du Transvaal et de l’OFS à la migration dans les centres urbains. En brisant leurs liens à la terre, ils se sont tournés vers le secteur minier florissant. Comme nous l’avons démontré précédemment, ces mouvements de masse ont amené l’émergence de ce qu’on appelle l’enjeu des « poor white

Afrikaners » qui allait devenir prioritaire pour les nationalistes de l’époque. Ce nouveau bassin de

population était propice à la mobilisation sur une base ethnique, ce qui a donné un soutien électoral au NP qui s’était positionné comme le défenseur des intérêts des travailleurs afrikaners. En 1936, la MWU comptait dans ses rangs 12 000 membres, dont 90 % étaient des Afrikaners, peu qualifiés et qui devaient travailler aux côtés des ouvriers africains (van Zyl-Hermann 2014 : 144). À cette époque, l’exécutif du syndicat n’était cependant pas encore aux mains des Afrikaners. C’est seulement à partir de 1948, année de la prise du pouvoir par le NP, qu’un exécutif exclusivement afrikaner et pro-NP s’est mis en place. De 1948 aux années 1970, on peut affirmer que la MWU était « un syndicat docile » étant donné l’alignement avec le gouvernement (Visser 2006). La docilité du syndicat n’a pas perduré lorsque la crise de l’Afrikanerdom s’est intensifiée.

Les années 1970 sont connues pour la transformation des relations raciales dans le secteur minier. Avec les avancées technologiques, les travailleurs blancs qui détenaient auparavant les

postes liés au minage ont été relégués graduellement vers la supervision alors que les ouvriers africains ont pris le contrôle de ce processus. Par conséquent, le rôle des travailleurs blancs dans le secteur minier a graduellement diminué et ceux des ouvriers africains a quant à lui, augmenté (van Zyl-Hermann 2014 : 145). En 1973, un important tournant pour le secteur industriel et le maintien de ses pratiques ségrégationnistes s’engage. Les travailleurs africains déclenchent des grèves pour dénoncer les faibles salaires, la pauvreté et le chômage. Ces premières mobilisations jetteront les bases de la future mobilisation syndicale qui jouera un rôle crucial dans les manifestations antiapartheid des années 1980 (van Zyl-Hermann 2014 : 145). Pour contenir les protestations, le NP est contraint d’éliminer certaines mesures racistes dans le secteur industriel, notamment en abolissant la mesure du « job reservation » pour les travailleurs miniers blancs. Ces initiatives ont sans contredit, semé la colère dans les rangs de la MWU qui jouissait jusqu’alors d’un soutien gouvernemental inconditionnel.

La rupture définitive avec le NP s’est effectuée en 1977, après que le gouvernement ait accepté les recommandations de la Commission of Inquiry into Labor Legislation. Cette commission a créé des réformes qui visaient à intégrer les travailleurs africains au sein des niches d’emploi réservées aux Blancs. À partir de cette époque, les Afrikaners et les Blancs de manière générale, ne pouvaient plus compter sur les autorités gouvernementales pour protéger leurs emplois dans le secteur minier (Visser 2006 : 23). Comme le soutient van Zyl-Hermann (2014 : 155), le moment critique où les travailleurs afrikaners ont perdu leur domination du marché de l’emploi minier est arrivé bien avant 1994, année charnière généralement retenue dans la littérature sur la transition démocratique. Après les nombreuses années d’alignement avec le gouvernement, le syndicat s’aligne au CP nouvellement créé, parti qui deviendra l’opposition officielle, mais tout en gardant une certaine distance avec la sphère des partis politiques.

Avant même que ces réformes ne soient implantées par le NP, le parti a connu une modification des rapports de forces. À la fin des années 1960, le départ du président Albert Hertzog, défenseur de la classe ouvrière et agricultrice afrikaner et d’une vision romantique de l’unité du volk, a fait en sorte que les intérêts des ouvriers et des agriculteurs avaient perdu sa priorité pour le parti (Adam et Giliomee 1979 : 202). Comme le soutient O’Meara (1983 : 166), « a return to the always mystical ideological notion of the mythical unity of a classless volk was

pure nonsense. That glue had forever disappeared. Now the verkramptes would have to work to accomodate […] the new Afrikaner bourgeoisie in the NP rather […] to displace it ». Tel que

mentionné précédemment, le broedertwis a définitivement divisé le mouvement nationaliste en deux camps : celui des verligtes (les « libéraux ») et les verkramptes (les conservateurs). La division a augmenté le pouvoir politique des grandes compagnies afrikaners (et anglophones) et de certains secteurs de la fonction publique tandis que les plus grands perdants de ce revirement des forces nationalistes ont été les syndicats et les agriculteurs (Adam et Giliomee 1979 : 178).

Face aux réformes, les élites de la MWU se sont positionnées contre le « libéralisme » du NP. La mouvance de la droite était composée par différents groupes, autant afrikaners qu’anglophones. Ce qui les unissait était la volonté de maintenir la suprématie blanche et de préserver l’autodétermination par la création d’un territoire autonome. Van Rooyen a développé une typologie qui classifie ces organisations en trois groupes dont les frontières ne sont pas étanches (1994 : 62-63). Les « modérés », formés principalement par l’Afrikaner Volksfront (AVF), un regroupement apolitique qui devait raviver l’afrikanerité à la suite « de la crise culturelle » du peuple afrikaner, la droite traditionnelle (représentée par le CP) et les radicaux comme l’AWB. Ces trois types d’acteurs militaient tous pour l’obtention d’un volkstaat, plus ou moins autonome (avec un niveau de violence raciste variable selon le radicalisme des acteurs). La droite était surtout active dans les régions de l’OFS et du Transvaal, ce qui a fait en sorte que les

liens du NP avec la population ont été brisés lorsque ces organisations se sont multipliées. Par exemple, en 1993, la capacité organisationnelle du NP dans la province de l’OFS avait presque complètement implosé (Munro 1995 : 21). Comme le soutiennent Grobbelaar, Bekker, et Evans (1989), le nationalisme afrikaner avait trouvé « une nouvelle base sociale, institutionnelle et géographique dans les provinces du Nord » (Munro 1995 : 22).

L’activisme de la MWU et des organisations de la droite s’est radicalisé lors du déclenchement des négociations entre le NP et l’ANC dans les années 1990. C’est alors que les dirigeants de la MWU s’engagent sur la voie de l’hostilité ouverte avec le parti qui d’après eux, aurait trahi les travailleurs blancs avec leurs réformes (van Zyl-Hermann 2014 : 150). La stratégie favorisée s’est traduite par une résistance non violente et une stratégie d’obstruction contre toutes les initiatives de réformes gouvernementales. Les revendications du syndicat se sont radicalisées davantage par la suite pour se concentrer sur des efforts pour bloquer les négociations en élisant un gouvernement de droite. La MWU souhaitait aussi exercer de la pression sur l’ANC et le NP pour qu’ils reconnaissent l’autodétermination afrikaner et protègent les intérêts des travailleurs blancs (Visser 2006 : 27). Pour appuyer cette stratégie, les dirigeants du syndicat ont lancé un appel à la création d’un « super white trade union » pour s’opposer au « total onslaught on the

white Afrikaner man » (van Zyl-Hermann 2014 : 151). Cet appel à la mobilisation a fonctionné :

le nombre total de membres augmente à près de 44 000 au début des années 1990.

En 1993, le syndicat s’est joint à l’AVF, une coalition à laquelle le CP et vingt autres organisations et mouvements de la droite se sont aussi joints. Elle appuyait principalement la création d’un volkstaat malgré les défis de l’autodétermination territoriale (soit de déterminer qui aurait accès au territoire et à son emplacement)26. Il est important de mentionner que des acteurs

26 Le camp de la droite a particulièrement été déchiré par ces deux enjeux. Par exemple au niveau des disputes géographiques,

issus de la majorité noire appuyaient aussi les revendications de l’AVF. Parmi eux, les autorités des homelands du Ciskei et du Bophuthastwana ainsi que de l’Inkhata Freedom Party (IFP) souhaitaient aussi conserver l’autonomie du KwaZulu. L’AVF a aussi milité pour qu’une constitution fédérale et décentralisée soit adoptée. Dans la vision du regroupement, le fédéralisme aurait été souhaitable, car une telle configuration aurait octroyé une importante dévolution de pouvoir aux provinces de la future Afrique du Sud.

En tant que membre de l’AVF, la MWU a tenté d’influencer le processus de négociations en mobilisant le poids de ses membres, en menaçant d’utiliser les travailleurs de l’industrie minière et des services essentiels pour résister au gouvernement de transition (Visser 2006 : 91). Cependant, la mobilisation du syndicat a engendré peu de résultats au niveau du blocage des réformes. La MWU a donc maintenu son positionnement dans le camp de la droite jusqu’aux premières élections démocratiques : à la fois dans un entredeux entre les « modérés » et la droite traditionnelle, conjugué au radicalisme de certains de ses membres. Par conséquent, le syndicat est arrivé dans l’ère post-apartheid avec une mauvaise réputation :

[i]t was the image of a backward, racist and brutal organisation that was nothing but an anachronism from the old South Africa. […] From 1994 to 1997 the MWU stagnated. Its right-wing image was politically incorrect and it was perceived to be only for blue-collar mineworkers. The public viewed the MWU negatively and the union moved from being a national role-player to being a marginalised shop-floor union. In addition, many of its members were retrenched or disaffected (Visser 2006 : 27).

La MWU a donc traversé la période de transition avec les héritages du nationalisme afrikaner conservateur dont il était difficile de faire abstraction. Comme l’ensemble des institutions afrikaners, le syndicat devait s’adapter aux nouveaux paramètres. L’adaptation aux paramètres de donc un État souverain, alors que certains souhaitaient un territoire plus restreint dont Pretoria aurait été la capitale (van Rooyen 1994 : 43). Le principal problème de ces découpages territoriaux était que la majorité de la population aurait été non Afrikaner. Les questions de l’inclusivité du volkstaat étaient aussi un important enjeu. Pour certains, les Blancs seulement seraient visés par l’initiative alors que pour d’autres souhaitaient que les Afrikaners et les Coloureds (donc les afrikaanophones) seulement soient inclus dans le projet. Les tensions envers la priorisation de la catégorie raciale ou de l’ethnicité s’est particulièrement présenté dans ces discussions.

la nouvelle Afrique du Sud allait être un grand défi pour les leaders ayant fait le pari de transformer l’organisation, tout en supportant le poids des héritages du passé.

D’après le secrétaire général adjoint de Solidarity

the MWU broke from the NP, especially during the 1980 and more agressively in the 1990s. The MWU was positioned to the right of the NP, far, far right. Interesting enough, they were never aligned officially with the CP. That helped the MWU because after 1994, they were not aligned with parties. Our challenge was to bring this right wing organization that for many years was resisting the transition. But then the transition came, we had to bring a position to this right wing organization more to the middle of the politics. We had to transform it from an apartheid institution to a post- 1994 institution (Solidarity - entretien 9 octobre 2014).

À l’aube de la transition, le syndicat qui s’était préalablement recentré vers l’identité ethnique en délaissant la classe socioéconomique (van Zyl-Hermann 2014 : 143-144), s’achemine vers sa restructuration.

1.2 La création de Solidarity, le « super afrikaner trade union »27

La restructuration de la MWU est fortement rattachée à son principal penseur, Flip Buys. À l’emploi du syndicat dans les premières années de la « nouvelle » Afrique du Sud, il avait un plan ambitieux en tête : celui de protéger les intérêts des Afrikaners, autrement. Cette protection était nécessaire d’après lui, car les Afrikaners allaient devoir créer leur propre futur, car ce dernier n’allait pas être pris en charge par quiconque à l’extérieur des frontières de l’afrikanerité (van Zyl-Hermann 2014 : 153). C’est en 1997 qu’il s’est lancé dans une aventure dont l’issue était très incertaine. Une brève présentation de la trajectoire personnelle de cet important acteur et de ses interprétations des conditions de l’Afrique du Sud post-apartheid permet de comprendre

27 L’expression est empruntée à van Zyl-Hermann (2014). Ce lien est particulièrement intéressant car l’idée des « Super

Afrikaners » avait été rattachée à l’ABB lorsque l’organisation secrète a été mise au jour dans les années 1970. Les entrepreneurs ethnopolitiques du SoMo s’attribuent le rôle que jouait auparavant l’ABB, comme l’organe de coordination des politiques nationalistes.