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et leur comportement

1. Les acteurs sont essentiels

Pour J. Bodin, juriste du 17e siècle, « il n’est de richesse que d’hommes ». Que dire aujourd’hui ? La représentation des acteurs d a beaucoup évolué. Les formalisations des pratiques et des recherches passent d’une vision « sujet passif » administré comme une ressource stable sans résistance, à une vision sociologique beaucoup plus riche d’« acteur avec des intérêts et des comportements » sources de potentialités et de freins.

Il est intéressant de comprendre les apports des théories en séparant le travail du compor-tement pour distinguer la diversité des acteurs avant d’analyser leur management dans l’organisation (comme individu et comme groupe).

(Le management opérationnel des ressources humaines est présenté chapitre 16, « Gérer les ressources humaines.)

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1.1 Les approches théoriques sur le travail des acteurs

a) Approche des relations humaines

L’école des relations humaines s’est développée en réaction aux excès du taylorisme

qui, dans sa recherche frénétique de la productivité, a engendré des comportements contraires à son objectif : absentéisme élevé, rotation importante du personnel, accidents du travail, etc.

Les postulats de l’école des relations humaines sont les suivants : – l’entreprise est toujours un lieu de production ;

– l’acteur de l’organisation a une dimension humaine, ce qui provoque des réactions, des comportements d’ordre affectif et sentimental, parfois en contradiction avec la logique rationnelle de l’entreprise ;

– les conditions de travail matérielles et psychologiques doivent être prises en consi-dération pour que les acteurs participent efficacement au fonctionnement de l’organisation ;

– l’organisation comprend en son sein des groupes avec des dynamiques différentes, des liaisons informelles qu’il faut intégrer dans le fonctionnement de l’entreprise ;

– l’organisation rassemble des acteurs, à tous les niveaux de la hiérarchie, dont les compor-tements organisationnels divers et antagonistes doivent être gérés

b) Approche socio-technique

L’association des dimensions techniques des organisations présentées par l’approche classique et des dimensions plus humaines de l’approche béhavouriale conduit à définir toute organisation dans une approche socio-technique :

socio, c’est-à-dire l’aspect humain, psychologique et sociologique, subjectif et irrationnel ;

technique, c’est-à-dire productif, quantitatif et rationnel.

Ainsi les problèmes de gestion doivent être analysés selon cette double approche, sociale et technique, pour une entreprise considérée comme un système ouvert.

E.A. Trist et F.E. Emery(1) travaillent à partir des années 50 pour l’institut anglais Tavistock

et mettent au point l’analyse socio-technique.

Tout problème de gestion est à analyser au travers d’un diagnostic multidisciplinaire. L’expérience des acteurs, la recherche dans l’action, l’attention portée aux individus carac-térisent cette démarche.

c) Approche par les compétences

Pour réagir aux turbulences permanentes et s’adapter aux changements imposés par l’envi-ronnement, les entreprises fondent leur stratégie concurrentielle sur des compétences spécifiques, des capacités d’innovations. L’entreprise doit donc utiliser toutes les connais-sances, les expertises et la créativité de ses acteurs. Il s’agit alors d’évaluer, de valoriser et de capitaliser les compétences de ceux-ci.

G. Hamel et C. Ktishnao Prahalad définissent la notion de core competencies ou compé-tences clés ou compécompé-tences de base, afin de permettre aux entreprises de les déterminer ou

évaluer, et fonder ensuite leurs avantages concurrentiels et leurs choix stratégiques. (1) F.E. Emery, E.A. Trist, The Causal Texture of Organizational Environments, Penguin, 1965.

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1.2 Les approches théoriques sur le comportement des acteurs

Ce sont surtout les apports de la sociologie et de la psychologie qui permettent de mieux comprendre les actions et réactions des acteurs individuellement et collectivement, au sein des organisations.

a) Analyse sociologique de Crozier et Friedberg : l’acteur et le système

Dans les années 60, M. Crozier et E. Friedberg, sociologues, ont analysé les relations

que les acteurs tissent avec les uns et les autres au sein des organisations, avec les jeux de pouvoir qui s’instaurent, les relations informelles au-delà des règles et des procédures établies.

L’organisation est vue ici comme « le royaume des relations de pouvoir, de l’influence, du marchandage et du calcul » et comme « un construit humain qui n’a pas de sens en dehors des rapports de ses membres ».

Ainsi, pour les auteurs, l’acteur construit des règles et des mécanismes de coordination pour agir en fonction des comportements des autres acteurs et de ses objectifs propres. Les relations ainsi instituées par les acteurs et non prévues par l’organisation créent des « zones d’incertitude » et donc une certaine autonomie pour les acteurs.

b) L’acteur réseau ou la coopération des acteurs : théorie de la traduction de Callon et Latour

Dans les années 80, apparaît une approche sociologique qui prend en compte non seulement les acteurs mais aussi les objets et les discours.

Dans ce courant, B. Latour et M. Callon développent la théorie de l’acteur-réseau ou socio-logie de la traduction.

L’organisation est pensée en termes de réseau, c’est-à-dire l’ensemble des relations et des médiations qui font tenir ensemble les acteurs. Les relations se construisent et s’établissent par des opérations de « traduction » qui permettent d’exprimer les avis de chacun, d’obtenir des compromis sur des décisions, d’orienter le sens de l’action commune.

c) Les accords entre agents : théorie des conventions de Boltanski et Thévenot

La théorie des conventions analyse les comportements des individus dans des situations marquées par l’incertitude. Il s’agit alors d’analyser comment les acteurs élaborent des compromis au sein des organisations.

Une convention peut être définie de manière simple comme un ensemble de repères (ou

critères) auxquels les acteurs se réfèrent pour décider de leur comportement dans une situation incertaine. Il s’agit d’analyser les conventions construites, utilisées, modifiées par les acteurs au sein d’une organisation pour mieux les gérer et les canaliser.

d) Les réseaux d’acteurs : Granovetter et l’embeddedness

Toute organisation est construite par des individus agissant à l’intérieur de plusieurs réseaux de toute nature (idéologique, physique, informationnel…) convergents ou diver-gents, influençant ainsi leur comportement par des interactions complexes.

exemple

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Ainsi, M. Granovetter définit en 2000 la notion d’embeddedness ou encastrement pour

montrer que le fonctionnement des organisations ne résulte pas seulement de la maximi-sation de l’utilité par individu et de la rationalité limitée de son choix, mais aussi des réseaux sociaux dans lesquels ils s’inscrivent.

Il met en évidence l’importance des réseaux sociaux des acteurs, des contacts qui influencent les comportements et les choix des acteurs.

Les acteurs construisent des alliances provisoires en fonction de leurs intérêts, mobilisent des ressources grâce aux réseaux de contacts qu’ils possèdent.

e) La psychologie des comportements : Skinner

B.F. Skinner, psychologue américain influencé par les travaux de Pavlov, élabore vers 1948

le concept de conditionnement opérant.

Pour lui, les comportements sont sélectionnés par leurs conséquences positives (ou négatives) sur l’acteur. Il a réalisé des expériences avec des souris (cf. la boîte de Skinner présentée au Palais de la Découverte à Paris) : dans un labyrinthe, certains couloirs aboutissent à des morceaux de fromage et d’autres non ; au bout d’un certain temps, toutes les souris sont conditionnées pour passer dans les couloirs « à fromage ».

Il a cherché à transférer cette analyse des comportements aux personnes et a influencé les méthodes d’apprentissage, champ important pour gérer la performance des entreprises au travers des compétences de leurs acteurs.

1.3 La représentation actuelle des acteurs

Il est possible de dresser le profil actuel des acteurs au sein des organisations à l’issue des formalisations théoriques présentées.

a) Évolution de la représentation de l’homme dans l’organisation

TABLEAU DE L’ÉVOLUTION DE L’ORGANISATION ET DE L’HOMME

Organisation Machine, routine standard, 1910 Machine, routine standard, 1940 Organisme vivant, évoluant par rapport à l’envi-ronnement, 1950 Cerveau, traite des informa-tions, 1960 Système politique, alliances et conflits, 1970 Culture, prison, valeurs communes, lien social, 1980

Acteur ExécutantMain Exécutant Main+ Cœur Affectif

Exécutant Main + Cœur Affectif + Cerveau Idées

Auteur Ingénieur

Taylor PsychologueMaslow CybernéticienVon

Bertalanffy

Information Décision Simon

Sociologue

Crozier AnthropologueSchein

Le modèle économique de l’homme certain à la rationalité limitée des années 30-40 a été progressivement remplacé par une approche plus réaliste, avec des incertitudes et une rationalité limitée. De même, au sein des organisations, la vision de l’acteur a évolué ; si on considère l’individu comme une machine, un exécutant sans pensée ni

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objectif dans l’organisation taylorienne du début du xxe siècle, les apports des théories béhavouriales et sociologiques ont permis d’ajouter d’autres dimensions évidentes  : l’acteur n’est pas seulement une main, c’est aussi un cœur et un cerveau qui a donc des sentiments, des objectifs, des idées qu’il essaie d’intégrer dans l’organisation à laquelle il participe.

b) Profil actuel de l’acteur

C’est le passage de l’individu « objet passif » rationnel et stable à l’acteur « sujet aléatoire, politique, complexe ».

Cet acteur :

– a un affect, des besoins sociaux, des motivations objectives et subjectives ; – a une rationalité limitée ;

– a des systèmes de valeurs, des intérêts divergents qui induisent des jeux de pouvoir ; – est conditionné par de multiples facteurs ;

– coopére en fonction de l’intégration de ses objectifs avec ceux des autres acteurs ; – élabore des compromis, des accords et des conventions ;

– décide en fonction de ses réseaux sociaux. Ceci suscite des comportements d’acteurs : – aléatoires, changeants, imprévisibles ;

– avec des postures et des choix évoluant en fonction de leur appréhension du contexte, de leurs intérêts et de leurs relations avec les autres.

Il en découle une gestion des acteurs intégrant des variables de plus en plus socio-logiques.

1.4 La multiplicité des acteurs

Il est intéressant et nécessaire pour analyser les problèmes managériaux de distinguer les différents acteurs essentiels d’une organisation.

a) L’entrepreneur

Les premières définitions de l’entrepreneur d, qui remontent au xviiie  siècle avec des auteurs tels que De Boisguilbert, Cantillon, puis Smith, Ricardo, Say et enfin Schumpeter,

listent un certain nombre de caractéristiques :

– un entrepreneur a choisi de mettre en œuvre une idée, une activité, en supportant les risques liés à l’incertitude des résultats ;

– il ne possède pas toujours un capital pour réaliser son entreprise mais sait organiser son activité pour proposer des biens et des services à des clients, et en retire un certain profit.

Si « entrepreneur » veut dire avoir un esprit d’entreprise, cela peut se caractériser par : – une prise de risque et une capacité à supporter l’incertitude ;

– une capacité d’innovation ;

– une capacité d’organisation et d’animation d’équipes, d’hommes ; – l’attente d’un retour sur investissement.

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Il est rare que les entrepreneurs possèdent toutes ces caractéristiques ; aussi, des profils types différents peuvent être identifiés :

– innovateur pur ;

– plutôt gestionnaire organisateur ;

– plutôt financier pour rentabiliser les investissements.

L’entrePreneurseLonLesentrePrises

Les débats portent à la fois sur la place de l’entrepreneur dans l’entreprise et sur son rôle dans la société.

Pour l’entreprise nouvelle, se pose le problème classique de l’accès aux capitaux pour l’entrepreneur innovateur. Des formules nouvelles de sociétés de capital-risque, spé-cialisées dans les prises de participation dans les sociétés nouvelles à fort potentiel (start-up), résolvent partiellement la contradiction entre la nécessité de l’innovation (le risque) et la protection de l’épargne (besoin de sécurité).

Pour les entreprises d’une certaine taille, se pose le problème de la fonction de l’en-trepreneur. Des formules diverses visent à développer l’esprit d’initiative, d’innovation pour restaurer la fonction d’entrepreneur dans la structure de l’entreprise. Le concept d’« intrapreneur » a ainsi vu le jour. La logique de l’entrepreneur est celle du désordre,

de la rupture d’un ordre existant (exemple : inventer la carte à puce, c’est remettre en

cause toute l’infrastructure des machines fonctionnant avec des cartes à bande magné-tique), alors que la logique de l’organisation est celle de l’ordre procédural, de la

conti-nuation d’un mode de fonctionnement qui limite l’incertitude. Les deux logiques sont contradictoires mais doivent être conciliées pour garantir l’adaptation de l’entreprise, condition impérative de sa survie.

b) Le collaborateur, l’employé

Salarié à temps complet ou partiel, il participe à l’activité, pour satisfaire des besoins primaires (rémunération pour vivre) et des besoins supérieurs (reconnaissance de la société et estime de soi). Il peut souhaiter s’impliquer plus ou moins dans son travail, rester plus ou moins longtemps dans l’organisation, en fonction de ses objectifs, de ses valeurs, de ses relations avec autrui. Chaque collaborateur est donc unique et le management doit en tenir compte.

c) L’actionnaire d

Il apporte des capitaux à une entreprise pour financer une activité économique et souhaite qu’elle génère des bénéfices pour en récupérer une partie. Cet objectif peut être déconnecté de la nature de l’activité, de sa pertinence, de sa pérennité dès lors qu’elle est rentable dans le court terme. Le management doit donc intégrer ces comportements et ces décisions avec celles des autres acteurs de l’organisation.

d) Les parties prenantes d

Depuis les années 90, l’analyse managériale met en évidence la nécessité de prendre en compte dans le pilotage des organisations, au-delà des acteurs proches et directs de l’entre-prise, les individus ou les groupes qui participent et influencent plus ou moins directement ses activités et ses décisions ; ainsi Freeman utilise le terme de parties prenantes pour

désigner les associations, les groupes de pression, les communes, les citoyens et tout autre acteur, même à l’autre bout du monde, qui peut interférer sur une entreprise. Il faudrait de ce fait que le management intègre les intérêts de toutes ses parties prenantes, ce qui s’avère nécessairement contradictoire.

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e) Le manager

Ce terme est apparu à la fin du xixe siècle avec A. Marshall et largement usité au xxe siècle. Le manager d devient l’interface essentielle de toute entreprise, en pilotant l’organisation, même s’il n’est pas entrepreneur propriétaire. À tous les niveaux de la hiérarchie et dans tous les domaines de la gestion, le manager doit conduire les activités et les hommes pour réaliser les objectifs assignés à l’entreprise.