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Le contrôle du pouvoir des dirigeants

et coordination des acteurs

4. Diriger pour animer

5.2 Le contrôle du pouvoir des dirigeants

De façon presque caricaturale, le problème de la délégation du pouvoir peut conduire à la question suivante : si le dirigeant est considéré au sommet de l’organisation, qu’y a-t-il au-dessus du dirigeant pour le « gouverner » ?

Le dirigeant est « gouverné » par les lois, les clients, le marché financier :

– le cadre institutionnel des lois et règlements s’impose à tous ; il révélera cependant des

différences de pays à pays selon la législation propre à chaque zone géographique (statut des sociétés, règles de la faillite, etc.) ;

– les clients, c’est-à-dire le marché aval de l’entreprise, conditionnent toute l’activité de

l’entreprise. Le dirigeant les prend en compte dans sa démarche stratégique ; ce n’est pas un paramètre fondamental de son mode d’exercice du pouvoir, c’est le paramètre clé de l’activité de l’entreprise et non celle du dirigeant ;

– en revanche, le marché financier, soit sous la forme du contrôle des actionnaires, soit sous

la forme des contraintes de taux d’endettement, va radicalement modifier le compor-tement du dirigeant dans son activité de gestionnaire et d’entrepreneur (par exemple : le

niveau de prise de risque va être lié au contrôle exercé sur le dirigeant).

a) Propriétaires et dirigeants : des motivations différentes mais conciliables

Les théories contemporaines, telles que la théorie managériale, mais aussi la théorie de l’agence et la théorie des droits de propriété (cf. chapitre  2 « L’environnement du management »), insistent sur la séparation entre les propriétaires et les dirigeants salariés comme facteur expli-catif du comportement des dirigeants sous la contrainte du marché financier.

Le point de départ de l’analyse est la dévolution, sous des formes juridiques diverses, du pouvoir de gestion au dirigeant par les propriétaires du capital de l’entreprise.

La structure du capital (plus ou moins grande dilution) et les statuts de l’entreprise vont alors déterminer les conditions et la pratique du pouvoir compte tenu de la divergence d’intérêts entre propriétaires et dirigeants :

– les propriétaires ont des droits dont ils cherchent à tirer un revenu (dividendes) et à

accroître la valeur (plus-value). Les propriétaires sont donc enclins à privilégier des choix peu risqués visant l’accroissement des résultats de l’entreprise à court terme ;

– les dirigeants ont un statut lié à leurs compétences. Il a été fait appel à eux car ils

détiennent un savoir-faire et/ou des informations que les propriétaires n’ont pas. Les dirigeants chercheront à maximiser les éléments liés à leur statut (salaire, avantages annexes, etc.), les éléments de reconnaissance par leurs pairs (progression de parts de marché, étendue du contrôle, etc.) et les éléments garantissant leur poste : croissance de l’organisation plutôt que croissance des résultats.

Dès lors, compte tenu de cette divergence d’intérêts et de la séparation du pouvoir de décision (les dirigeants, mandataires) et du pouvoir de contrôle (les propriétaires,

mandants), la façon d’exercer le pouvoir de gestion, notamment en termes de prise de risque, dépendra :

– de la plus ou moins forte dilution du capital (du propriétaire dirigeant –  comme

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dirigeant de la grande entreprise sans actionnaire de référence – comme peut l’être

IBM) ;

– et corrélativement du degré de contrôle exercé par les propriétaires.

L’existence de la délégation de pouvoir des propriétaires aux dirigeants conduit à dissocier l’exercice du pouvoir de décision de l’exercice du pouvoir de contrôle.

b) Le contrôle des dirigeants

Le contrôle des dirigeants s’exerce à un double niveau :

– celui des organes de contrôle correspondant aux statuts de l’entreprise ; – celui du marché financier.

Si le pouvoir des dirigeants a pu paraître sans limite dans les années 60-70, la fin du siècle marque, d’une certaine manière, le retour du pouvoir des actionnaires tant en termes de contrôle direct – en révoquant le dirigeant – qu’en termes d’arbitrage sur le marché financier.

exemples

Le remplacement du dirigeant est devenu une pratique très courante.

En 1992, IBM n’ayant pas dégagé de résultat positif, le chairman of the board a été limogé.

Après une décennie de succès de 1976 à 1986, Apple a changé plusieurs fois de président au cours

des dix années suivantes.

En 1997, l’actionnaire de référence du Club Méditerranée, la famille Agnelli, s’est séparé de la

famille Trigano qui dirigeait le Club Med après avoir participé à sa fondation sans en être propriétaire. Face aux difficultés de l’entreprise, les choix de gestion de Serge Trigano (président-directeur général, fils de l’un des fondateurs Gilbert Trigano) correspondaient certes à la culture du Club mais n’introdui-saient pas de changements assez radicaux pour répondre aux exigences de rentabilité du propriétaire. Il fut remplacé par M. Bourguignon qui avait réussi le redressement de Disneyland Paris.

Le contrôle indirect par le marché financier se fait de plusieurs manières. Le

dévelop-pement des pratiques de stocks options pour rémunérer les dirigeants participe de ce type

de contrôle. En effet, pour s’assurer que le dirigeant pratique une politique favorable à l’actionnaire (accroissement de la valeur des droits patrimoniaux), sa rémunération incorpore l’octroi d’actions acquises selon des modalités préférentielles, qu’il pourra revendre au bout d’un temps déterminé sur le marché boursier au cours alors en vigueur. Ce type de rémunération permet dans certains cas à des dirigeants de faire fortune. Le sort du dirigeant se trouve lié à celui des actionnaires : il a directement intérêt à faire croître la valeur du titre. La théorie de l’agence s’attache à démontrer que ce type de rémunération est l’un des moyens de contrôle les moins coûteux pour les actionnaires.

L’arbitrage sur le marché financier est cependant le moyen le plus courant. En vendant

leurs titres sur le marché, les actionnaires font pression sur les dirigeants, d’une part en leur envoyant un signal d’insatisfaction, d’autre part en les rendant vulnérables à un ramassage boursier ou à une offre publique d’achat (OPA) en raison de la baisse des cours engendrée par les ventes des actionnaires insatisfaits ; or, dans l’éventualité d’une OPA, les dirigeants perdraient leur poste.

Les dirigeants doivent donc s’assurer de la fidélité de leurs actionnaires pour conserver leur poste. Ils doivent donc exercer leur pouvoir de gestion en intégrant une contrainte de renta-bilité minimum pour satisfaire aux exigences du marché financier.

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Si le pouvoir managérial a pu paraître privé de légitimité dans les années 60 (cf. les analyses

de J.K. Galbraith), les analyses contemporaines soulignent au contraire tout l’intérêt d’un

exercice séparé du pouvoir de décision (délégué par les propriétaires) et du pouvoir de contrôle (conservé par les propriétaires).

La délégation du pouvoir procure à l’entreprise de nombreux avantages. Elle permet :

– l’exercice du pouvoir de décision quand les propriétaires sont très nombreux, ce qui est

une nécessité pour disposer de masses importantes de capitaux ;

– une meilleure répartition du risque du propriétaire en séparant les fonctions de propriété

(prise de risque en capital) et les fonctions de direction (innovation). En effet, le proprié-taire peut laisser le dirigeant innover car le système de délégation lui permet d’investir dans d’autres entreprises.

c) L’émergence du gouvernement d’entreprise

Dépassant le cadre du contrôle par le marché financier, l’analyse contemporaine (par exemple de P.-Y. Gomez(1) ou de G. Charreaux(2)) en termes de « gouvernement d’entre-prise d » cherche à répondre à la question de l’évaluation de l’exercice du pouvoir dans

l’entreprise selon les différents intérêts en présence, y compris l’intérêt général (intégration de la notion de responsabilité sociale de l’entreprise). Il s’agit de contrôler si les dirigeants choisissent des objectifs et des moyens qui permettent de satisfaire l’intérêt de toutes les parties prenantes de l’entreprise.

Avec le développement de la finance de marché et de l’ouverture du capital des entreprises, la nécessité de réfléchir et de formaliser sur les processus de décision au sein des conseils d’administration est apparue dans la décennie 90.

Le terme de gouvernement ou gouvernance, traduction de corporate governance, renvoie aux modes de gestion et de direction des entreprises, au regard de tous les acteurs internes et externes, plus ou moins directement liés aux activités de l’entreprise.

G. Charreaux définit le gouvernement d’entreprise comme « l’ensemble des mécanismes

organisationnels qui ont pour effet de délimiter les pouvoirs et d’influencer les décisions des dirigeants, autrement dit, qui gouvernent leur espace discrétionnaire ».(3)

Ce qu’il y a de nouveau dans le concept de gouvernement d’entreprise, c’est l’imbrication (non totalement maîtrisée d’ailleurs) des mécanismes de contrôle par le marché et des mécanismes organisationnels internes à l’entreprise. La dialectique du marché (justification des choix par la pression des clients ou des actionnaires) peut d’ailleurs remettre en cause la légitimité du pouvoir de la hiérarchie.

Cette notion de gouvernance traduit les évolutions des modes de gestion liées à l’intégration d’acteurs aux intérêts différents, voire divergents et contradictoires, au sein d’une entre-prise et à l’influence de plus en plus forte entre-prise par les investisseurs financiers pour orienter les décisions stratégiques des grandes entreprises en leur faveur. Les scandales financiers d’Enron, de Vivendi, de Parmalat, de Wordcom, ont incité à édicter des règles et des contrôles sur les modes de gouvernance.

(1) P.-Y. Gomez, Le gouvernement de l’entreprise, InterÉditions, 1996. (2) G. Charreaux, Le gouvernement des entreprises, Economica, 1996. (3) Traduction jugée sémantiquement imparfaite de « corporate governance ».

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Ainsi, la loi Sarbanes Oxley aux États-Unis, la loi NRE (Nouvelles Régulations Économiques) en 2001 et la loi Sécurité Financière (LSF) en France en 2003, encadrent les pratiques par des normes et des standards pour favoriser les principes de transparence de l’infor-mation, de sincérité, et pour maintenir les intérêts de toutes les parties prenantes (action-naires, dirigeants, salariés, clients, banques…). Aujourd’hui, la loi Sapin (2016) reconnaît un pouvoir plus grand des actionnaires sur le niveau de rémunération des dirigeants d’entreprise.

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définitions et concepts

Pouvoir

Capacité à forcer l’obéissance aux ordres.

Capacité d’un acteur à faire agir un autre acteur.

Autorité

Capacité à faire observer volontairement les ordres.

Confiance que l’on fait à quelqu’un, qu’il soit dans une position hiérarchique ou non, et dont on suit l’ordre ou le conseil.

Diriger

Fonction d’administration d’une organisation qui regroupe cinq tâches : prévoir, organiser, commander, coordonner, contrôler.