• Aucun résultat trouvé

linguistique générale, qu'est-ce qu'un corpus ?

I. 1.2.1.2- Les écrits de la main de Saussure

Cependant, parmi les divers écrits retrouvés de Saussure (les notes préparatoires de ses cours au collège de Genève, ses notes préparatoires à la publication d'un livre de linguistique générale retrouvées en 1996, divers courriers) donnent à voir un aspect sensiblement différent de la pensée du maître.

Ainsi, si le cours peut laisser penser que Saussure était un linguiste de la langue, Rastier (2005) tempère ce point de vue :

« Or, pour Saussure, la parole est l’élément déterminant dans la dualité langue / parole. Dans son discours à l’occasion de la création de la chaire de pour Bally, il dit ainsi de la linguistique : « elle comporte deux parties : l’une qui est plus près de la langue, dépôt passif, l’autre qui est plus près de la parole, force active et véritable origine des phénomènes qui s’aperçoivent ensuite peu à peu dans l’autre moitié du langage. Ce n’est pas trop que les deux » (ELG, p. 273). » (Rastier 2005)

La fameuse dernière phrase apocryphe du Cours est en conséquences pour le moins relative, et cette citation par Rastier des Écrits de linguistique générale montre à quel point Saussure était un linguiste de la parole. De nombreuses autres citations de Saussure ou de ses élèves, qu'il s'agisse de Regard ou de Riedlinger, le collaborateur de l'édition du Cours (Bouquet 2005), montrent ce même fait d'une pensée saussurienne qui aurait ainsi été faussée en faveur d'une linguistique plus abstraite, paraissant de cette façon plus scientifique. Cette vision postérieure d'un Saussure donnant une importance forte à la parole comme force active du langage et qui la réconcilie avec le concept de langue est reprise dans cette thèse : la langue ne doit pas être mise de côté, pas plus que la parole saussurienne, c'est bien à travers l'analyse de la seconde que l'on peut tirer certaines généralisations intéressant la première.

Selon Rastier, plus que de dichotomies, c'est de « dualités » (Rastier 2005) dont il est question dans la pensée saussurienne : appréhender une partie de la dualité sans son pendant semble inefficace, parler de la langue sans longuement se pencher sur la parole le semble tout autant. Le fonctionnement de la langue telle qu'elle a été pensée par Saussure n'est pas selon Rastier à décrire dans les termes aristotéliciens d'une grammaire séparée de son application, d'une langue séparée d'une parole ou d'une compétence séparée d'une performance, mais bien plutôt au niveau d'une parole alors séparée de la langue parce que Saussure, bien que très innovant dans sa pensée, n'avait pas encore eu les moyens suffisants pour étudier un espace des normes, faisant la jointure entre ces deux entités d'une même dualité.

Néanmoins, toute la linguistique du vingtième siècle ne va cesser de se réclamer de la parenté saussurienne, qu'il s'agisse des différents courants davantage axés sur une étude de la langue, du système, de l'abstrait, ou qu'il s'agisse de courants se basant sur les faits de langues authentiques observés dans leur multitude. Un rapide portrait va maintenant être brossé de ces différents courants pour voir comment ils ont pu influencer dans leur diversité les multiples pratiques et réflexions actuelles en linguistique de corpus.

I.1.2.2- Une linguistique de la langue.

I.1.2.2.1- Le structuralisme.

Ce que l'on a appelé le courant structuraliste au long du vingtième siècle s'est réclamé de la paternité de Saussure. La notion de structure trouve sa naissance dans la pensée saussurienne, selon Crystal (1985) :

« it is largely on account of Saussure that the idea of structuralism achieved the status which was to make it the major linguistic theme of the next thirty years. » (Crystal 1985:164)9

Les structuralistes présents à l'école de Prague ont cherché à décrire le système dont avait parlé Saussure, notamment à travers des études phonologiques du système en ce qui concernait Jakobson et Troubetzkoy (Crystal 1985:177). En fait, il s'agissait de considérer que la langue pouvait se décrire comme un système présentant des relations d'opposition et de rapprochement, Jakobson a notamment développé l'idée du phonème comme un concept abstrait reposant sur l'opposition (Jakobson 1973:123).

Aux États-Unis, toujours au début du vingtième siècle, un courant structuraliste s'est également développé, du fait de la découverte de pléthore de langues amérindiennes en voie d'extinction qu'il fallait pouvoir « enregistrer » de la façon la plus efficace et la plus objective possible. Bloomfield puis Harris ont contribué à cette linguistique. Bloomfield a élaboré un type d'analyse linguistique qui fonctionnait en constituants immédiats (ACI). Dans l'ACI, le langage n'est pas vu comme un ensemble fonctionnel, mais l'analyste cherche davantage à identifier et classifier et segmenter les constituants d'une phrase, quelle que soit leur fonction, sans se préoccuper, finalement de l'ensemble de la phrase (Crystal 1985:204). Le mot formel est essentiel dans cette théorie, et il a influencé une grande partie des années post-bloomfieldiennes, or théoriquement, ce mot n'a aucun rapport avec l'idée de signification. Bloomfield n'avait aucune confiance en l'intuition du linguiste, il ne voulait pas que les constructions linguistiques aient un statut psychologique. Selon sa théorie, la signification ne pouvait s'approcher qu'au travers de configurations distinctives de stimuli et réponse béhavioriste (Ibid:234). En l'absence d'outils pour l'appréhender ou la classifier

9 L'idée du structuralisme s'est essentiellement développée sur la base de Saussure et a accédé ainsi au statut qui en a fait un des thèmes linguistiques majeurs des trente années qui ont suivi. » (ma traduction).

précisément, Bloomfield a ainsi ôté la signification de ses recherches (Ibid:205). Il a en fait traité cette problématique en notant que la signification, plus qu'à la linguistique, était une tâche à réserver à d'autres disciplines ou d'autres chercheurs comme les zoologistes, par exemple, pour expliquer le sens de tel nom de plante (Bloomfield 1933:139). La question plus générale de la signification revenait de même davantage aux philosophes et logiciens qu'aux linguistes dans la pensée bloomfieldienne. Catford note que cela ne semble pas fonctionner, les définitions par des philosophes, logiciens ou autres scientifiques non spécialisés dans un domaine linguistique étant en effet le plus souvent peu pertinentes dans un usage quotidien de la langue (Catford 1983:15-6). En effet, lorsque l'on utilise un mot, cela n'a que rarement un rapport étroit avec la réalité scientifique de la chose nommée, le rapport s'établirait davantage avec la façon dont le locuteur conceptualise dans une situation précise la chose dont il parle (Ibid:14). En outre, séparer la question de la signification de la question de la description morphologique d'une langue, comme le préconisait Bloomfield, apparaît problématique à partir du moment où la signification est elle aussi systémique, c'est-à-dire que les significations de mots ou même de catégories grammaticales sont délimitées en fonction de leur rapport d'opposition à des significations d'autres mots ou d'autres catégories.

« language is systemic, and that the meaning of any particular word, and also of any grammatical category, are delimited by their opposition to other words or categories within the same system. This is particularly true of grammatical words and categories, which operate in strictly closed systems. But even in lexis, where words often belong to more loosely constituted open sets, there are clear cases of the delimitation of meaning by opposition to other members of the set. »10 (Catford 1983:23)

De même, au moment où Bloomfield arguait que la signification était un des points faibles de l'étude de la langue, Firth (1935) publiait un article majeur sur les techniques employées en sémantique et insistait sur le fait que la linguistique amputée de la signification

10 « La langue est systémique, et la signification de tout mot particulier ainsi que celle de toute catégorie grammaticale, est déterminée par leur opposition aux autres mots et catégories grammaticales au sein d'un même système. Cela est particulièrement vrai des mots grammaticaux et des catégories, qui opèrent dans des systèmes strictement étroits. Mais même au niveau de la lexie où les mots appartiennent à des ensembles ouverts moins fermement définis, on trouve des cas clairs de significations délimitées par opposition à d'autres membres de l'ensemble » (ma traduction).

devenait une discipline stérile (Stubbs 1996:35). Nous reviendrons plus tard sur ce courant linguistique qui a continué à travailler sur la signification, mais continuons maintenant avec la suite des linguistes structuralistes qui ont, à la suite de Bloomfield, exclu la signification de leur recherche.

Zellig Harris a poursuivi cette pensée bloomfieldienne en cherchant à voir comment ces constituants immédiats se répartissaient dans la phrase. Il recherchait en fait la distribution des éléments de la phrase. Pour ce faire, il se basait sur des observations de phrases qu'il analysait ensuite selon la fréquence avec laquelle tel ou tel constituant se distribuait auprès de tel autre constituant. Selon lui, la sémantique devait être considérée comme incluse dans la grammaire, cependant, ses études se sont essentiellement basées sur les classes de mots grammaticales qui étaient bien développées et relativement stables, contrairement à la dimension sémantique. Il cherchait en fait à décrire le sens de la phrase en notant une forme de représentation qui ne soit plus ambiguë. Pour réaliser cette représentation, il a travaillé sur les dépendances entre les différents mots d'un énoncé, les relatant sous la forme d'une transformation linéaire. La transformation est utilisée par Harris dans le sens d'une représentation qui préserve les combinaisons linéaires (Goldsmith 2004:721).