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linguistique générale, qu'est-ce qu'un corpus ?

II. 2.4- Les failles de la théorie du prototype en sémantique

Wierzbicka (1996) a nuancé l'idée d'une approche du prototype en sémantique qui permettrait d'oublier le modèle des conditions nécessaires et suffisantes. Selon elle, les deux théories ne s'excluent pas l'une l'autre et si les prototypes peuvent présenter des avantages, la clarté offerte par la pensée aristotélicienne (qui dans ses termes consiste en la recherche d'invariants sémantiques, c'est-à-dire, grosso modo, de conditions nécessaires et suffisantes) demeure utile et même vitale dans le domaine de la sémantique (1996:148).

La théorie du prototype fait souvent appel à des exemples tels que le mot anglais « bachelor » pour montrer que le modèle des CNS ne suffit pas pour expliquer ce mot. Wierzbicka montre que sans avoir besoin d'élaborer un prototype, il suffit dans ce cas de compléter, de reformuler la définition qui aurait été faite pour ce mot afin qu'elle soit complète. Selon Wierzbicka, de nombreux abus sont effectués dans l'utilisation de la théorie des prototypes qui n'est pas toujours justifiée (Ibid:160). De la même façon, elle réfute le postulat suite aux travaux de Rosch qui ferait d'une chauve-souris un membre non prototypique de la catégorie oiseau, oiseau est une catégorie taxonomique, en cela des frontières très précises peuvent en être dressées (Ibid:155). Au contraire, la catégorie « meuble » est bien un concept vague, puisqu'il est fondé sur la conscience collective que l'on en a et non sur une existence naturelle, cependant, on ne peut se servir de ce type de concepts flous pour rejeter en bloc le modèle des CNS selon Wierzbicka. Elle réfute particulièrement l'idée d'un degré d'appartenance à une catégorie, peu importe qu'un merle soit plus fréquemment ou plus spontanément associé à la catégorie oiseau qu'une autruche, l'important est que ces deux membres soient des oiseaux.

D'autre part, elle note que selon cette théorie, la signification des mots est considérée comme étant un ensemble flou de composantes sémantiques. Elle refuse ce point de vue en prenant l'exemple du mot « arbre » qui peut se décrire de façon très précise, avec un sens aux frontières bien délimitées (Ibid :168). De plus, si des définitions précises ne peuvent plus être données des mots et concepts, si on ne peut plus tracer une frontière nette entre le sens de tels et tels mots, alors il devient impossible de comparer les significations et

les valeurs dans différentes cultures (Ibid : 245). C'est pourquoi elle propose de rechercher davantage que de vagues composantes qui constitueraient le sens d'un mot, des invariants sémantiques universels, sortes de concepts basiques se trouvant dans absolument toute culture humaine de façon innée qui puissent rendre compte du sens des mots dans toutes les langues (1996:238). Néanmoins, bien que très intéressante et étayée de nombreuses études empiriques, un des problèmes de la pensée de Wierzbicka demeure dans la complexité de ses définitions, et le fait qu'elles soient relativement obscures d'un premier abord. Elle définit par exemple le mot « games » comme suit :

« (a) many kinds of things that people do (b) for some times

(c) for pleasure (i.e. because the want to feel something good)

(d) when people do these things, one can say these things about these people :

(e) they want some things to happen.

(f) if they were not doing these things, they wouldn't want these thing to happen

(g) they don't know what will happen (h) they know what they can do

(i) they know what they cannot do. » (Wierzbicka 1996:15954).

Lakoff a également trouvé une limite principale au modèle des prototypes. Comme nous l'avons déjà vu, il parle de « God's eye view » pour expliquer que selon la culture dans laquelle on se situe, on voit les choses différemment, en fonction de quoi il apparaît problématique de donner des membres de catégorie qui soient plus prototypiques que d'autres dans l'absolu. Ce membre prototypique est purement culturel (Lakoff 1987:446), et il est en conséquence essentiel de situer un prototype dans la culture où il est construit.

Si certaines des limites de la théorie des prototypes telles que le problème de la typicité ou gradation de l'appartenance à une catégorie apparaissent effectivement, il demeure néanmoins possible d'envisager une solution alternative à ce problème, autre que la recherche des primitifs sémantiques de Wierzbicka. Hanks a ainsi proposé une nouvelle

54 « (a) des types de choses que les gens font (b) pendant un certain temps (c) pour le plaisir (c'est-à-dire parce qu'ils veulent se sentir bien) (d) quand les gens font ces choses, on peut dire ces choses de ces gens : (e) ils veulent que des choses arrivent. (f) S'ils ne faisaient pas ces choses, ils ne voudraient pas que ces choses arrivent. (g) ils ne savent pas ce qui va arriver (h) ils savent ce qu'ils peuvent faire (i) ils savent ce qu'ils ne peuvent pas faire. » (ma traduction).

forme de prototypes, notamment en reprenant ces notions à la lumière de la pensée fondatrice de Wittgenstein, et en y intégrant le concept de coopération conversationnelle gricéen ainsi que les apport des corpus électroniques modernes.

II.3- Les prototypes selon Patrick Hanks.

Patrick Hanks est un lexicographe qui a dirigé de nombreuses éditions de dictionnaires en anglais, notamment le COBUILD ou des projets au sein de l'Université d'Oxford. Son domaine de recherche l'a amené à s'intéresser plus particulièrement aux analyses lexicales et à la façon d'étudier les sens en usage, en travaillant sur corpus.55 Il a à cette fin développé une théorie se basant sur le principe des prototypes en remontant à une autre pensée en étant assez proche, celle de l'air de famille de Wittgenstein. Nous allons voir dans cette partie comment Hanks a, à travers de nombreux articles, élaboré des prototypes sémantiques permettant d'appréhender avec davantage de précision les mots et concepts dotés de multiples acceptions dans l'usage courant, tels le mot « Europe » que nous pourrons ensuite étudier à l'aide des prototypes ainsi définis.

Au fil de divers articles, Patrick Hanks a mené une réflexion au niveau lexicographique sur les moyens de parvenir à une meilleure description du fonctionnement de la langue, et notamment de la signification, du sens dans les dictionnaires. Il a ainsi noté que concernant la langue dans son état naturel, l'imprécision, la redondance et son dynamisme sont trois propriétés principales, et qu'elles devraient davantage être prises en compte dans l'élaboration de dictionnaires ou de théories de la sémantique. La dynamique du langage fait ici appel à la notion gricéenne d'interaction conversationnelle. Concernant le propos de cette thèse, cette imprécision touche aussi de fait l'idée que l'on se fait d'un concept tel que l'Europe dès que l'on en parle puisque pour en parler, on utilise ces entités floues que sont les mots. Une méthode plus en adéquation avec la réalité pour représenter les sens que prennent ces mots permettrait donc de mieux voir ce qu'est le concept « Europe », cette réalité pouvant être approchée notamment via l'usage de grands corpus informatisés. C'est cette méthode, proposée par Hanks que nous allons maintenant détailler en voyant tout d'abord les lacunes qui ont conduit à son élaboration, puis la façon dont un prototype peut se

construire, et en en donnant un exemple avec le mot « bank ».