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PARTIE I – S’ÉCRIRE COMME LECTEUR

Chapitre 1 – Iconographies du lecteur : un parcours généalogique généalogique

3) Le lecteur sur les réseaux sociaux : du portrait à l’emblème ?

La mise en images du lecteur n’est pas nouvelle, mais les réseaux socio-numériques donnent lieu à une massification standardisée de ces pratiques de représentations. Ces dernières sont alors prises en charge par le lecteur lui-même, et influencées par le cadrage éditorial des dispositifs. En contexte numérique, les pratiques de lecture sont indissociables des pratiques d’écriture : le passage du portrait (image) à l’emblème (image + texte) entraîne une redéfinition du statut du lecteur.

3.1 L’image au centre des identités numériques 3.1.1 Partage photographique et stylisation de soi

En contexte numérique, la construction identitaire est indissociable de l’image. Milad Doueihi souligne ainsi la nécessité de mobiliser une iconographie pour incarner sa présence sur les réseaux sociaux. Pour créer un « compte », il est indispensable de choisir « un avatar, un portrait »77 qui accompagne le choix d’un nom ou d’un pseudonyme. Le spécialiste du numérique précise qu’il ne s’agit plus seulement de se nommer, mais de se montrer, de se donner à voir. L’image joue donc un rôle majeur dans la construction des identités numériques. Le partage photographique à l’œuvre sur les plateformes étudiées participe de cette stylisation de soi, dans la mesure où les photos partagées « donnent à lire des styles, des ethos ou des lignes éditoriales »78. Gustavo Gomez-Mejia souligne la manière dont le discours d’escorte de plateformes comme Facebook ou Twitter consiste à présenter la nature des contenus publiés comme représentative de la personnalité de

76 À l’instar d’émissions telles que Lire (1965–1968) ; Bibliothèque de poche (1966–1970) ; Gutenberg (1969–1970) ; Petit lecteur deviendra grand (1971–1973) ; ou Italiques (1971–1974).

77 Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, Paris, Seuil, 2011, p. 67.

78 Gustavo Gomez-Mejia, « Fragments sur le partage photographique. Choses vues sur Facebook ou Twitter », op. cit.

celui qui les publie, selon une logique du « Dis-moi ce que tu postes, je te dirai ce que tu es »79. L’écriture de soi comme lecteur passe, elle aussi, par la production d’iconographies spécifiques.

Le cadrage éditorial du dispositif encourage donc à la mise en scène de son propre « style », et cette incitation à la stylisation de soi entraîne une plasticité entre les catégories du lecteur et de l’auteur. De Jack Goody (pour qui le geste d’écriture « est l’occasion de visualiser sa propre pensée et d’objectiver son propre style affectif »80) à Louis Marin (qui analyse « en chiasme, la représentation de soi par l’écriture et l’écriture de soi par la peinture »81), de nombreux auteurs ont assimilé le processus d’écriture à un mode privilégié de figuration de soi. Or, en contexte numérique, l’écriture est inévitable dans la mesure où elle est indissociable des pratiques de lecture, amenant certains chercheurs en science de l’information à parler d’« écrilecture »82 ou de

« lettrure »83 numérique. Ce fonctionnement spécifique pose la question de la créativité du lecteur en régime numérique et de la refiguration des rôles qui en découle. Si, face au numérique « nous sommes tous des auteurs »84, alors l’individu qui se donne à voir comme lecteur signale dans un même geste son auctorialité. La construction d’une identité de lecteur est indissociable de la mise en visibilité de ce que Roland Barthes appelait « texte-lecture », « ce texte que nous écrivons dans notre tête »85, et qui s’incarne sur les plateformes audiovisuelles. Il s’agit alors de textualiser son expérience de lecture pour affirmer sa singularité.

3.1.2 De l’anonymat à l’auctorialité ?

Pour Yves Jeanneret, l’anonymat ne peut se réduire à la simple présence ou absence de nom. C’est l’usage de ce nom par le dispositif médiatique qui fonde la nature anonyme (ou non) de son propriétaire. Il formule ainsi la distinction suivante :

Ce qui distingue cet [anonyme télévisuel] d’une vedette, d’un auteur, d’une personnalité, bref de ceux qui peuvent être nominés, c’est essentiellement que son nom ne fait pas mémoire, qu’il n’a pas statut de monument, qu’il n’a pas été réécrit, qu’il n’a pas de valeur citationnelle. Au contraire, tout le dispositif est organisé pour que cette personne dont le visage nous est montré et le nom fourni, ne

79 Ibid.

80Jean-Marc Leveratto, Mary Leontsini, Internet et la sociabilité littéraire, op cit., p. 133 ; d’après Jack Goody, La raison graphique, Paris, Minuit, 1989.

81 Yves Jeanneret, « Les amis de Christophe : genèses d’une figure sociale de la lecture », op. cit.

82 Marie-Anne Paveau rappelle que le terme est une « traduction du néologisme ecrileitura proposé en 1992 par le chercheur portugais en sciences de l’information Pedro Barbosa », in « Des discours et des liens. Hypertextualité, technodiscursivité, écrilecture », Semen. Revue de sémio-linguistique des textes et discours [en ligne], n°42, 2017.

URL : https://journals.openedition.org/semen/10609.

83 Emmanuël Souchier, « La “lettrure” à l’écran », Communication & langages, vol. 174, n° 4, 2012, pp. 85-108.

84 François Jost, Le culte du banal. De Duchamp à la télé-réalité, op. cit., p. 85.

85 Roland Barthes, S/Z, Paris, Seuil, 1970, p. 33.

représente pas sa propre identité, mais une catégorie abstraite. Le message organise somme toute l’oubli, au moment précis où il l’exhibe86.

À ce titre, il peut arriver que les émissions de télévision désignent les rares lecteurs « ordinaires » par leur nom ou leur fonction, sans pour autant les arracher à leur condition d’anonymes. Au sein de l’émission Lire c’est vivre, la plupart des lecteurs étaient identifiés avant tout par le biais de leur métier (« M. Dauvergne, imprimeur »87, « Un jeune couple, les Lamaze. Il travaille dans la finance. Elle est pour l’instant en congé maternité. »88). Le présentateur les désigne tantôt par leurs surnoms (« Balou », « Dédé », « Jeannot »89), tantôt par leur seul prénom (« Maurice »), et dans de rares cas par l’emploi de leur nom de famille (« Monsieur et Madame Lamaze », « Monsieur Dauvergne »)90. Pour autant, ce jeu de nomination est immédiatement voué à l’oubli, s’effaçant dans une éphémérité qui distingue leur prise de parole de celle des lecteurs « professionnels » (le présentateur ou les chroniqueurs) ou des auteurs invités chaque semaine.

À l’inverse, sur YouTube, Instagram ou Tumblr les internautes ancrent la permanence de leur identité dans le choix d’un pseudonyme dont la récurrence et la spécificité soulignent leur subjectivité. Le cadrage éditorial de ces plateformes intègre systématiquement le nom des auteurs de contenu, apposés comme une signature à chaque publication, et assurant ainsi un effet de répétition nécessaire au processus de nomination. Par ailleurs, la possibilité de choisir son pseudonyme permet aux internautes de manifester immédiatement leur identité de lecteur.

Nombreux sont les comptes qui mentionnent dans leur appellation soit leur statut de lecteur (AnaisSerialLectrice, JordyreadsBooks, Margaud Liseuse, Andrealitdeslivres, etc.) soit leur passion pour le livre (Livresàlire, un océan de livres, prettybooks, le monde est un livre, la bibliothèque des rêves, etc.). L’internaute qui construit son identité littéraire sur ces plateformes n’est donc plus un anonyme. Entre dynamiques d’auto-représentation et hétérogénéité sémiotique, comment se décline le portrait de lecteur sur les plateformes audiovisuelles ?

3.2 Fonctionnement emblématique des iconographies 3.2.1 (Auto)portraits de la jeune fille au livre

Les iconographies du corps lisant qui circulent sur les réseaux sociaux relèvent en grande majorité de dynamiques d’auto-représentation à l’inverse de l’hétéro-représentation qui prévalait dans les traditions picturales et photographiques. La logique du réseau social encourage l’écriture de soi par

86 Yves Jeanneret « Supports et ressorts de l’anonymat », in Lambert Frédéric (dir.), Figures de l’anonymat : médias et société, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 195.

87 Roland Coste, Pierre Dumayet, Lire c’est vivre, émission du 2 septembre 1975, archives de l’Ina.

88 Ibid.

89 Ibid.

90 Ibid.

soi : la production d’images ne relève plus d’un regard externe porté sur l’altérité, mais sur la mise en scène de sa propre intériorité. Cette injonction massifiée à la production d’autoportraits a souvent été identifiée comme une caractéristique majeure de l’environnement numérique, portée à son paroxysme par la naturalisation du selfie. Sur les plateformes de partage d’image, certaines iconographies « en actes » de l’activité de lecture renouent pourtant avec les traditionnelles représentations picturales de la figure du lecteur évoquées plus haut. Dans les images ci-dessous, l’esthétique du selfie se dissout au profit de l’adoption d’un point de vue externe.

Figure 16. Jeunes filles lisant

Source : Captures d’écran du 24/10/2018, compte Tumblr books-and-cookies (à gauche), compte Instagram bulledop (à droite).

On note ainsi de nombreuses similitudes entre ces images natives publiées par des internautes, et les iconographies traditionnelles : jeunes filles lisant dans un cadre privé, assises dans un fauteuil ou sur un lit, le regard fuyant l’œil du peintre/l’objectif du photographe pour se concentrer sur le livre. Ces représentations renouent avec la dimension à la fois médiagénique (lecture immobile et silencieuse qui se prête bien aux représentations visuelles) et énigmatique (impossibilité de représenter le déploiement de la psyché de ces lectrices) de la peinture. Par rapport aux tableaux, le

« ça a été » photographique91 constitue un gage supplémentaire de l’existence tangible de la scène, qui donne l’impression d’une activité saisie sur le vif. Les internautes fondent la légitimité de leur

91 Roland Barthes, La chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Gallimard, 1980.

posture sur « le statut naturel de témoignage »92 accordé à la photographie. Cependant les dynamiques d’auto-construction identitaire sur les réseaux sociaux (re)posent la question de l’artificialité/authenticité de la mise en scène. YouTube, Instagram ou Tumblr constituent des espaces propices à cette lecture surjouée à l’attention d’un public. L’internaute y publie des images de lui-même en train de lire, mais qui supposent la mobilisation d’un arsenal technique et stratégique (régler le retardateur, ne pas regarder l’objectif, « poser » dans une attitude de lecture) annulant immédiatement la potentialité d’une lecture effective, « sur le vif ».

Autre différence de taille avec les iconographies traditionnelles : l’omniprésence du texte, qui encadre l’image et en modifie le fonctionnement. Sur Instagram et sur Tumblr le pseudonyme apparaît au-dessus de chaque image publiée (entouré en rouge), associé à d’autres artefacts tels que les boutons « like » ou « partage » (entourés en vert). À ce double indicateur d’auctorialité et de popularité du contenu, imposé par l’interface du dispositif, s’ajoute le texte produit par l’internaute en guise de légende. Qu’elle prenne la forme d’une citation (à gauche) ou d’une description accrocheuse (à droite), cette dernière contribue à ancrer la littérarité des iconographies, complexifiées par l’hétérogénéité sémiotique des plateformes. Nous analyserons tout au long de ce travail la manière dont ce cadrage éditorial contribue à influencer la nature des contenus publiés.

3.2.2 Le « devenir image » du texte

En régime numérique, l’image est rarement isolée : elle est le plus souvent associée au texte qui l’accompagne (ainsi qu’à d’autres images, hyperliens, vidéos, etc.). C’est cette hybridation d’un texte iconographique avec son contexte qui le rend circulant, et l’ancre ainsi dans un système de sociabilité, dans la mesure où « elle met en scène les éléments constitutifs du lien social en évolution et exhibe, dans les images comme dans les liens, la nature de la relation »93. Cette

« insécabilité »94 de l’image et du texte, caractéristique du régime numérique, exerce une incidence sur les modes de représentation visuelle du lecteur. Ainsi, sur Instagram, YouTube ou Tumblr,

« liker » un contenu, « reposter » une publication, « commenter » une image, c’est déjà indiquer un lien de proximité et une validation implicite de l’identité revendiquée par l’auteur de l’image.

Nous avons vu précédemment que le statut de lecteur s’identifie traditionnellement par la mise en présence conjointe du corps et de l’objet livre à l’image. Sur les dispositifs numériques, ce motif iconographique est indissociable d’un contexte déterminé par un cadrage éditorial spécifique. Les architextes des plateformes incitent ainsi leurs utilisateurs à accompagner leur image de profil d’un texte descriptif, qui fonctionne comme une légende. Cet ensemble image + texte de présentation

92 Julia Bonaccorsi, Fanstasmagories de l’écran. Pour une approche visuelle de la textualité numérique, op. cit., p. 72.

93 Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, op. cit., p. 101.

94 Valérie Jeanne-Perrier, « Du banal et de l’ordinaire : les processus de trivialisation des médiations sur la mode observés sur Instagram », colloque La mode internétique, une réalité contemporaine polarisée ?, Corps & Sociétés, MSH Paris Nord, 26 juin 2019.

est désigné sous l’appellation « biographie », qui fait écho à la tradition littéraire du récit de soi ou d’autrui. Ce texte joue une fonction d’ancrage, qui permet de sursignifier les identités de lecteur exprimées par l’image. Les présentations des lecteurs relèvent de cette logique standardisée qui repose sur des formes d’hybridation sémiotique.

Figure 17. « Profils » de lecteurs et hybridation sémiotique

Source : Captures d’écran du 25/04/2019, compte Instagram Passion.lecture_ (à gauche), compte Tumblr Coffeebooksorme (à droite).

Les modes de présentation varient ainsi en fonction des plateformes. Sur Instagram, les contraintes formelles inhérentes à l’interface (une « biographie » ne peut contenir plus de 150 caractères et un seul lien externe) encadrent formellement cet exercice de présentation de soi. Dans des articles

« conseils » adressés aux internautes débutants, ces derniers sont incités à y « intégrer des émojis en lien avec [leur] activité »95, ainsi qu’à « mettre en avant ce qui [les] rend uniques »96, en adoptant une tonalité « amusante et personnelle »97. Sur l’exemple présenté ci-dessus, ces structurations d’usages implicites sont pour la plupart respectées : le texte de présentation est court, l’internaute indique son genre littéraire de prédilection ainsi que ses auteurs favoris (qu’elle

« mentionne » en les « taggant », pratique de sociabilité que nous analyserons plus loin). L’émoji du livre empilé est utilisé quatre fois, effet d’accumulation qui vise à répéter visuellement une posture de lectrice. Il est substitué en première ligne au mot « livre », témoignant d’une hybridité sémiotique qui fonctionne au niveau syntaxique. Ici les mots se mêlent aux images, mais

95 Céline Albarassin, « Instagram : 10 conseils pour une bio au top », Codeur [en ligne], 2019, URL : https://www.codeur.com/blog/instagram-conseils-bio/.

96 Guilhem, « Conseil de la semaine : 5 tips pour améliorer votre profil Instagram cet été », Cibleweb [en ligne], 9 juillet 2018, URL : https://blog.cibleweb.com/2018/07/09/conseil-semaine-5-tips-ameliorer-profil-instagram-cet-ete-102823484.

97Aleks Ignjatovic, « Bio Instagram : 7 conseils pour rédiger une biographie parfaite », Shopify [en ligne], 29 novembre 2018, URL : https://fr.shopify.com/blog/bio-instagram-7-conseils-pour-rediger-une-biographie-parfaite ;

également aux chiffres : on relève plusieurs manifestations de la propension du dispositif à quantifier des données. Le profil du lecteur est ainsi rendu indissociable du nombre de ses publications, de ses abonnés et de ses abonnements, qui participent d’une légitimation de sa posture (phénomène que nous analyserons plus loin à l’aune du concept de « métrophilie numérique »98). Le compte Tumblr s’inscrit quant à lui davantage dans la tradition du « billet de blog », rédigé sur le modèle du journal intime dont s’inspire la plateforme. Le texte, plus détaillé, s’adresse directement aux internautes, et contribue à affirmer un statut d’« accro inconditionnelle aux livres, aux bandes-dessinées, et à tout objet littéraire qui croise [son] regard »99. Cette présentation écrite renforce la dimension littéraire de l’iconographie mobilisée, qui met en scène les deux passions de l’internaute : les livres et le café. Les deux photographies de profil publiées ici s’inscrivent dans la même forme ronde imposée par le cadrage éditorial (qui rappelle les traditionnels portraits en médaillon, où l’image miniaturisée était déjà associée à un enjeu de mobilité), et figurent tous deux des objets qui rappellent le stéréotype de la passion littéraire (une pile de livres dans le premier cas, une tasse à slogan – « Le bonheur c’est une tasse de café et un très bon livre »100 – dans le second), sans donner à voir de corps lecteurs.

Cette hybridation du texte et de l’image n’est cependant pas spécifique au régime numérique : l’exercice du portrait dans la presse écrite fonctionne déjà sur ce principe101. La différence entre les portraits de presse et les portraits encadrés par les plateformes audiovisuelles réside cependant dans l’inversion du ratio texte-image. Dans le cadre de la presse écrite, l’image illustre le texte, tandis que sur les dispositifs de notre corpus, c’est le texte qui légende l’image. Ce renversement des hiérarchies sémiotiques marque le passage du portrait à l’emblème, défini par Milad Doueihi comme un « texte bref associé à des images circulant efficacement sur des réseaux et des contextes multiples et variables »102. Les plateformes étudiées fonctionnent sur une mise en circulation des images, et ce « primat du visible sur le lisible »103 favorise l’illustration plutôt que l’explicitation de l’expérience littéraire. De fait, sur Instagram, YouTube ou Tumblr l’image en elle-même est très rarement annotée directement104 : les critiques du livre sont reléguées dans la description accolée à la photo, partiellement masquée lorsqu’elle est trop longue (il faut alors « dérouler » le

98 Etienne Candel, « Le cas de la critique de livre “participative” sur les réseaux », in Ivanne Rialland (dir.), Critique et médium, op. cit., p. 329.

99 Citation originale : « I’m hopelessly addicted to books, comics, and anything literary that catches my eyes » (nous traduisons).

100 Citation originale : « Happiness is a cup of coffee and a really good book » (nous traduisons).

101 Sur l’hybridation texte/image dans les portraits de presse, voir Adeline Wrona, Face au portrait. De Sainte-Beuve à Facebook, Paris, Hermann Éditeurs, 2012.

102 Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, op. cit., p. 102.

103 Adeline Wrona, « Petites anthologies numériques: Facebook, ou la littérature en fragments partagés », Les formes brèves dans la littérature web. Laboratoire N 2’S, E-journal [en ligne], n°9, 2015. URL : http://nt2.uqam.ca/fr/cahiers-virtuels/article/petites-anthologies-numeriques-facebook-ou-la-litterature-en-fragments.

104 À l’exception de la fonctionnalité « stories » sur Instagram, que nous détaillerons plus loin.

texte pour pouvoir la lire). Adeline Wrona évoque à ce titre un « devenir vignette »105 du texte qui ne peut circuler autrement que par son association aux « mises en images »106 de la littérature.

Ce fonctionnement emblématique (texte + image) évacue par ailleurs la nécessité d’une représentation systématique du corps lecteur. Muet et souvent anonyme en photographie et en peinture, relégué au second plan à la télévision, le lecteur « ordinaire » bénéficie ici d’un double médium d’expression, à travers la production conjointe d’image et de texte. Dans la mesure où l’association de l’image et de l’écrit permet de « faire parler » les corps silencieux, il n’est donc plus nécessaire de représenter systématiquement la lecture « en acte » dans les contenus publiés en ligne. Sur les réseaux numériques, le corps n’est plus mobilisé seulement comme incarnation de l’acte de lecture, mais comme embrayeur de signification littéraire. Dans la plupart des images de notre corpus, il ne figure plus au centre, mais en périphérie, voire s’efface complètement au profit de l’objet livre. Nous interrogerons cette tension entre érotisation du corps et sa mise en absence au chapitre 4.

L’auctorialité de l’internaute (autorisée par le régime numérique d’« écrilecture ») ainsi que l’enjeu de « description autoreflexive »107 (qui permet la mise en scène de sa propre singularité via l’image et le texte), ne doivent pas pour autant éclipser la nature éminemment standardisée de ces pratiques d’autoreprésentation. Les pratiques d’écriture de soi y sont toujours encadrées par la puissance contraignante de l’architexte, qui lisse les différences et massifie les usages. À travers la figure du lecteur, c’est aussi le paradoxe d’une identité à la fois singulière et standardisée qu’il s’agira d’interroger. Le processus de lissage des identités lectorales numériques transforme et instrumentalise la tradition humaniste de mise en scène de soi par la lecture.

105 Adeline Wrona, « Petites anthologies numériques : Facebook, ou la littérature en fragments partagés », op. cit.

106 Ibid.

107 Gustavo Gomez-Mejia, Etienne Candel, « Littératures de salon. Des “régimes sociaux” du littéraire dans les

“réseaux en ligne” », op. cit.

Chapitre 2 – Soi-même comme lecteur : l’héritage humaniste en contexte numérique

es réseaux sociaux se structurent comme des « fabriques de soi »1 qui incitent à la mise en scène semi-automatisée d’informations personnelles. Les travaux en sciences de l’information et de la communication2, en sociologie3, voire en littérature4, identifient la manière dont les plateformes numériques se présentent comme les lieux privilégiés d’une mise en scène de la singularité. Les outils-marques étudiés proposent ainsi de nombreux dispositifs pour se raconter comme individu, et donc par extension comme individu lecteur. Ce faisant, ils standardisent et

es réseaux sociaux se structurent comme des « fabriques de soi »1 qui incitent à la mise en scène semi-automatisée d’informations personnelles. Les travaux en sciences de l’information et de la communication2, en sociologie3, voire en littérature4, identifient la manière dont les plateformes numériques se présentent comme les lieux privilégiés d’une mise en scène de la singularité. Les outils-marques étudiés proposent ainsi de nombreux dispositifs pour se raconter comme individu, et donc par extension comme individu lecteur. Ce faisant, ils standardisent et