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Préambule – Espaces littéraires et poétique de la localisation

3) Se dire pour appartenir

Si les dispositifs étudiés dans cette thèse sont des machines à produire leurs propres taxinomies, les usagers ne sont pas en reste. À l’automatisation « top-down » de la catégorie succède ainsi la production « bottom-up » du mot-clé. Nous verrons dans cette section comment les internautes revendiquent leur appartenance à un environnement médiatique en labellisant leurs contenus via l’usage d’appellations spécifiques. La production de néologismes fonde ici l’agentivité d’individus qui souscrivent de leur plein gré à un enjeu définitoire. Ces dialectes sont ensuite « récupérés » par le dispositif, qui automatise l’étiquetage des contenus par hashtags pour opérer un lissage formel dans la diversité des pratiques. C’est sur cette puissance de standardisation que nous nous appuierons pour définir notre propre méthodologie de recherche.

3.1 Le néologisme comme technodiscours

Anne Cordier mobilise la notion bourdieusienne de champ pour caractériser les luttes de pouvoir liées à la visibilité qui se jouent en permanence au sein des plateformes143. À l’échelle de dispositifs qui revendiquent leur statut de « réseaux sociaux », le manque de visibilité n’est plus considéré comme un signe de distinction élitiste, et encore moins comme un indicateur de la qualité des contenus, mais comme un handicap concurrentiel. Nous postulons ici que les enjeux d’auto-appellation, où les internautes créent un vocabulaire pour désigner leurs propres pratiques, participent de cette volonté de déjouer la marginalité.

141 Jean Burgess, Joshua Green, YouTube : Online video and participatory culture, op.cit., p. 8. Citation originale :

« Categories are imposed by design rather than emerging organically out of collective practice » (nous traduisons).

142 Alain Viala, « Effets de champ et effets de prisme », Littérature, n°70, 1988. Médiations du social, recherches actuelles. pp. 64-71.

143Anne Cordier, colloque « Youtubeurs, Youtubeuses », PRIM, IUT de Tours, 9 novembre 2017.

La production néologique en ligne constitue ce que Marie-Anne Paveau appelle un

« technodiscours » : le préfixe techno désigne ici les possibilités techniques offertes par les plateformes, dont s’empareront les usagers pour produire des discursivités spécifiques144. La mise en place d’un dialecte relève d’une double incitation à la créativité et au partage. Incitation à la créativité, car l’invention d’un mot relève d’une certaine littérarité : la production d’un langage nouveau pour décrire des portions de réel inexplorées constitue une attitude auctoriale par excellence, à l’instar du lexique orwellien. C’est de cette nature littéraire du mot inventé que découle sa fonction de partage. L’usage d’un même « technodiscours » conduit à la formation de

« communautés discursives », définies comme « un ensemble de locuteurs qui partagent des usages […] et des rapports au langage et au discours »145. Nous proposons ici d’évaluer la manière dont ces productions lexicales maintiennent la tension dialectique entre ouverture et fermeture, nécessaire à l’émergence des trois communautés discursives que sont « Bookstagram » sur Instagram, « BookTube » sur YouTube et « Booklr » sur Tumblr.

Les appellations « BookTube », « Bookstagram » et « Booklr » remplissent ici un double objectif : signaler une spécificité en exhibant l’appartenance au dispositif, et se distinguer dans le même temps d’autres pratiques relatives à la littérature qui coexistent au sein de chaque plateforme. La ligne de partage ne s’effectue alors plus par rapport à la nature des contenus publiés (littéraire versus non-littéraire), mais par rapport aux types de technodiscours employé. Il ne s’agit pas pour nous de traquer toutes les déclinaisons possibles de partages littéraires au sein de dispositifs généralistes, mais seulement celles qui revendiquent un fonctionnement homotopique, et qui font signe de cette homotopie par des formes de labellisation spécifiques.

3.1.1 Affirmer son appartenance

Les termes « Booktube », « Bookstagram » et « Booklr » désignent donc des communautés d’usages produisant des contenus relatifs à la littérature. Pour autant, tous les internautes qui parlent de littérature sur YouTube, Instagram et Tumblr ne peuvent pas prétendre appartenir à ces communautés discursives. Nous avancerons ici que la spécificité de ces usages passe en premier lieu par la récupération de l’étymologie des plateformes. Les trois termes choisis pour désigner un type particulier de partage littéraire reposent sur une même construction lexicale : le substantif anglais book, accolé à un suffixe qui fait référence au dispositif d’accueil (Bookstagram = book + Instagram ; Booklr = book + Tumblr; Booktube = book + YouTube). C’est par le jeu onomastique que les internautes revendiquent ici un statut spécifique de lecteurs. Ce collage terminologique est caractéristique de la conjugaison d’imaginaires littéraires (incarnés par un préfixe désignant le livre – book – plutôt que le lecteur, ce qui, nous le verrons, n’est pas anodin) à des imaginaires

144 Marie-Anne Paveau, « Genre de discours et technologie discursive », Pratiques, n°157-158, 2013, pp. 7-30.

145 Ibid.

numériques à la fois propres à la culture de chaque plateforme, et relevant de dynamiques communes.

Cette volonté d’assimilation au nom de l’outil-marque est révélatrice de la relative marginalité des pratiques littéraires sur ces plateformes généralistes. De fait, il semblerait que les usages majoritaires ne se réclament pas d’une même volonté d’appartenance : ainsi les YouTubeurs beauté ou jeux vidéos ne revendiquent pas l’appellation « Beautytubeuses » ou « Gametubers ».

Plus encore, certains internautes, à l’instar du très populaire Antoine Daniel (dont la chaîne YouTube compte plus de deux millions d’abonnés), rejettent explicitement l’appellation de

« YouTubeur », associée à des enjeux de formatage :

Être « youtubeur », pour moi, c’est répondre à des codes sociaux tacites. Je trouve ça tellement dommage de se trouver sur Internet et de se formater, alors que tellement de choses sont possibles ! […] Je trouve ça assez fou, c’est comme si un mec de France 3 se disait « France Troiseur ».

[…] « Youtubeur » a une connotation vraiment business pour moi, alors qu’un vidéaste, c’est tout simplement quelqu’un qui aime faire des vidéos.146

Le néologisme est ici connoté négativement, assimilé à une démarche marketing en contradiction avec la figure de l’amateur passionné. Plus étonnant, il semble que la plateforme elle-même ne cherche pas à capitaliser sur cette appellation : le discours d’escorte employé sur le site préfère l’emploi du terme « créateur » à celui de « Youtubeur » (voir la rubrique « YouTube Creators », présenté comme un guide des « bonnes pratiques » à l’intention des néophytes147). Cette prédilection pour des termes comme « créateur » ou « vidéastes » témoigne de la résurgence de la notion d’auctorialité dans les imaginaires créatifs. En rejetant l’emploi du terme « Youtubeur », la plateforme renforce un discours d’accompagnement articulé autour de la neutralité affichée du dispositif, tandis que les internautes signifient leur indépendance par rapport à cet environnement médiatique. À l’inverse, en se désignant comme « Booktubeurs » (ou « Bookstagrameurs », ou

« Booklristes »), les usagers revendiquent leur intégration à un environnement formaté, ce qui contribue paradoxalement à asseoir la spécificité de leur positionnement.

3.1.2 Signifier sa distinction

Sur Instagram, YouTube et Tumblr, les contenus relatifs à la littérature se caractérisent par leur hétérogénéité. Nous postulons que derrière le choix d’un même préfixe « book » (« Booktube »,

« Bookstagram », « Booklr ») pour désigner un ensemble de pratiques se dessine une première ligne de démarcation entre postures de lecteurs et postures d’auteurs en ligne. De fait, il existe sur

146 Extrait d’un entretien cité dans l’article « Les YouTubeurs, le mépris des médias et le concept de “vrai métier” », Madmoizelle [en ligne], 12 novembre 2015. URL : https://www.madmoizelle.com/youtubeur-metier-460613.

147 URL : https://www.youtube.com/intl/fr/creators/.

les trois plateformes étudiées de nombreux contenus relatifs à la production littéraire plutôt qu’à sa réception.

Sur Instagram, la popularité du néologisme « Instapoet » (accolé à plus de trois millions de publications) signale à lui-seul l’intérêt porté à cette poétisation de la plateforme, dont la dimension visuelle est utilisée pour produire des haïkus illustrés. Les plus populaires, à l’instar de la canadienne Rupi Kaur, connaissent de véritables succès d’édition : son ouvrage Milk and Honey, anthologie des publications issues de son compte Instagram, s’est écoulé à plus de 500 000 exemplaires148. De la même manière, Tumblr est également le lieu de productions de récits littéraires nativement numériques, au premier rang desquels figurent les fanfictions. Ces réécritures de romans à succès par des amateurs passionnés y trouvent un écho particulièrement important. Le dispositif encourage ainsi la structuration de sociabilité autour de ces pratiques, que les fonctionnalités de « republication » et d’annotations contribuent à faire circuler. Enfin, YouTube est aussi le lieu d’expérimentations littéraires, où il ne s’agit plus de mettre en scène la réception des œuvres, mais d’organiser la production de nouvelles formes de littérarité. Gilles Bonnet propose le terme de « LittératTube », pour désigner « un corpus nouveau et en expansion constante, regroupant les expériences actuelles de vidéo-écriture, qui explorent un pan audio-visuel de la littérature diffusée sur Internet »149.

Le chercheur oppose ces productions créatrices, souvent initiées par des auteurs, aux revues de lecture des Booktubeurs150. La présence auctoriale y est décrite comme une forme d’usage à contre-courant, en réaction à un formatage plus consensuel au sein de la « communauté » Booktube151. Dans le néologisme « LittéraTube », la substitution du préfixe « litté » au préfixe

« book » n’est à ce titre pas anodine : par effet métonymique, le terme « livre » est associé au lecteur, tandis que le terme « litté » fait ici référence à une forme d’auctorialité. Si l’hybridation avec le nom de la plateforme est ici conservée, c’est pour activer un fonctionnement quasi-oxymorique : à l’homotopie du « BookTube » répond l’hétérotopie de la « LittéraTube », qui permet justement de « troller YouTube »152. Le « Tube » médiatique est alors envisagé comme le lieu d’un détournement, plus que d’une adaptation. La même opposition terminologique se joue sur Instagram, entre les « Bookstagrameurs » (figures de lecteurs) et les « Instapoets » (figures d’auteurs).

148 Cécile Mazin, « Rupi Kaur, la poétesse aux 500 000 recueils vendus », ActuaLitté [en ligne], 01/09/2016. URL : https://www.actualitte.com/article/monde-edition/rupi-kaur-la-poetesse-aux-500-000-recueils-vendus/66758.

149 Gilles Bonnet, « LittéraTube », Atelier Fabula [en ligne], avril 2018. URL : https://www.fabula.org/atelier.php?LitteraTube.

150 Gilles Bonnet, « La lecture à voix autre: les lectubeurs », Actes du colloque Art, littérature et réseaux sociaux, op.

cit.

151 Ibid.

152 Ibid.

Nous avons évoqué en introduction le fait que plusieurs travaux universitaires relatifs à la

« littérature numérique » portaient sur la créativité inhérente à la production d’œuvres

« nativement » numériques. Ces nouvelles formes d’auctorialité y sont souvent présentées comme autant de moyens de « contrer la machine médiatique »153. La présence auctoriale et la production de textes littéraires sur les réseaux sociaux y sont assimilées à une forme de subversion du dispositif pour en faire « autre chose », créant ainsi un espace culturel en résistance au sein d’industries du web capitalistes et massifiées. À l’instar de Gilles Bonnet, Alexandra Saemmer associe ainsi certaines expérimentations littéraires d’auteurs tels que Jean-Pierre Balpe sur Facebook à un processus de « mise à l’épreuve »154 des logiques du dispositif. Elle montre que ces

« pirouettes ironiques »155 peuvent déjouer, par leur ambiguïté, les stratégies de domination automatisées des dispositifs numériques. Alexandre Gefen identifie également des relations entre « numérique » et « littérature contemporaine » qui oscillent entre assimilation, résistance et reconversion156. Il évoque à ce titre les réseaux sociaux comme des espaces où se vérifie « la puissance de la littérature comme subversion ironique, détournement subjectivant ou transformation réflexive des discours communs »157. Cette opposition entre hétérotopie auctoriale et homotopies lectorales peut être liée à l’influence d’un contexte épistémologique spécifique. Dès lors que la « cyberculture » est assimilée à une nouvelle esthétique de la réception qui proclame la

« mort de l’auteur »158, les manifestations numériques de ce dernier apparaissent nécessairement comme des scénographies à contre-courant. Produire du récit littéraire sur ces espaces relèverait à ce titre de pratiques de détournement, tandis que se donner à voir en tant que lecteur constituerait déjà un usage banal et standardisé.

En se référant à une appellation commune, les internautes signifient leur appartenance à un groupe plutôt qu’un autre, à l’image de la distinction auteurs/lecteurs identifiée ici. Ainsi, la néologisation des appartenances communautaires permet de désigner le semblable autant que l’altérité : les

« Booktubeurs », « Bookstagrameurs » et « Booklristes » marquent leur différence de statut avec les postures auctoriales qui se déploient également sur ces plateformes. Mais si l’invention de termes spécifiques permet de tracer des frontières au sein d’un même dispositif, elle entraîne également la construction de ponts entre les plateformes.

153 Gilles Bonnet, « La lecture à voix autre: les lectubeurs », op.cit.

154 Alexandra Saemmer, « Littérature et numérique : archéologie d’un paradoxe », Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, op. cit.

155 Ibid.

156 Alexandre Gefen, « La littérature contemporaine face au numérique : assimilation, résistance ou reconversion ? », in Olivier Bessard-Banquy (dir.), Les Mutations de la lecture, op. cit.

157 Ibid.

158 François Jost, Le culte du banal. De Duchamp à la télé-réalité, Paris, CNRS Éditions, 2007, p. 85.

3.2 Le néologisme comme puissance transmédiale 3.2.1 Des termes transversaux

« Bookstagram », « Booklr » et « Booktube » sont des appellations choisies par des communautés pour se désigner elles-mêmes au sein de la plateforme d’accueil. Mais ces termes spécifiques circulent également d’un dispositif à l’autre, dans la mesure où certains internautes possèdent à la fois un compte YouTube, un compte Instagram et un compte Tumblr159, ce qui les amène parfois à faire signe vers ces autres territoires. Nous avons cherché à illustrer cette porosité des usages dans le tableau suivant, synthèse des recherches associées aux mots-clés « booklr », « bookstagram » et

« booktube » pour chacun des dispositifs étudiés :

Tableau 1. Circulations inter-plateformes des mots-clés

Sur Instagram : Présence de contenus associés au hashtag « booklr » dans plus de

Sur YouTube Pas de vidéos dont le contenu est directement en relation avec

Les liens entre les plateformes s’avèrent ici largement tributaires du degré d’ouverture et de fermeture autorisé par l’architexte de chaque dispositif. Ainsi, nous avons vu plus haut qu’Instagram n’autorisait pas la publication d’adresses URL (à l’exception de celle pouvant être mentionnée dans la description du profil – appelée « biographie » – de chaque internaute). Dès lors, pour faire signe vers la présence de contenus similaires à l’extérieur de la plateforme, les usagers recourent à la pratique du tag : un contenu publié sur Instagram et associé aux tags

« booklr » ou « booktube » signifie ainsi implicitement que l’auteur du contenu possède également un compte sur Tumblr et Youtube.

À l’inverse, YouTube et Tumblr bénéficient de politiques éditoriales plus ouvertes, il est donc fréquent que les contenus qui y sont publiés soient accompagnés de liens hypertextes menant à des comptes littéraires extérieurs à ces plateformes. Plus encore, on remarque une véritable hybridation de ces différents territoires non plus seulement au niveau des métadonnées (adresses URL « activables » intégrées aux descriptifs des contenus publiés), mais au niveau des contenus eux-mêmes. Une recherche autour du mot-clé « Bookstagram » sur YouTube aboutit ainsi à de nombreuses vidéos de conseils pour réussir ses photos de livres sur Instagram, indiquant une véritable convergence des pratiques au sein de ces différents médiums.

De la même manière, l’architexte de Tumblr autorise l’intégration de vidéos YouTube au sein même de son interface. C’est précisément cette hybridation des formats qui a permis la centralisation des contenus consacrés à la littérature sur YouTube, via la création d’un Tumblr regroupant ce type de vidéos160. Le terme Booktube serait en effet apparu pour la première fois en 2011, avec la création d’un Tumblr (booktubenews.tumblr.com, inactif depuis 2017) par deux américaines possédant des chaînes YouTube consacrées à la littérature : Elizziebooks et Rincey reads161. Le but affiché de ce Tumblr était de centraliser les chroniques de livres émergeant de manière disparate sur YouTube, et de rassembler les internautes autour de ces pratiques pour créer un sentiment de communauté162. La capacité d’agrégation du second dispositif (collection de monographies au cœur du fonctionnement de Tumblr) a ainsi été utilisée pour pallier les insuffisances du premier (absence d’une catégorie « Littérature » sur YouTube), selon un principe de complémentarité qui fonde la cohésion entre ces territoires littéraires.

Le brouillage des frontières s’effectue ainsi en grande partie à travers les interactions entre ce qu’autorisent les dispositifs et ce qu’en font les internautes. Les valeurs de partage et le fonctionnement du lien hypertexte, au cœur des logiques numériques, incitent à multiplier des

160 URL : https://booktubenews.tumblr.com/.

161 Clémentine Malgras, Booktube, un genre médiatique de critique amateur en ligne à l’origine d’une médiation triviale de la littérature, mémoire en sciences de l’information et de la communication, CELSA, 2014–2015.

162Ibid.

ponts entre Booklr, Booktube et Bookstagram, de manière plus ou moins encouragée par le cadrage éditorial des plateformes. Cette fusion des espaces se manifeste également au niveau de la production d’un vocabulaire spécifique, appuyé à l’usage d’une langue commune.

3.2.2 Un dialecte commun

Booktube, Bookstagram et Booklr se structurent autour de l’invention de terminologies provenant à la fois des blogs littéraires et d’un vocabulaire hérité de formes « extra-littéraires » circulant en contexte numérique. Ainsi, certains termes sont issus du dialecte circulant déjà sur les blogs littéraires et les clubs de lecteurs en ligne, à l’instar des « PAL » (acronyme de « pile à lire »),

« wish list » (pour « liste d’envie de lectures »), « Read – a – thon » (marathon de lecture qui consiste à lire le plus de livres possible sur une période définie), « wrap up »/« bilan lecture » (bilan des livres lus au cours du dernier mois), « update lecture » (court bilan qui précède le « wrap up » final), ou encore « book tags » (ensemble de questions autour d’un thème auxquelles l’internaute doit répondre avant de désigner d’autres internautes pour reprendre ce tag – ex : tag

« Harry Potter »).

Ce dialecte pré-existant s’enrichit d’appellations nouvelles lorsqu’il est importé sur les espaces non spécifiquement littéraires que sont YouTube, Instagram et Tumblr. La thématisation littéraire de ces plateformes généralistes entraîne une réappropriation des formes circulantes, à l’instar du

« challenge » (défi ludique), du « haul » (exhibition d’achats récents), de l’« unboxing » (déballage de cadeaux), ou de « swap » (échange d’objets entre deux internautes), autant de termes qui seront analysés en détails dans les chapitres suivants.

Cette première énumération nous permet d’identifier un effet de standardisation qui se manifeste au niveau linguistique : la majorité de ces termes sont des néologismes anglais. Les Booktubeurs français interrogés lors de nos entretiens exploratoires (voir annexe 2) soulignent l’influence des pratiques anglo-saxonnes sur la structuration du Booktube francophone, à l’instar de Margaud Liseuse (« On ne s’est pas nommés « Youtubeurs littéraires », on s’est appelés les

« Booktubeurs », et du coup ça nous met automatiquement dans une niche déjà toute faite, toute prête, de la part des Américains qu’on a suivis »163).

Cette pratique ordinaire de l’anglais est liée à un double enjeu de popularité et de cristallisation vernaculaire. Sur les plateformes audiovisuelles, la part belle faite à l’image contribue déjà à augmenter le potentiel de visibilité des contenus, bien que des différences culturelles persistent à travers la production et l’interprétation des iconographies164. En utilisant des termes anglophones pour désigner ces iconographies littéraires, les usagers améliorent encore la capacité de circulation

163 Margaud Liseuse, entretien du 5 octobre 2017, voir Annexe 2 (nous soulignons).

164 Lev Manovich, Instagram and Comtemporary Image, 2017, op. cit., p. 26.

et le référencement de leurs publications, rendues intelligibles au-delà de leur langue d’origine.

L’usage à l’échelle mondiale d’une forme de « globish » numérique naturalise des termes qui ne sont pas traduits dans les pays qui les importent (le like, le selfie…). Cette hybridation terminologique a donné lieu à l’émergence d’une forme de langue du réseau social dont découlent les technodiscours identifiés ici. Signe de sa relative stabilisation dans les usages, ce nouveau langage fera également l’objet de tentatives d’appropriation plus institutionnelles.

3.2.3 Prolongation institutionnelle de la néologisation

Le travail d’étiquetage se prolonge au-delà des seules pratiques individuelles, et pose la question de l’institutionnalisation de ce mode de partage littéraire. Issu de la confrontation d’usages cristallisés et de cadrages éditoriaux spécifiques, le lexique est dans un second temps réinvesti par des institutions publiques, à l’instar de l’Agence régionale du Livre Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Adressée aux professionnels du domaine (« auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires, associations, collectivités et réseaux »), cette agence se donne pour rôle de soutenir et valoriser le secteur du livre et de la lecture165. Elle revendique entre autres un rôle d’information, à travers la

Adressée aux professionnels du domaine (« auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires, associations, collectivités et réseaux »), cette agence se donne pour rôle de soutenir et valoriser le secteur du livre et de la lecture165. Elle revendique entre autres un rôle d’information, à travers la