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objectifs de la thèse

1.2. Le tabac, un enjeu majeur de santé publique

Les nombreux composants de la fumée de cigarette ont des répercussions majeures sur la santé de ceux qui la consomment, provoquant maladies graves et décès en grands nombres. Ces conséquences ne suffisent pourtant pas à éloigner les fumeurs de leurs habitudes. En effet, la première conséquence du tabagisme est d’entraîner une forte dépendance.

Morbidité et mortalité associées au tabagisme

La consommation de tabac est aujourd’hui la première cause de mortalité évitable dans le monde, tuant plus que le paludisme, la tuberculose et le SIDA combinés (OMS, 2008). Environ 6 millions de personnes meurent des suites de son usage chaque année dans le monde, soit plus de 16 000 par jour et 12% du total des décès (Jha & Peto, 2014; Mathers & Loncar, 2006; Mathers, Stevens, Tursan d’Espaignet, & Wolfenden, 2012). À ce rythme, ils seront 1 milliard à en décéder au cours du siècle (Jha & Peto, 2014).

Peto, Lopez, Pan, Boreham et Thun mènent depuis de nombreuses années un travail de recension et de projection des décès attribuables au tabac dans les pays dits « développés »1.

Leur mise à jour de 2015 permet d’estimer que le taux de mortalité liée au tabac était de 17% des décès dans ces pays en 2010, avec un chiffre identique concernant l’Union Européenne (à 28 pays), soit 838 000 décès (Peto, Lopez, Hongchao, Boreham, & Thun, 2015a). C’est plus de quatre fois plus que les accidents de la route, les autres drogues, les suicides, les meurtres, le SIDA et les accidents du travail cumulés (European Commission, 2012).

En France, ce sont 73 000 vies perdues, soit 14% de la mortalité globale en 2015 (Peto, Lopez, Hongchao, Boreham, & Thun, 2015b). Une différence importante est à relever entre les 58 000 hommes (21%) et les 15 000 femmes (6%) concernés. Néanmoins, cet écart se réduit depuis les

39 années 80. Les femmes sont entrées plus récemment dans le tabagisme et décèdent de plus en plus des suites de maladies liées au tabac, contrairement aux hommes dont le taux diminue. Les taux de décès suite à un « cancer du fumeur », et tout particulièrement du poumon illustrent tout à fait cette évolution (Figure 1). Ribassin-Majed & Hill (2015) ont trouvé des chiffres équivalents, ajoutant qu’un décès masculin sur trois entre 35 et 69 ans et un sur 7 pour les femmes est imputable au tabac.

Figure 1 : Évolution et projection entre 1950 et 2020 de la mortalité, globale, par cancer (tous types de cancers) et par cancer du poumon, attribuables au tabac en France chez les hommes et chez les femmes (reproduite de : Peto et al., 2015)

Ces chiffres de mortalité correspondent à la part des décès consécutifs de 21 pathologies, dont le tabac est reconnu responsable. Il s’agit de 12 types de cancer, 6 catégories de maladies cardiovasculaires, de diabètes, de bronchopneumopathies chroniques obstructives et de pneumonies (Mathers & Loncar, 2006; USDHHS, 2014, p. 647̻ 684). La consommation de tabac a ainsi été mise en évidence comme facteur de risque de la survenue de six des huit premières causes de mortalité mondiale (Figure 2), dont 90% de tous les cancers du poumon (OMS, 2006, 2008).

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Figure 2 : Part du tabac parmi les huit premières causes de mortalité dans le monde (reproduite de : OMS, 2008)

Le tabagisme durant la grossesse accroît également le risque de fausses couches, d’accouchements avant terme, de faible poids à la naissance, de morts subites du nourrisson, d’anomalies congénitales et de stérilité (OMS, 2006, 2008).

Enfin, les chiffres de la mortalité attribuée au tabac sont probablement sous-estimés et ne représenteraient que 87% des décès qui lui sont réellement attribuables (Carter et al., 2015). En effet, les calculs de mortalité se basent sur la proportion de mortalité attribuable au tabac, parmi les 21 pathologies spécifiquement reconnues comme liées à sa consommation. Le tabac pourrait donc être la cause également d’une partie des décès faisant suite à d’autres maladies. Il semblerait par exemple que fumer augmente le risque de cancer de la prostate (chez l’homme),

41 d’infections, d’ischémie intestinale, de cardiopathie hypertensive, d’insuffisance rénale et d’autres maladies respiratoires (Carter et al., 2015).

La dépendance au tabac

Le tabac entraîne également un autre effet sur ses consommateurs, il rend dépendant (USDHHS, 1988). Goodman (1990) définit l’addiction2 comme un processus par lequel un comportement,

qui peut fonctionner à la fois pour produire du plaisir et pour soulager un malaise intérieur, est caractérisé par l'échec répété de le contrôler et la persistance de ce comportement en dépit de ses conséquences négatives. Le concept d’addiction a ensuite été élargi à un ensemble de comportements avec ou sans prise de substance correspondant à la dépendance. Son diagnostic clinique se fait aujourd’hui sur la base de critères différents selon qu’ils sont issus3 du DSM-

IV-TR (American Psychiatric Association, 2005), du DSM-V (American Psychiatric Association, 2013), de la CIM-10 (WHO, 2015a), du Test de Fagerström, questionnaire composé de 6 items permettant de dépister et quantifier la dépendance à la nicotine (Heatherton, Kozlowski, Frecker, & Fagerstrom, 1991), ou de sa version simplifiée en 2 items, voire même du simple item du délai de la première cigarette après le réveil.

Le tabagisme est reconnu aujourd’hui comme l’une des formes les plus graves de dépendance, avec l’héroïne, la cocaïne et l’alcool (INSERM, 2014b). Cependant, tous les fumeurs ne développent pas forcément de dépendance. Bien que la variabilité et la complexité des critères de son diagnostic rendent ardus l’analyse de sa prévalence, elle affecte environ 30% de l’ensemble des consommateurs et 50% des fumeurs réguliers (INSERM, 2004). Elle touche les

2 La dépendance est composée d’un aspect physique et d’un aspect psychologique/comportemental. Le terme

« addiction » est aujourd’hui préféré en clinique pour désigner uniquement le volet comportemental, sans prise de substance, de la dépendance. Cette nuance n’avait pas encore été faite en 1990, lorsque Goodman définit l’addiction. De même, le DSM-5 parle désormais de « trouble d’utilisation des substances » pour regrouper la dépendance et l’abus.

42 hommes et les femmes de façon indifférenciée et son risque d’apparition s’accroît avec la consommation, fortement jusqu’à 10 cigarettes par jour, et assez peu au-delà (INSERM, 2004).

Parmi les composés du tabac, la nicotine est la substance qui provoque la dépendance, bien qu’on ne sache pas encore avec certitude si son effet n’est pas potentialisé par d’autres substances (INSERM, 2004; USDHHS, 1988, 2001, p. 39̻ 63, 2014, p. 107̻ 217). Ainsi, la cigarette est considérée comme un distributeur de nicotine puisque, de toutes ses formes de consommation, elle est celle qui permet l’arrivée la plus rapide de la nicotine au cerveau et qu’elle permet aux fumeurs de réguler eux-mêmes, par la modulation de leurs bouffées et le nombre de cigarettes fumées, la quantité de nicotine inhalée nécessaire pour satisfaire leur besoin (INSERM, 2004, p. 29̻ 44; USDHHS, 2001, p. 39̻ 63). Des facteurs de vulnérabilité génétiques sont également déterminants dans l’installation de la dépendance (INSERM, 2004, p. 199̻ 268, 285̻ 307). L’addiction s’accompagne d’un véritable conditionnement par répétition du comportement jusqu’à ce qu’une large variété de stimuli environnementaux finissent par déclencher l’envie compulsive du fumeur. La dépendance au tabac est donc la conséquence d’interactions entre au moins trois facteurs : l’individu, la nicotine et le contexte.

Les adolescents sont plus sensibles à la dépendance tabagique que les adultes même si leur consommation est plus faible (INSERM, 2004, p. 285̻ 307). La dépendance s’installe rapidement, moins de 2 ans après l’initiation et est d’autant plus forte que cette initiation a été précoce (DuRant & Smith, 1999; INSERM, 2004, p. 285̻ 307). Plus de la moitié des jeunes présentent au moins un symptôme de la dépendance avant même de devenir fumeurs quotidiens.

Le tabac est une drogue

Le tabac possède ainsi deux caractéristiques attribuées ordinairement aux drogues : la dépendance et la toxicité. Ce rapprochement est important vis-à-vis de la tolérance sociale dont il fait l’objet et dans la dynamique actuelle de sa « dénormalisation » (É. Godeau, 2009;

43 USDHHS, 2014, p. 31̻ 33). Pourtant, il reste légal d’en vendre et d’en consommer en France. Aujourd’hui, les spécialistes le classent avec l’alcool dans la liste des drogues licites récréatives, ou plus précisément à usage récréatif.

Toutefois, le tabac est une substance psychoactive différente des drogues dures. En effet, il ne procure pas d’effet « défonce », ni de fortes modifications de conscience, de dérèglement sensoriel ou de la perception comme peuvent le faire la cocaïne ou la morphine. De même, il n’empêche globalement pas les activités habituelles de ses consommateurs. Cependant, certains remettent en question son aspect « récréatif ». En effet, sa consommation ne procure pas de plaisir au fumeur régulier, mais un soulagement. Ce qui fait dire à Proctor (2014), fervent détracteur de l’industrie du tabac : « Les cigarettes ne sont pas une drogue récréative. La plupart des fumeurs n'aiment pas fumer et regrettent d'avoir commencé. Autrement dit, nombre d'entre eux (si ce n'est la majorité) se réjouiront de leur disparition » (p. 44-45). D’après le Baromètre Santé4 de 2014, basé sur les réponses de 15635 individus, environ un tiers des

Français n’a jamais fumé, un tiers a déjà arrêté et parmi le tiers restant, ils sont 69% de fumeurs réguliers à souhaiter arrêter ou à avoir essayé durant l’année (Guignard et al., 2015).

Malgré les effets hautement nocifs et addictifs de la cigarette, sa reconnaissance en tant que drogue reste éloignée des représentations du grand public, auprès de qui sa consommation continue de bénéficier d’une certaine tolérance sociale. De fait, bien que son usage diminue en France, il y reste fréquent et ses utilisateurs nombreux, comme partout dans le monde.

4 Les Baromètres santé sont une série d’études de référence menées depuis 20 ans en France par l’INPES, sur les

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1.3. État des lieux de la consommation de tabac