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objectifs de la thèse

4.5. La Theory of Planned Behavior

Faisant suite à la Théorie de l’Action Raisonnée (Theory of Reasoned Action, TRA, Fishbein & Ajzen, 1975), à laquelle Ajzen a ajouté le concept de contrôle perçu faisant écho à l’auto- efficacité de Bandura, la TPB est basée sur l’idée que le comportement d’une personne est avant tout déterminé par sa perception de contrôle dudit comportement et son intention à l’adopter (Ajzen, 1991, 2011a). Cette intention est quant à elle expliquée par les attitudes de la personne, par ses normes subjectives et par son contrôle comportemental perçu, relatifs au comportement en question. Chacun de ces déterminants de l’intention est composé de 2 sous-dimensions :

101 - Les attitudes sont composées d’une dimension affective (ou expérientielle) revenant à considérer le comportement comme une fin en soi et symbolisant le plaisir/déplaisir que l’individu ressent en effectuant le comportement. La seconde dimension est instrumentale, valorisant le comportement comme un moyen d’arriver à ses objectifs, c’est-à-dire l’utilité que perçoit la personne au fait d’agir d’une certaine façon.

- Les normes subjectives comprennent un aspect descriptif, soit la façon dont le sujet perçoit le comportement des autres, ainsi qu’un aspect injonctif défini comme les attentes des autres significatifs, telles que perçues par l’individu.

- Le contrôle comportemental perçu intégrant une composante de capacité reflétant la confiance que la personne a de pouvoir produire le comportement souhaité, ainsi qu’une composante d’autonomie représentative du sentiment personnel que produire le comportement dépend plus ou moins de soi (Ajzen, 2002).

102 Enfin, chacune de ces 3 dimensions est déterminée en amont par un ensemble de croyances répondant au principe de l’expectancy-value, c’est-à-dire que chaque croyance se décompose en deux éléments complémentaires reflétant l’attente de résultat d’une action d’une part et l’importance de ce résultat d’autre part (Fishbein & Ajzen, 1975, p. 22̻ 52). Ainsi, les attitudes sont guidées par les croyances comportementales distinguant les croyances dans la probabilité de survenue d’un évènement en conclusion du comportement et l’importance accordée à cet évènement s’il survenait. Les normes subjectives sont issues des croyances normatives correspondant aux croyances en l’intensité des attentes/comportements des autres, pondérées par la motivation à s’y conformer. Enfin, le contrôle comportemental perçu fait suite aux croyances de contrôle définies comme la croyance de probabilité de survenue d’un facteur facilitant/freinant le comportement ainsi que le poids accordé à ce facteur vis-à-vis de l’accomplissement du comportement en question.

La TPB est un modèle parcimonieux et particulièrement populaire (Ajzen, 2011b) ayant été éprouvé de nombreuses fois dans des domaines aussi divers que l’usage de préservatifs (Albarracín, Johnson, Fishbein, & Muellerleile, 2001; Sheeran & Taylor, 1999), l’activité physique (Hagger, Chatzisarantis, & Biddle, 2002), le dépistage (Cooke & French, 2008), les comportements écologiques (Schwenk & Möser, 2009), les comportements sexuels à risques (Tyson, Covey, & Rosenthal, 2014), le recours à la décision médicale partagée (Thompson- Leduc, Clayman, Turcotte, & Légaré, 2015), les conduites alimentaires d’enfants (Riebl et al., 2015) ou d’adultes (McDermott, Oliver, Simnadis, et al., 2015; McDermott, Oliver, Svenson, et al., 2015), l’observance des traitements dans le cadre de maladies chroniques (Rich, Brandes, Mullan, & Hagger, 2015), l’allaitement (J. L. Guo, Wang, Liao, & Huang, 2016) et la consommation d’alcool (Cooke, Dahdah, Norman, & French, 2016). La TPB ayant donné lieu à des études dans plusieurs pays, une revue d’études menées internationalement a récemment

103 permis de confirmer la stabilité de la TPB entre pays, relevant uniquement une différence du lien normes subjectives-intentions en fonction des cultures (Hassan, Shiu, & Parry, 2016).

Globalement, la TPB a été confirmée, tant en termes d’ajustement que de prédictivité du modèle. En 1996, une revue de littérature centrée sur les comportements de santé a conclu à une variance de l’intention et du comportement expliqués respectivement à 41% et 34% par le modèle (Godin & Kok, 1996). En 2001, une méta-analyse a trouvé 39% et 27% de variances respectives expliquées par la TPB, tous types de comportements confondus (Armitage & Conner, 2001). Les auteurs s’intéressaient également aux croyances, bien que prises en compte dans peu d’études, et calculaient entre chaque déterminant et sa croyance respective des corrélations allant de 0,50 à 0,52 et une variance expliquée de chaque déterminant d’environ 0,26. Enfin, cette méta-analyse a relevé que lorsque le comportement était observé plutôt qu’auto-rapporté, le pourcentage de variance expliquée chutait d’environ 10%. En 2011, une nouvelle méta-analyse n’incluant que des études longitudinales relatives aux comportements de santé a abouti à une variance expliquée de 44,3% de l’intention et 19,3% du comportement (McEachan, Conner, Taylor, & Lawton, 2011). La relation entre les croyances et leur déterminant respectif variait de 0,41 à 0,53. Cet article faisait également ressortir une différence des résultats en fonction de la classe d’âge des sujets, bien que cet effet soit très dépendant du type de comportement et qu’il n’y ait pas de direction claire qui puisse être établie. Enfin, l’efficacité de la TPB décroissait lorsque la durée du suivi s’allongeait et lorsque la mesure du comportement était objective plutôt qu’auto-rapportée.

Il semblerait donc que le modèle s’applique bien à un large éventail de comportements et explique de façon relativement stable environ 40% de la variance des intentions, mais de façon plus incertaine de 19 à 35% de la variance des comportements. Enfin, le peu d’intérêt des auteurs pour l’investigation des croyances liées à la TPB est notable. Seules 27 études les ont mesurées parmi les 237 incluses par McEachan et al. (2011). De façon assez constante, le lien

104 entre chaque déterminant et la croyance qui lui est rattachée varie entre 0,40 et 0,50. La TPB a également bénéficié d’études portant sur les comportements tabagiques.

La TPB comme modèle explicatif du tabagisme

Dans la revue de littérature de Godin & Kok (1996), les attitudes, les normes subjectives et le contrôle perçu expliquaient en moyenne 62,3% de la variance de l’intention de fumer20 et 44,3%

de celle du comportement. L’intention était corrélée principalement avec le contrôle perçu (M = 0,65), puis les attitudes (M = 0,63) et les normes subjectives (M = 0,40). La méta-analyse de McEachan et al. (2011) ne permet pas de séparer les résultats correspondant spécifiquement au fait de fumer, mais les auteurs distinguent plusieurs catégories de comportements dont certains de prise de risques (vitesse routière, consommation d’alcool, de drogues et fumer). Le modèle en expliquait 40% de la variance de l’intention et 15% de celle du comportement. Une méta- analyse en modélisation par équation structurelle a été menée plus spécifiquement sur les études quantitatives utilisant la TPB pour prédire les comportements tabagiques en excluant celles portant sur l’arrêt (Topa & Moriano, 2010). Sur les 27 études analysées, 26 étaient composées de jeunes participants, allant de 10 à 21 ans. Leurs résultats indiquent un bon ajustement du modèle, avec les attitudes, les normes sociales et le contrôle comportemental perçu expliquant 12% de la variance de l’intention et 13% de celle du comportement. Les intentions sont les mieux expliquées par le contrôle perçu, puis par les normes subjectives et finalement par les attitudes. Les auteurs relèvent également une différence importante de taille d’effet entre les études transversales et longitudinales. Ces dernières mènent à des niveaux de variance expliquée bien moindre, mais sont les seules à pouvoir vraiment avoir une valeur prédictive. Cette méta-analyse constitue donc la référence pour appréhender le rôle de la TPB dans l’explication des comportements tabagiques autres que l’arrêt auprès des jeunes. Cependant,

20 Ces calculs ne prennent en compte que les R2 des articles identifiés par Godin & Kok comme étudiant l’intention et/ou le comportement de fumer, pas celui d’arrêter de fumer.

105 elle ne donne pas d’information précise quant à la classe d’âge des 14-18 ans, ne fait pas la moindre mention des dimensions de croyances de la TPB et enfin, n’inclut aucune étude française.

La TPB comme modèle explicatif du tabagisme des 14-18 ans

Parmi les études testant la TPB sur le tabagisme, autres que sur l’arrêt, certaines ont été menées auprès de grands échantillons composés d’enfants de 12 à 16 ans (Murnaghan et al., 2009, 2010) ou de 12 à 17 ans (Q. Guo et al., 2007; Su et al., 2015). Bien que ces études fassent des analyses démontrant des différences entre les déterminants, les intentions et les comportements en fonction de l’âge, elles ne distinguent pas de sous-échantillons d’âges pour tester le modèle. Le fait de contrôler l’âge leur permet de vérifier que les variables ont bien des liens entre elles indépendamment de l’âge, mais ne renseigne pas quant au poids de chaque lien à chaque âge.

Une étude transversale auprès de 1670 élèves de 15 ans en Norvège a consisté à les interroger sur leurs attitudes (uniquement l’aspect instrumental), leurs normes subjectives (uniquement l’aspect injonctif), leur contrôle perçu (uniquement l’aspect capacité) et leurs intentions de fumer quotidiennement dans les 2 années à venir, ajoutant une variable supplémentaire : leur modèle du fumeur correspondant à l’aspect descriptif des normes subjectives (Wiium, Breivik, & Wold, 2006). Les 5 variables montraient des différences significatives entre jeunes fumeurs et non-fumeurs. Bien que légèrement différent du modèle TPB original par l’ajout de la variable supplémentaire, le modèle s’ajustait bien, autant aux données des fumeurs que des non-fumeurs avec une différence du poids des attitudes sur les intentions plus important chez les non- fumeurs. Par ordre d’importance, les attitudes, le contrôle perçu et les normes subjectives étaient significativement associées aux intentions dans les 2 groupes. Ces résultats demeurent cependant limités puisque l’étude ne mesurait pas de comportement.

106 Une autre étude transversale a été menée, analysant les intentions d’essayer de fumer à 30 jours et à 6 mois de 670 élèves non-fumeurs de la 3ème à la Terminale aux USA (B. N. Smith, Bean,

Mitchell, Speizer, & Fries, 2006). Les élèves étaient également interrogés sur leurs attitudes (instrumentales uniquement), les risques perçus, les normes subjectives (injonctives), le tabagisme de leurs amis, le tabagisme des jeunes de leur âge, leur contrôle perçu (capacité) lié au fait d’éviter de fumer et leur difficulté perçue à arrêter de fumer en cas de consommation régulière. Les variables attitudes, tabagisme des amis, et difficultés perçues étaient significativement associées aux intentions à 30 jours et 6 mois et le tabagisme des pairs était uniquement associé aux intentions à 30 jours. Dans cette étude également, aucune mesure de comportement subséquent aux intentions n’était réalisée.

Une 3ème étude transversale, conduite en Grèce auprès de 146 étudiants21 de 16 à 18 ans à propos

de leurs intentions de fumer, de leurs attitudes (expérientielles et instrumentales), de leur contrôle perçu (capacité et autonomie), de leurs normes subjectives (injonctives uniquement, comprenant un double item d’expectancy-value utilisé habituellement pour les croyances), ainsi que d’auto-identification en tant que fumeur (Hassandra et al., 2011). Les résultats permettent de constater des corrélations modérées à très élevées entre les 3 déterminants de la TPB et les intentions, ainsi qu’un bon ajustement du modèle de régression, bien qu’enrichi par d’autres variables avec une association particulièrement forte entre contrôle perçu et intentions et faible voire non significative pour les normes subjectives et les attitudes. Une fois encore, le comportement suivant les intentions n’était pas mesuré.

Une dernière étude transversale a été menée auprès de 3783 élèves de 14 à 19 ans en Turquie (Acarli & Kasap, 2015). Les auteurs relevaient les scores d’attitudes (positives et négatives, recoupant a priori instrumentales et expérientielles), de normes subjectives (injonctives

21 L’étude portait sur 3 échantillons de 11-12 ans, 13-15 ans et 16-18 ans mais l’article présentant les résultats

107 uniquement), de contrôle perçu (capacité et autonomie), mais également de croyances comportementales, normatives et de contrôle, ainsi qu’un item d’intention22 et un de

comportement (voir Acarli & Kasap, 2014 et Kilic & Kasap, 2014 pour la construction de ce questionnaire). L’étude étant transversale, les auteurs ont utilisé cet item de comportement comme variable dépendante du modèle, ce qui réduit la portée prédictive des résultats obtenus. Le modèle complet s’ajustait de façon acceptable à leurs données et expliquait 42% de la variance de l’intention et 72% de la variance du comportement (actuel ou passé). L’intention était principalement liée aux attitudes. La variance des attitudes était faiblement associée aux croyances afférentes (R2 = 0,06), tandis que les associations étaient meilleures pour les normes

subjectives (R2 = 0,25) et le contrôle perçu (R2 = 0,43) avec leurs croyances respectives.

La TPB comme modèle explicatif du tabagisme des jeunes en France

En France, à notre connaissance, seules 2 études ont analysé la TPB dans le contexte de la consommation de tabac des jeunes. En 2009, un travail de thèse s’est intéressé de façon longitudinale à la susceptibilité de fumer de 1226 enfants de 8-9 ans intégrant des questions d’attitudes instrumentales, de croyances (correspondant aux attitudes expérientielles), de normes subjectives (injonctives et descriptives) parentales et amicales, de contrôle perçu (capacité uniquement), ainsi que de connaissances et de comportement passé d’essai (Bazillier, 2009). Au démarrage de l’étude, la susceptibilité de fumer était déterminée prioritairement par les attitudes, puis par les normes amicales, le comportement passé, les croyances, les normes parentales et le contrôle comportemental. La variabilité de la susceptibilité de fumer était expliquée à 24%. Ces analyses transversales étaient réitérées aux 2 temps de suivi sur les données de 204 enfants de l’échantillon total23 mettant en avant une augmentation progressive

22 Aucune information n’était donnée quant aux types d’intention et de comportement interrogés.

23 Le travail de thèse comportait un ensemble d’interventions. Les analyses au niveau basal ont donc concerné tous

108 de la taille d’effet environ 6 mois plus tard (R2 = 0,27) et encore 1 an après, soit 18 mois après

le temps initial (R2 = 0,32). Aucune analyse longitudinale de la TPB n’était présentée.

Une dernière étude transversale française a inclus 3652 jeunes de 15 à 25 ans, dont 2636 non- fumeurs interrogés sur leur intention de le rester les 30 jours suivants (du Roscoät, Cogordan, Guignard, Wilquin, & Beck, 2015). Un item d’attitudes (instrumentales), de normes subjectives (injonctives) et de contrôle perçu (capacité) étaient également proposés. Les 3 déterminants étaient associés à l’intention de rester non-fumeur, l’importance des attitudes (OR = 8,3) étant suivie de celles du contrôle perçu (OR = 2,2) et des normes subjectives (OR = 1,8). Aucun comportement faisant suite à l’intention n’était mesuré.

À notre connaissance, aucune étude n’a utilisé la TPB pour étudier le comportement tabagique chez des lycéens français. Plus largement, aucune étude ne semble avoir validé le modèle complet prenant en compte les différentes croyances, dans le domaine du tabac.