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Chapitre 3. Du territoire historique à la structuration du territoire actuel

2.2 Le système d’agriculture itinérante sur brûlis traditionnel

L’abattis wayãpi est annuel et de petite taille, environ 0,5 hectare, ouvert par abattage non-sélectif et brûlis du couvert forestier sans dessouchage. Il est exploité sur un unique cycle de culture par une famille et le sarclage est traditionnellement absent ou très localisé (Les travaux des Grenand notent l’apparition des premiers sarclages dans le moyen Oyapock dans les années 1980). L’abattis est réalisé préférentiellement dans les forêts hautes « ka’a » dont

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la hauteur des arbres, la composition spécifique et la densité en espèces indiquent que l'homme n'est jamais intervenu, ou dans les forêts secondaires de haut recrû. Utiliser cet espace pour en faire une parcelle agricole, c’est délimiter un abattis « ko ». Après abandon, cette parcelle devient un ancien abattis « koke », que l’on peut définir comme une jachère ou forêt secondaire. L’abattis abandonné retombe dans le lot commun des villageois, avec toutefois un droit de préemption souple de la part de l’agriculteur sur la jachère.

Le type de forêt considéré comme idéal pour ouvrir un abattis est une association de trois quarts de forêt primaire et un quart de forêt secondaire (Grenand, 1979). Les Wayãpi choisissent également leur parcelle selon le type de sol en recherchant des sols jugés de bonne qualité pour la plante principale : le manioc. Ils classent les sols en quatorze catégories principales dont huit sont favorables à l’agriculture (annexe 6). Il est rare que ces sols soient présents de manière continue sur une même parcelle. L’abattis est alors zoné en différentes parties suivant les types de sols et la qualité du brûlis. Les espèces les plus exigeantes et les plus fragiles sont plantées dans les zones les plus riches. Des facteurs sociologiques, comme le regroupement des parcelles d’un même groupe de parenté, pèsent également dans le choix de la localisation de la parcelle et expliquent que des parcelles mises en culture peuvent contenir des zones de sols de moins bonnes catégories (Grenand et Grenand, 2000). La figure 5 représente un zonage agro-écologique simplifié de la région de Camopi et souligne les zones propices à l’agriculture.

L’agriculture des Wayãpi et des Teko est diversifiée avec plus de trente espèces botaniquement différentes identifiées par Grenand et Grenand (op. cit.). L’agriculture est basée sur la culture du manioc amer (Manihot esculenta39, Euphorbiaceae), plante dominante aux variétés (clones) très diversifiées. Plus d’une trentaine de clones sont cultivés. Le manioc amer est propagé par boutures40. Les autres espèces sont, par ordre d’importance décroissante, les bananiers (Musa spp., Musaceae), les ignames (Dioscorea trifida majoritairement, mais aussi D. alata, Dioscoreaceae), le maïs (Zea mays, Poaceae), la patate douce (Ipomoea

39 La grande majorité des variétés cultivées se rattache à Manihot esculenta. Cependant, les Grenand ont relevé dans le haut Oyapock un cultivar de Manihot surinamensis (mani’o põpõ). Des échantillons de manioc collectés sur des sites anciennement occupés par les Amérindiens ont été identifiés comme Manihot baccata par A.C. Allem.

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Des pieds issus de graines peuvent cependant être conservés et semblent présider de façon discrète à l’émergence de variétés nouvelles (McKey et al., 2001 ; Grenand et Grenand., 2000). Certaines variétés sont ainsi nommées « potÚle », c’est-à-dire « ancienne fleur ».

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batatas, Convolvulaceae), la canne à sucre (Saccharum officinarum, Poaceae) et l'ananas (Ananas comosus, Broméliaceae). À cela, il faut rajouter entre autres le piment (Capsicum frutescens, Solanaceae), le coton (Gossyptum barbbadense, Malvaceae) qui sert à tisser les hamacs, le tabac (Nicolinia tabacum, Solanaceae) et plusieurs marantacées, comme par exemple Calathea legrelleana.

Figure 5. Zonage agro-écologique de la région de Camopi

Le sabrage, l’abattage puis le brûlis des abattis a lieu pendant la saison sèche. L’ouverture du nouvel abattis commence dès juillet-août et s’étale jusqu’en septembre. Puis, le bois abattu est laissé à sécher pendant environ trois semaines et est brûlé vers la mi-octobre, par un jour de forte chaleur et si possible avant les premiers orages. Un mauvais brûlis est synonyme d’un important travail de mise en andain : les branchages et troncs mal brûlés sont coupés et mis en grand tas afin d’être brûlés à nouveau. Les cendres sont donc concentrées dans ces zones qui deviennent des zones de plus grande fertilité. La plantation des espèces se fait juste après le brûlis, et correspond donc au début de la saison des pluies. Les espèces sont plantées par secteurs, sauf le maïs qui, étant le premier récolté, est dispersé dans l’abattis. Les espèces les plus exigeantes, comme le tabac mais aussi les ignames, sont plantées sur les zones où les cendres ont été concentrées. Le manioc amer occupe quasiment la totalité de la couverture végétale des abattis. Le feuillage des patates douces colonise le sol et les tiges en lianes des ignames utilisent les souches et troncs partiellement calcinés comme des tuteurs (Grenand, 1979). La planche de photos 5 illustre les principales étapes de l’ouverture d’un abattis, du brûlis aux pousses de maïs, et la planche de photos 6 quelques produits de l’abattis et leur transformation. Favorable à l’agriculture Zone inondable, sols argileux hydromorphes Haut de colline, forte pente Bas de pente de colline, sols rouges, argilo-sableux, parfois caillouteux. Pente douce, sols blancs et noirs sableux. Zone inondable, sols argileux hydromorphes Favorable à l’agriculture si proche d’un cours d’eau navigable Pente : pénibilité de la récolte

Pente : facilite le travail d’abattage

113 Photo 5. Les différentes étapes de l’agriculture itinérante sur brûlis d’octobre à fevrier

La maturation de ces différentes espèces est échelonnée et les récoltes débutent trois à quatre mois après la plantation. La récolte commence par le maïs, puis se poursuit deux mois plus tard avec le tabac et ensuite les patates douces. Les premiers plans de manioc sont prêts à être récoltés au bout de huit mois, mais la récolte ne commence vraiment qu’après l’épuisement de l’abattis de l’année précédente. Le manioc est stocké en terre et ramassé au fur et à mesure des besoins. L’igname est récoltée d’août à début décembre et ne se conserve pas en terre après sa croissance maximale. Les bananiers sont les seules plantes qui continuent à être exploitées dans les anciens abattis. Les cultigènes passent directement de l’ancien abattis au nouvel abattis. Les seules plantes qui sont stockées sont les trois plantes à reproduction séminale : le coton, le tabac et le maïs. L’abattis fournit également du bois d’œuvre et du bois de chauffe, les femmes débitant tout au long de l’année les troncs qui ne sont que partiellement calcinés (ibid.).

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Les Wayãpi étant avant tout des cueilleurs des fruits de la forêt, l’arboriculture en périphérie des villages est traditionnellement très modeste, constituée de quelques plantes d’usages quotidiens comme le pimentier, mais aussi le roucouyer (Bixa orellana), quelques pommiers-cajous (Anacardium occidentale), des calebassiers (Crescentia cujeta) et des citrus importés. Le rendement du manioc mesuré par Françoise Grenand est de 18,4 t/ha (Grenand et Grenand, 2000), rendement situé dans la moyenne haute des rendements41 en manioc d’abattis amérindiens ouverts sur des forêts denses (Eloy, 2005). Les prédateurs sont nombreux mais leurs dégâts sont limités, et la fourmi manioc est pratiquement absente. À l’agriculture s’ajoutent les produits de cueillette qui sont régulièrement consommés. Si la proportion de la plupart des produits de cueillette est généralement modeste dans la diète, il faut mettre à part les fruits des palmiers wasey (Euterpe oleracea) et comou (Oenocarpus bacaba) qui constituent, en tonnage, et après le manioc, le deuxième aliment végétal des Wayãpi (Grenand et Grenand, op.cit.). Les protéines animales sont acquises par la chasse et la pêche et, selon Grenand P. (1996 : 674), elles proviennent pour moitié de la chasse de mammifères, pour quasiment un tiers de la pêche et le restant de la chasse d’oiseaux et de reptiles. Dans le haut Oyapock, les cours d’eau sont plus étroits que dans le moyen Oyapock, et comptent également moins de bras et de rapides, ce qui tend à limiter la productivité de la pêche (ibid.).

41 Pour plus de détail, voir Eloy (2005 : 392) qui dresse un tableau comparatif de plusieurs relevés de rendements de manioc, réalisés sur des abattis amérindiens ouverts en forêt de ferres fermes. Elle même trouve dans le haut Rio Negro des rendements moyens de 12 à 17 tonnes par hectare en forêt dense.

115 Photo 6. Quelques produits de l’abattis et leur transformation

2.3 Conclusion. Les caractéristiques traditionnelles des modes de vie

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