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Chapitre 3. Du territoire historique à la structuration du territoire actuel

4.1 L’invasion du territoire par des orpailleurs clandestins

Les Wayãpi et les Teko partagent leur territoire depuis près de trente ans avec des orpailleurs clandestins. En effet, les régions du moyen Oyapock et de la rivière Camopi, comme toutes les zones aurifères situées sur la couche géologique des schistes dits « paramaka », connaissent dès la fin des années 1980 leur deuxième49 ruée vers l’or. Si les Amérindiens wayãpi et teko étaient, depuis la fin du premier cycle de l’or, les seuls habitants de la région, ils sont aujourd’hui, par rapport aux orpailleurs clandestins, bien minoritaires sur leur territoire, même s'ils en restent les habitants les plus visibles (Davy et al., 2012).

C’est à partir de l’inventaire minier mené par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) de 1975 à 1995, estimant le potentiel en or à plus de 120 tonnes, suivi en 1996 de la mise à disposition du public des données de cet inventaire, que la seconde ruée vers l’or prend son essor (Mansillon, 2009 ; Davy et al., op.cit.). À ce facteur s’ajoutent la modernisation du matériel d’extraction de l’or alluvionnaire, permettant aux orpailleurs de prospecter des zones préalablement inaccessibles ou exploitées anciennement (Oder, 2011), mais aussi l’envolée du cours de l’or et les politiques répressives pratiquées par les forces de l’ordre brésiliennes sur leurs propres zones aurifères exploitées illégalement (PAG, 2012). Pour ces raisons, la région du moyen Oyapock et de la rivière Camopi a vu arriver plusieurs milliers d’orpailleurs illégaux, en majorité des ressortissants du Brésil. Le lit de l’Oyapock a d’abord été exploité par le système des pompes à alluvions installées sur des radeaux puis après l’épuisement des sables aurifères, les chercheurs d’or se sont intéressés aux anciens placers. Depuis, le fleuve Oyapock et ses affluents constituent des axes de transit de matériel, de ravitaillement et d’hommes pour les placers situés sur tout le territoire guyanais. En effet, deux affluents du fleuve Oyapock, la Camopi et la Sikini - tous deux zones de parcours des Amérindiens - constituent des pénétrantes permettant aux orpailleurs clandestins de se rendre sur les placers de cette région et de rejoindre les bassins de l’Approuague et du Maroni, principales zones aurifères de Guyane (Davy et al., op. cit.).

Au fil des années, les Amérindiens assistent au développement et à l’amplification de l’orpaillage sur leur territoire. Dès les années 1980, des Brésiliens se fixent sur la rive

49 Le premier cycle de l’or s’est étendu, pour l'Oyapock, de 1880 à1945, les derniers orpailleurs étant partis en quasi-totalité après la départementalisation de la Guyane en 1946 (Orru, 2001).

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brésilienne de l’Oyapock et deux lieux de vie permanents sont créés : Vila Brasil puis Ilha Bela.

Vila Brasil est créée en face du bourg de Camopi (photo 7) vers 1989 par des migrants brésiliens, venant principalement des régions du nord et nord-est du Brésil, qui s’installent afin de drainer les revenus liés à l’orpaillage, fournissant les placers en aliments et en matériels divers. Au fur et à mesure de la monétarisation des Amérindiens du moyen Oyapock, ils profitent de la manne des allocations familiales et du RMI et ouvrent de nombreux petits commerces. La population résidente de ce hameau est estimée à 156 personnes en 2010 (Soares, 2012). Encore aujourd’hui, elle vit exclusivement du commerce et de la prestation de services avec les Amérindiens de Camopi ainsi que du soutien aux activités aurifères. Elle compte près d’une dizaine d’épiceries-bars, alors qu’il n’en existe qu’une au bourg de Camopi. Vila Brasil possède également une petite école, une église et un petit dispensaire.

Photo 7. Vue aérienne du bourg de Camopi et du village de Vila Brasil, à l’embouchure de la

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Ilha Bela a été créée plus récemment, à la fin des années 90, et est située plus en aval sur l’Oyapock, à l’embouchure de la crique Sikini. C’est une véritable base arrière de l'orpaillage clandestin en Guyane, comptant plus de 400 personnes dont des garimpeiros en transit, hébergés dans des carbets collectifs, et une population plus ou moins permanente assurant le ravitaillement et les différents services depuis l’hébergement et la restauration, à toutes formes de distractions comptant des bars et de la prostitution (ibid.). La population de chercheurs d’or est éminemment mouvante, les uns descendant, les autres remontant vers les placers guyanais. Pour une grande partie des orpailleurs et prestataires de services à Ilha Bela, leur activité est temporaire et ils espèrent retourner rapidement chez eux. Ilha Bela est installée sur une belle zone de sauts et de bassins qui était un haut lieu de pêche et de chasse amérindien ainsi qu’une zone d’habitation pour un groupe de parenté teko, aujourd’hui replié au village de Saint-Soi près de Camopi.

L’orpaillage illégal s’est fortement accru sur le territoire tout au long des années 1990 et 2000 (PAG, 2012). Il exerce une forte pression négative sur le territoire des Wayãpi et des Teko. Il cause de graves pollutions de l’eau, principalement au mercure et augmente la turbidité de l’eau (cf. sur la photo 7 la différence de couleur de l’eau entre la rivière Camopi, orpaillée en amont, et le fleuve Oyapock en 2006). Ces pollutions sont néfastes autant sur les activités amérindiennes de pêche, que sur la qualité du poisson et de l’eau consommés et par conséquent sur la santé humaine (Carmouze et al., 2001). Outre la pollution causée, l’orpaillage augmente la pression sur les ressources cynégétiques, accroît l’insécurité et la déstructuration sociale. La fréquence des vols de pirogues et moteurs est très élevée. Les activités des orpailleurs illégaux imposent une surveillance accrue des zones agricoles éloignées de l’habitat pour éviter les vols dans les abattis et créent des hésitations à laisser les femmes et les enfants seuls se rendre à l’abattis. Ainsi, la présence de ces orpailleurs se traduit par une diminution directe et indirecte du territoire disponible pour pratiquer les activités de subsistance, chasse, pêche et abattis des Amérindiens. Elle conduit même à l’abandon de certains terroirs agricoles proches des lieux de vie permanents des orpailleurs, qui exercent une forte attractivité négative sur le territoire. L’orpaillage modèle fortement le territoire des Wayãpi et des Teko. Ses conséquences sur les modes de vie et les systèmes d’exploitation des ressources contemporains sont détaillées au cours de ce travail et spécialement dans le chapitre 6.

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4.2 Entre conservation, développement durable et participation des

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