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L’apport de l’imagerie satellitaire dans la compréhension des dynamiques des territoires amérindiens

Encadré 3. Définition de l’agriculture itinérante sur brûlis

3.3 L’apport de l’imagerie satellitaire dans la compréhension des dynamiques des territoires amérindiens

Les études sur les changements d’utilisation et d’occupation des sols, nommées Land Use Land Cover Change en anglais (LULCC) se sont multipliées en Amazonie depuis les années 1990 face à la prise de conscience de l’ampleur de la déforestation et de la complexité des facteurs en jeu. Elles cherchent à comprendre les facteurs socio-économiques, politiques et institutionnels qui influencent les changements d’occupation des sols, en prenant en compte leurs interactions et les processus qui agissent à des échelles multiples (Lambin et al., 2001 ; Lambin et Geist, 2006 ; Turner et al., 2007). Ces études ont recours à l’analyse d’images satellites, chose facilitée par la mise à disposition des images satellites LANDSAT (ainsi que CBERS au Brésil) et adoptent souvent une perspective diachronique. Elles montrent que les politiques publiques, les infrastructures, la conjoncture économique et sociale, et les acteurs

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locaux interagissent de diverses façons et modèlent les dynamiques d’occupation des sols (Rudel et Horowitz, 1993 ; Pichón, 1997 ; McCracken et al., 1999 ; Brondizio et al., 2002). Certaines études tentent de définir des patrons d’occupation des sols correspondant à des contextes socio-économiques et politiques spécifiques (Brondizio et al., op. cit. ; Lu et al., 2010), comme par exemple la fameuse occupation des sols en « épines de poisson » caractéristique des fronts pionniers.

Différents outils sont développés pour analyser les dynamiques de ces systèmes complexes, avec des modèles statistiques multi-variés et des modèles dynamiques de simulation multi-agents (agent-based models et multi-agent system) (Parker et al., 2003 ; Verburg et al., 2002). Ces modèles sont utilisés pour analyser les liens entre les changements d’occupation des sols et les multiples acteurs, et notamment les caractéristiques des ménages, des communautés et des régions. Ils ouvrent des perspectives intéressantes en termes d’outils de planification territoriale et d’aide à la décision, certains modèles permettant des simulations d’occupation territoriale en fonction des stratégies des différents acteurs intervenants directement ou indirectement sur un territoire.

De manière générale, ces études montrent de bonnes corrélations entre certaines caractéristiques des ménages et leur prise de décision concernant leurs systèmes agraires, qui s’observent à l’échelle micro mais sont en lien avec les interactions entre forces sociales et économiques s’exerçant à l’échelle macro (Pichón, op. cit. ; Deadman et al., 2004 ; Pan et Bilsborrow, 2005). Plusieurs études font également référence à des théories économiques classiques en agronomie comme le cycle de vie des exploitations agricoles de Chayanov et la trajectoire des ménages (Chia, 1987 ; Perz, 2001 ; Walker et al., 2002).

Cependant, la très grande majorité des études sur les changements d’utilisation et d’occupation des sols en Amazonie sont réalisées dans des régions de front pionnier. En effet, ce sont des régions où les taux de conversion des terres sont très rapides, avec de forts enjeux. Les surfaces déforestées sont généralement de grande taille et bien détectables sur les images satellites de 30 mètres de résolution. De plus, les agents sont très réactifs et plus facilement modélisables car ils tendent à répondre aux logiques du marché. En revanche, les dynamiques affectant les territoires amérindiens ont encore peu attiré l’attention. Comme nous l’avons vu, les populations amérindiennes sont encore aujourd’hui très souvent considérées comme des populations statiques et des agents économiques non représentatifs, impliquant peu d’intérêt pour l’évolution de leur empreinte agricole (Sirén et Brondizio, 2009 ; López et Sierra, 2010).

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De plus, par rapport aux fronts pionniers, il est techniquement plus difficile d’étudier les territoires amérindiens : les zones défrichées sont beaucoup plus petites, et les caractéristiques de l’agriculture itinérante sur brûlis (AIB) font que les parcelles sont déplacées et sont souvent superposées entre elles d’une année sur l’autre. La régénération forestière rapide des systèmes d’AIB sur jachère longue, associée à la grande quantité de nuages en zone intertropicale, rend difficile le suivi par images satellites de petites parcelles dynamiques dans le temps et dans l’espace (Denevan et Padoch, 1987 ; Sirén et Brondizio, op. cit.). L’appropriation collective de la terre complique également l’analyse statistique des données, car la plupart des modèles développés en front pionnier se basent sur une unité spatialement définie, celle de l’exploitation agricole, qui peut être caractérisée par un ménage et différents choix d’occupation du sol (pâturages, parcelles cultivées, jachères, forêts, etc.). De plus, ces modèles ont favorisé une approche centrée sur les marchés et ont accordé moins d’attention aux autres facteurs influençant les systèmes de production et notamment ceux basés sur l’agriculture de subsistance, comme les activités socialement importantes ou prestigieuses au sein de la communauté (Descola, 1996), les réseaux de parenté, l’hybridation d’activités de subsistance et d’activités tournées vers le marché (López et Sierra, op. cit.), ou encore les processus de revendication identitaires et territoriales.

Toutefois, de plus en plus d’études s’intéressent aux dynamiques contemporaines de l’occupation des sols en contexte amérindien et ont recours à l’analyse d’images satellites (Behrens et al., 1994 ; Stocks et al., 2007 ; Hayes, 2008) et à l’analyse statistique de données d’enquêtes structurées à l’échelle de l’individu, du ménage ou de la communauté (Godoy et al., 1997 ; Gray et al., 2008). Ces études couvrent un large panorama de situations amérindiennes dans plusieurs pays amazoniens, et mettent en scène différents groupes ethniques, contraintes historiques, valeurs culturelles, situations démographiques, droits fonciers, degrés d’isolation géographique et degrés d’intégration au marché. Les pressions et opportunités exercées sur ces territoires varient d’une étude de cas à l’autre et influencent les réponses et adaptations en termes d’occupation du territoire. Certaines de ces études (Gray et al., op. cit. ; Lu et Bilsborrow, 2011) adoptent une approche interethnique et interculturelle pour tenter de mieux comprendre les facteurs qui affectent l’évolution des pratiques d’utilisation des sols et l’impact de ces pratiques à l’échelle des familles et des communautés. Les résultats de ces travaux pointent la complexité et la variété des situations. De manière générale, ils montrent la forte influence des facteurs contextuels, notamment des

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régimes fonciers et des politiques publiques de développement, ainsi que des caractéristiques socio-économiques des familles, et particulièrement de leur intégration au marché. Dans le cas des études menées par Godoy et al. (2005), Lu (2007) et Gray et al. (2008), les processus d’intégration au marché sont les principaux facteurs de changement de l’utilisation des sols. Ces auteurs montrent que les caractéristiques des ménages tendent à influencer les pratiques selon les mêmes logiques que celles décrites chez les petits agriculteurs de la région, tendance également soulignée par López et Sierra (2011).

Les situations sont très diversifiées et il reste difficile de comprendre les déterminants des dynamiques de l’occupation des territoires amérindiens. Si certaines études montrent l’apparition de logiques individuelles pouvant favoriser l’appropriation privée des ressources et même la vente des ressources collectives à des tiers, d’autres montrent la robustesse des institutions et la forte résilience des systèmes amérindiens de gestion des communs (Hayes, 2008 ; Eloy et Lasmar, 2012). Cette robustesse dépend d’un ensemble de facteurs que nous avons brièvement abordés, notamment avec les travaux d’Ostrom et de ses collègues, et demande des analyses résolument pluridisciplinaires afin de prendre en compte la diversité des moteurs des changements de l’occupation du sol, ainsi que la diversité des formes d’adaptation et des échelles en jeu.

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