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Recompositions territoriales et identitaires dans la commune de Camopi

Chapitre 4. Dynamiques contemporaines de gestion du territoire des Wayãpi et Teko : des mobilités revisitées

1. Caractéristiques démographiques et socio-économiques de la société

1.2 Les services et infrastructures de l’État, un accès essentiel pour les populations

1.2.2 État des lieux du système éducatif et de santé

La santé et les médicaments sont gratuits pour tous dans la commune de Camopi. Les soins courants et actes préventifs se font dans les dispensaires situés aux bourgs de Camopi et de Zidock. Les soins plus importants et les accouchements se font sur le littoral avec un rapatriement pris en charge en pirogue, avion ou hélicoptère selon les cas. Le centre de santé du bourg de Camopi compte deux médecins, deux infirmiers et un agent de santé. Le poste de santé de Zidock compte uniquement un infirmier et l’appui de médecins lors de visites plus ou moins régulières. Les habitants du haut Oyapock réclament l’ouverture d’un poste permanent pour un médecin.

La plupart des Amérindiens choisissent de bénéficier des soins et actes préventifs mis en place par l’État. Parallèlement et sans contradiction, ils se servent également de la pharmacopée traditionnelle et peuvent faire appel à des chamanes. Le chamane intervient sur un autre registre que le médecin. Il rétablit un ordre social perturbé grâce à des compétences particulières en faisant appel à des entités surnaturelles (Grenand, 1982 ; Ailincai et al., 2012).

Le système éducatif est celui de l’Education nationale, avec une scolarisation obligatoire pour tous jusqu’à 16 ans. La population est alloglotte, les langues maternelles, le teko et le wayãpi, étant les seules à être pratiquées dans les échanges au sein de la famille et du village. Les jeunes enfants de moins de six ans et la moitié des hommes et des femmes de plus de quarante-cinq ans sont unilingues. Le reste de la population est plurilingue et la plupart des adultes parlent le français appris à l’école, le créole guyanais et le portugais du Brésil (Ailincai et al., op.cit.). Pour tenir compte de ces spécificités linguistiques, de jeunes

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Amérindiens ont été formés au métier d’intervenants en langue maternelle (ILM)59 . Ils interviennent dans les classes et ont pour double objectif d'aider le développement des langues d'origine et d'appuyer l'apprentissage de la langue française. A part cette mesure spécifique, l’enseignement est entièrement basé sur les programmes de Métropole.

Il y a quatre écoles maternelles et primaires sur le territoire : une dans le moyen Oyapock située dans le bourg de Camopi et trois dans le haut Oyapock situées à Zidock, Roger et Yawapa. Les écoles de Roger et Yawapa-Pina ont été ouvertes récemment et ne comptent chacune qu’une classe multi-niveaux d’une vingtaine d’élèves. Il n’existe aucune cantine sur la commune et les journées sont longues pour les enfants : les cours commencent à 7 h 30 et terminent à 13 h. Le ramassage scolaire en pirogue s’est structuré ces dernières années sur le moyen et le haut Oyapock et permet un transport gratuit des enfants des hameaux périphériques à l’école.

Une annexe du collège Constant Chlore de Saint-Georges a ouvert au bourg de Camopi il y a 5 ans : l’annexe Paul Suitman, du nom d’un des premiers maires wayãpi de la commune de Camopi. Avant, les enfants suivaient les cours par le CNED (Centre national d'enseignement à distance) ou étaient envoyés au collège sur le littoral, en général au Home indien de Saint-Georges et retournaient à Camopi uniquement pendant les vacances scolaires (Armanville, 2012). Cela signifiait, pour des enfants âgés de 11-12 ans, un départ précoce de leur famille, une perte de repères et une confrontation brutale avec la société guyanaise. Effectivement, les sociétés wayãpi et teko sont en interaction permanente avec le fonctionnement de la société occidentale, mais ces interactions sont vécues à partir de leur société et selon leur rythme, c’est-à-dire de manière bien moins directe que quand les enfants partent au collège (Ailincai et al., op.cit.). Cependant, malgré l’ouverture du collège Paul Suitman, il n’y a pas de famille d’accueil et/ou d’hébergement de prévu au bourg de Camopi pour loger les collégiens venus du haut Oyapock. Par conséquent, beaucoup d’enfants du haut

59 Le statut des ILM, créé par le ministère de l’Education nationale reste cependant précaire. Tout d’abord, les premiers ILM ont été recrûtés sur des postes emplois-jeunes puis en tant qu’assistants d’éducation pour enfin voir les derniers recrûtements se faire via des Contrat d’Accès à l’Emploi (CAE). Tous ces contrats sont précaires et surtout difficiles à renouveler. Des jeunes femmes et jeunes hommes de la commune ont été contraints ou sont menacés de devoir arrêter le métier faute de contrat pouvant leur correspondre et permettre de les renouveler. Cela suscite de grosses déceptions à l’échelle locale (SUD Education, 2010).

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Oyapock continuent à être envoyés sur le littoral60 pour suivre leur collège ou sont déscolarisés après le CM261. Dans tous les cas, après le collège, toutes les formations ont lieu dans les villes du littoral.

La question de l’hébergement et de l’encadrement de ces jeunes collégiens ou post-collégiens fraîchement débarqués sur le littoral est cruciale. Elle est citée par les jeunes et par leurs parents comme la principale difficulté et source de non achèvement des formations commencées sur le littoral. En effet, il y a très peu de places dans les internats62 en Guyane, de nombreux internats ferment le week-end, et les familles d’accueils sont peu nombreuses et localement accusées de loger des jeunes Amérindiens uniquement pour des raisons financières (Armanville, op.cit.). De plus, les familles ont du mal à respecter les échéances de paiements des frais liés à l’hébergement de leurs enfants sur le littoral. L’impossibilité de joindre par téléphone ou par internet ses parents et réciproquement complique les rapports affectifs et la perte de repères mais aussi la gestion financière de ces jeunes. Pour ces raisons, de nombreux jeunes renoncent à continuer leur scolarité après le collège et l’organisation de structure d’accueil dans les villes du littoral pour ces jeunes est une revendication importante de la part des habitants de la commune de Camopi.

60 Les enfants vont soit en internat au Home Indien à Saint-Georges, tenu par des sœurs, soit en familles d’accueil, sélectionnées par le conseil général. La grande majorité des familles préfèrent envoyer leurs enfants au Home, d’une part pour des raisons financières car la pension chez les sœurs est d’environ 300 euros pour l’année scolaire alors qu’elle est de 300 euros par mois en famille d’accueil, d’autre part pour des raisons de discipline. Les familles tendent à avoir plus confiance dans le Home Indien que dans des familles d’accueil inconnues. Ceci principalement du fait que plusieurs parents ont étudié au Home pendant leur jeunesse et qu’une aide aux devoirs est instaurée par les sœurs. Cependant, les habitants regrettent une baisse de rigueur dans le Home avec entre autres des problèmes de circulation d’alcool et drogue (Armanville, 2012 : 67). Selon Armanville (op. cit.), les sœurs elles-mêmes sont conscientes de leurs limites, et ceci principalement du fait qu’elles ne sont pas formées pour être éducatrices et qu’elles ont plus de difficultés à se faire obéir par les adolescents de nos jours. A noter qu’au Home l’enseignement catholique n’est pas obligatoire et que de manière générale les Amérindiens wayãpi et teko n’ont pas de croyances catholiques, ni même évangéliques. Il n’y a d’ailleurs aucune église dans la commune de Camopi, fait assez rare dans les communes de France.

61 Particulièrement les jeunes filles, car selon Armanville (op. cit.), les parents ne souhaitent pas éloigner leurs filles de peur d’une grossesse non désirée.

62 Il existe un internat à Kourou et un à Cayenne. Un certain nombre de places est réservé « aux populations isolées » mais il est insuffisant. Le Home indien de Saint-Georges concerne uniquement les collégiens et il n’y a de toute façon pas de lycée à Saint-Georges (ibid.).

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Par ailleurs, une forte proportion de jeunes réalise des formations au Régiment du service militaire adapté de la Guyane63 (RSMA), qui propose plusieurs formations professionnelles pour les 18-26 ans, réalisées en pension complète avec la rigueur et la discipline militaires. D’une certaine façon, le RSMA comble les carences de l’Education nationale en Guyane et ses difficultés à répondre aux attentes des jeunes de Camopi qui n’ont pas atteint le niveau minimum exigé par le référentiel français ou ne remplissent pas les conditions pour accéder aux internats.

D’une manière générale, les Amérindiens wayãpi et teko accordent une place importante à l’école et ils souhaitent que celle-ci permette aux enfants de maîtriser le français et toutes les connaissances nécessaires pour interagir avec le monde occidental. La scolarisation à l’école française n’est pas vue comme contradictoire avec la culture wayãpi et teko. Si les Amérindiens mentionnent que l’école, par les absences au sein du foyer parental de quelques heures par jour à plusieurs mois par an, retarde l’apprentissage de certains savoirs et activités traditionnelles, ils s’accordent à dire qu’elle ne l’empêche pas et que les jeunes qui le souhaitent peuvent facilement rattraper ce « retard ». Le souhait des adultes est de voir les enfants obtenir un diplôme et devenir instituteurs, médecins, dentistes, infirmiers, etc., afin qu’ils reviennent dans le village et que la communauté ne soit plus dépendante de l’extérieur (ibid.).

Par contre, ils réclament un enseignement de qualité et une meilleure prise en compte par l’Education nationale de leurs spécificités culturelles. Outre une meilleure valorisation de la culture et des langues maternelles, les attentes principales concernent la formation d’instituteurs issus des communautés afin de participer à la création d’emplois locaux, la décentralisation d’écoles maternelles et primaires par la création de petites écoles satellites comme cela a été fait dans le haut Oyapock à Roger et à Yawapa et une meilleure adaptation et flexibilité du calendrier scolaire en relation aux activités agricoles saisonnières.

63 Structure dépendant du Ministère des Outre-mer et financée en partie par les fonds structurels européens qui appuient une dynamique en faveur des jeunes et de l'emploi. En Guyane, le RSMA propose 17 filières de formations professionnelles destinées à des jeunes âgés de 18 à 26 ans en situation d’échec scolaire ou sans diplôme. Le cursus de formation dure au minimum six mois. Les jeunes sont nourris et logés, avec une indemnisation d’environ 300 euros par mois. Ils n’ont pas d’obligation d’engagement militaire et sortent avec un diplôme. Ils passent également le permis de conduire pendant cette formation.

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L’éducation et la santé sont donc des sujets au cœur des préoccupations sur le territoire. La population réclame un meilleur suivi médical, ainsi qu’une meilleure prise en compte par l’Education nationale de leur spécificité culturelle, d’une part en encadrant les jeunes qui partent se former dans les villes de Guyane et d’autre part en adaptant les écoles du territoire aux conditions locales.

L’éducation est vue comme un levier nécessaire pour parvenir à concilier les bénéfices de la société amérindienne et ceux de la société occidentale. L’accès à ces services est jugé essentiel par la population et l’éducation et la santé restent des facteurs structurants décisifs dans l’occupation et l’organisation du territoire.

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