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DISCOURS POLITIQUE

2.3 Le Parti Communiste Réunionnais

2.3.5 Le réseau d'influence du PCR et les organisations

« satellites ».

Nous l'avons dit, dans les thèses constitutives de 1959, le PCR énonce la nécessité de faire front par une commune alliance, entre les classes moyennes et prolétaires d'abord et ensuite entre les partis politiques. Une alliance que le PCR fonde également avec des organisations associatives et syndicales autonomes, en appelant les militants a s'y investir :

211Ibid., p.73

212L’Organisation Marxiste-Léniniste Communiste de La Réunion (OCLMR) est fondée en 1975 par un groupe dissident du PCR qui s'orientait davantage vers la revendication d'indépendance pour la Réunion. En 1981, l'OCMLR devient le MIR (Mouvement pour l'indépendance de La Réunion).

213ORAISON André, op.cit., p.74

« C’est pourquoi les communistes doivent accorder une importance particulière des plus larges masses dans les organisations de masses (syndicats, organisations de femmes, de jeunes, de solidarité, associations culturelles… et considérer l’insuffisance de leur activité actuelle dans ces organisations comme une des plus graves faiblesses que connaisse le mouvement démocratique dans notre pays 214».

Il s'agit d'une volonté de mettre en réseau les militants communistes et les associations. Héritier de la tradition des alliances syndicales qui avaient formé l'union au sein du CRADS, le PCR a collaboré avec les travailleurs, les syndicats et les femmes, rassemblés au sein de mouvements autonomes mais fortement imprégnés de l'idéologie communiste. Ces groupes avec lesquels le PCR exprime une volonté de renforcement des relations sont nommés « les organisations satellites du PCR215 » par Gilles Gauvin. André Oraison parle de ces organisations comme du « premier cercle d'alliances » du PCR, avant les alliances politiques locales, nationales et internationales. Parmi elles :

« L'Union des Femmes de la Réunion (UFR), le Front des Jeunesses Autonomistes de la Réunion (FJAR), la confédération Générale des Travailleurs de la Réunion (CGTR) et Témoignages Chrétien de la Réunion (TCR), pour ne citer que les plus connues, sont des institutions autonomes par rapport au PCR. Mais toutes considèrent le Parti communiste réunionnais comme un allié privilégié216 ».

Le PCR apportera son soutien a l'ensemble de ces organisations. Un soutien que celles-ci lui rendront bien en l'appuyant pendant les élections et en se faisant les relais de la revendication d'autonomie. A ce propos, André Oraison rappelle d'ailleurs que « L'UFR, le FJAR, la CGTR et TCR ont appelé leurs militants et leurs sympathisants a voter pour les candidats du PCR aux élections législatives du 12 et 19 mars 1978217». Une force de mobilisation externe au parti qui a su conforter l'idéologie communiste. Et cela se confirme davantage lorsque l'on voit que la majorité des dirigeants de ces organisations occupent des postes clés et a responsabilités au sein du Parti.

C'est le cas d'Isnelle Amelin et d'Alice Peverrely de l'UFR, respectivement trésorière adjointe du PCR et secrétaire du Parti entre les années 1960 et 1970. Il en est de même pour Elie Hoareau, qui, en sa qualité de Secrétaire Général du Front de la Jeunesse Autonomiste de la Réunion (FJAR), est également le bras droit de Paul Vergès dans la gestion des affaires du Parti. Payet Bruny, secrétaire général de La Confédération Générale du Travail de la Réunion (CGTR) est membre du parti tout comme Lucien Biedinger, le responsable de Témoignages Chrétien de la Réunion (TCR) très proche du PCR. Ces organisations syndicales et associatives s'organisent et se rencontrent de manière autonome, prennent des décisions dans

214PARTI COMMUNISTE REUNIONNAIS (1959), op.cit,.

215Expression utilisée par Gilles Gauvin 216ORAISON André op.cit, p.92 217Ibid., p.92

les secteurs qui les concernent, mais le point d'ancrage avec le Parti est une donnée importante si l'on veut comprendre ses méthodes. Il s'agit donc d'un réseau d'influence organisé, porteur de revendications dont la diversité servira les avancées sociales a la Réunion.

La première de ces organisations est celle des femmes. L'Union des Femmes de la Réunion aujourd'hui rebaptisée Union des Femmes Réunionnaises (UFR), précède la création du PCR. L’originalité historique de cette création réside dans le fait que le mot d'ordre d’autodétermination apparaît dans les statuts constitutifs de l’association féministe. Les femmes ce de mouvement estiment que les Réunionnais ont le droit de gérer eux-mêmes leurs propres affaires et sont donc les premières a revendiquer le changement de statut.

Issue d'une branche de l'Union des Femmes Françaises, l'UFR s'affirme en premier groupe de femmes sur l'île et reçoit le soutien du Parti quand elles organisent des manifestations. Ce fut le cas lors du rassemblement pour l'alignement, sur celles de la France hexagonale, des prestations sociales dans l'île et ce fut également le cas lors de la lutte contre la précarité des mères de famille. Le PCR a rejoint les rangs des manifestants et ainsi participé a la lutte aux côtés des femmes.

Isnelle Amelin, qui a contribué a l'installation de la branche locale de l'UFF, devient secrétaire générale de l'UFR quelques années plus tard. Elle est très proche des opinions politiques de Raymond Vergès, dont elle admire le dévouement pour la cause des plus précaires. Convaincue, elle s'engagera dans la lutte politique a ces côtés et se retrouvera dans le rang des militants du PCR en 1959. Elle signera le procès verbal lors de la création du PCR en tant que trésorière adjointe, aux côtés de son amie Alice Peverrely, elle aussi-engagée a l'UFR. Isnelle Amelin est donc engagée en politique au même titre que de nombreuses militantes féministes. L'UFR devient donc, dès sa création, un rassemblement de femmes doublement engagées, dans la politique et dans le féminisme pour la défense des droits des femmes. Cet engagement est parfois triple car certaines militantes sont aussi syndiquées et engagées pour le syndicat. Cette dimension tripartie de l'engagement a la fois politique, féministe, syndical n'est pas seulement l'apanage des femmes. Ces trois réseaux revendicatifs sont liés par l'idéologie commune de la lutte pour les travailleurs. L'ambition commune de donner plus de droits et de considérer davantage les travailleurs pauvres inscrit ces organisations dans une histoire commune, dont l'étude des enjeux pourrait faire l’objet de travaux de recherche permettant d'éclairer l’histoire sociale de l'île.

En 1944, lorsque la loi leur permet de prendre le pouvoir du bulletin de vote, les femmes de L'UFR prennent toute leur place au devant de la scène politique. Elles vont se présenter aux élections, tenir des bureaux de vote et s'affirmer en tant que citoyennes engagées. En 1958, l’association « (Elle) devance ainsi formellement le PCR qui ne devait

adopter la ligne de l’autonomie interne qu'a son congrès constitutif réuni au Port les 17 et 18 mai 1959218». André Oraison, considère qu'il s'agit d'un « ballon d'essai » que l'histoire politique n'a pas retenu. Mais ce dernier précise tout de même que cet essai s'est fait avec le « plein accord (de)la fédération réunionnaise du PCF219». Cette proximité va peser sur les femmes de l’organisation féministe pendant des décennies tant leur gestion autonome et leur indépendance seront remis en question, par les adversaires des communistes.

Les femmes représentent un public particulier que le PCR met en avant dans ses réflexions suite au congrès constitutif de 1959. Soulignant le fait que le nombre de femmes dans les délégués est largement inférieur a celui des hommes, le PCR exprime sa volonté d'inverser cette tendance. Une réflexion qui explique son soutien aux femmes de l'UFR pendant les premières décennies.

« Plus que tous autres les mères de famille sont les plus touchées par les difficultés matérielles résultant des bas salaires, des allocations familiales dérisoires.

Ce sont les femmes, mères de familles nombreuses dans la plupart des cas, qui directement connaissent un véritable esclavage domestique, et souffrent un vrai martyre en période de chômage du père.

C’est pourquoi se posera pour notre jeune Parti Réunionnais la tâche d’entraîner dans la lutte revendicative et politique, le plus grand nombre possible des femmes créoles 220».

Le PCR fait aussi la remarque concernant la faible représentation des jeunes Réunionnais parmi les délégués présents a la constitution du Parti :

« D’autre part, il n’y a que 8 délégués de moins de 25 ans. Ce qui est une faiblesse dont il faudra également tenir compte. Il nous faut absolument amener plus de jeunes à notre parti, parce que nous devons songer que les jeunes sont l’avenir de notre Parti221 ».

Pour cette raison le PCR concentre ses forces vers la jeunesse afin de remédier a cette faible représentation. Paul Vergès crée en 1960, l’Organisation Démocratique de la Jeunesse Réunionnaise (ODJR). Cette organisation a pour but de rassembler les jeunes, de les sensibiliser et de former leur conscience politique. En 1967, l'ODJR devient le Front de la Jeunesse Autonomiste de La Réunion (FJAR), toujours chargé de développer le réseau militant au sein de la jeunesse réunionnaise, mais cette fois avec le mot d'ordre d'autonomie

« pour la reconnaissance d'un pouvoir et l'affirmation de l'entité réunionnaise222 ».

218Ibid., p.93 219Ibid.

220PARTI COMMUNISTE REUNIONNAIS (1959), op.cit.

221Ibid.

222GAUVIN Gilles, « Le parti communiste de La Réunion (1946-2000) », (2000), op.cit., p. 77

« Créé à Saint-Paul le 20 août 1967, à l’initiative de M. Paul Verges, au lendemain du deuxième congrès du PCR, le FJAR est le principal mouvement de la jeunesse progressiste de l'île. Rassemblement des jeunes unis par la Charte de la jeunesse ou déclaration des gorges du Bernica du 4 février 1968, c'est une formation multiraciale qui recrute dans tous les groupes ethniques. Elle comprend des chômeurs mais aussi de jeunes travailleurs agricoles ou ouvriers ainsi que des collégiens, des lycéens et des étudiants223 ».

Ces jeunes, forts de leurs convictions, vont parcourir les quartiers de l'île et tenir des réunions pour rassembler la jeunesse autour des questions sensibles comme celles du chômage, des inégalités sociales avec la France hexagonale et des problèmes identitaires que pose l'assimilation depuis la départementalisation.

La jeunesse réunionnaise se regroupe également au sein de l'Union Générale des Etudiants Créoles de la Réunion (UGECR), créée en octobre 1960. L'objectif, pour ces étudiants réunionnais en France, est de se regrouper au sein d'une organisation pour discuter de la place des Réunionnais en France hexagonale, de leur considération sur le territoire français ainsi que sur toutes les problématiques liées a l'exil et a la mobilité des jeunes Réunionnais. Ils regroupent leurs revendications et leurs réflexions, le plus souvent autour de l’identité et du statut des jeunes Réunionnais dans le journalLe Rideau de cannes, édité de 1960 a 1963 a Paris.

La problématique de la mobilité devient de plus en plus présente dans les années 1960 notamment en réaction a la création duBureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre- mer224 (BUMIDOM) en 1963. Il devient de plus en plus urgent d'évoquer la question du chômage dans l'île et de ses conséquences, notamment sur la construction identitaire et les conditions de vie des Réunionnais une fois qu'ils quittent le territoire. Au-dela de la problématique de la mobilité des jeunes, c'est le caractère forcé des départs et la politique migratoire mise en place par Michel Debré dans l'île qui vont soulever des révoltes.

Ces dernières donneront lieu en décembre 1963, a la création d'une nouvelle association de Réunionnais en France. Il s'agit de l'Union Générale des Travailleurs Réunionnais en France (UGTRF) qui va regrouper des personnalités comme Nelly Barret et Gervais Barret, Boris Gamaleya et Clélie Gamaleya, victimes de l’ordonnance Debré. Cette ordonnance de 1960 donne le droit aux pouvoirs locaux d'ordonner le départ des fonctionnaires dont les propos ou les actes sont de nature a troubler l'ordre public. Réunis au sein de l'UGTRF, les fonctionnaires victimes de l'ordonnance Debré se mobilisent contre leur

223ORAISON André, op.cit., p.94

224Le BUMIDOM est un organisme d'État, crée en 1963 par Michel Debré. L'organisme est chargé d'organiser les migrations des Ultra-marins vers la France Hexagonale.

mutation forcée et c'est avec le soutien du PCR, qu'ils vont engager la lutte contre Michel Debré et son ordonnance.

L'UGTRF peut être considérée comme l'une des organisations satellites du PCR au vu de la réciprocité de leurs luttes et de leur opposition vivement marquée a l'encontre de la politique que Michel Debré applique dans l'île.

Ces organisations satellites ont affirmé leur soutien a la revendication d'autonomie du PCR, mais il y a eu des prises de position a l’encontre du Parti. Des prises de position qui révèlent que ces organisations satellites n'étaient pas prêtes a tout accepter, comme les femmes de l'UFR qui se sont exprimées contre leur infériorité numérique sur les listes électorales conduites par le PCR par le biais de communiqués a la presse.

De son côté, le FJAR s'est affirmé dans sa volonté d'aller plus loin que l'autonomie pour un changement plus radical du statut de l'île. Fort de ses pouvoirs sur la structure, le PCR a contredit cette revendication et a préféré forcer l'arrêt d'une organisation devenue trop radicale a ses yeux.

« Par sa combativité sous l'impulsion d'hommes comme M.Georges Sinamalé, le FJAR a fait figure à l'origine et pendant quelques années de véritable avant-garde révolutionnaire. Mais son attitude de plus en plus intransigeante devait amener le Parti à épurer sa direction à partir de 1970 afin d'en éliminer les trublions gauchistes. Le mouvement de jeunes s'en est trouvé affaibli et il est actuellement en léthargie225 ».

225ORAISON André, op.cit., p.95

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