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DISCOURS POLITIQUE

2.2.1 L'année 1945 ou l'annonce d'un changement

Le texte le plus ancien dans notre corpus est les thèses constitutives du PCR datant de 1959. Nous ne pouvons, cependant, analyser les thèses, de l'un des partis les plus influents de l'île, sans analyser les formations et confrontations politiques d'avant 1959. Nous proposons donc de contextualiser l’histoire politique de 1945 a 1959.

Nous avons choisi de privilégier l'histoire politique récente de l'île, a savoir celle qui démarre en 1945. Un an avant le vote décisif de la départementalisation, de nombreux signes dans la vie politique annoncent un changement imminent. Délimiter notre propos a 1945 marque notre volonté de nous attacher a l’analyse de l'histoire contemporaine, bien que l'analyse de la politique coloniale d'avant 1945 constitue une piste d'étude intéressante pour comprendre les enjeux des formations politique après 1946.

De 1945 a 1959, l'histoire politique de l'île est marquée par la confrontation entre deux blocs antagonistes : le Rassemblement du Peuple Français (R.P.F.) et le Parti Communiste Français (P.C.F.), deux partis nationaux qui ont créé des sections dans l'île. Ces deux groupes ont alimenté un antagonisme politique au centre de l’histoire des affrontements politiques jusqu'en 1959. Nous allons donc analyser les marques d’opposition entre les gaullistes et communistes, pour mieux comprendre l'antagonisme qui opposera autonomistes et départementalistes par la suite.

Un an avant la départementalisation, en 1945, l'île de La Réunion est dans une situation sanitaire et sociale dégradée. La colonisation a, non seulement, épuisé les ressources humaines et économiques, mais aussi construit une société profondément inégalitaire. Les historiens décrivent unanimement une société a bout de souffle au sortir de la seconde guerre mondiale.

« La guerre de 1939-1945 avait accru le marasme en créant une véritable situation de famine.

La consommation de matière grasse baisse de moitié, entrainant une baisse de 50% du rendement horaire des travailleurs! Le réunionnais vit au dessous du seuil de pauvreté, victime

des maladies banales ou de la moindre épidémie. Le taux de mortalité infantile s'élève à 145/1000 en 1947! 145 ».

C'est dans ce contexte que les élections de 1945 révèlent leur importance capitale pour le devenir politique de l'île. Les municipales organisées en mai 1945 amorcent le début du changement. Elles sont le symbole d'une démocratie nouvelle car depuis 1936, les Réunionnais n'avaient pas été appelés aux urnes. Le gouverneur Capagorry succède a Pierre Aubert146 en 1942, et reçoit l'ordre d'orchestrer l'une des dernières élections avant le vote de la départementalisation.

« A 48 ans, André Capagorry représente la France libre. La Réunion se retrouve maintenant aux côtés des forces gaullistes. Demeure l'essentiel, La Réunion est exsangue, la population a faim. Un des premiers gestes du nouveau gouverneur est de donner mission au Léopard de se diriger vers Madagascar pour ravitailler en riz La Réunion.

L'île entre dans une nouvelle phase de son histoire147 ».

1945 annonce « Le renouveau politique » dont Parle Yvan Combeau pour désigner l'imminence du changement que constitue le vote de la départementalisation. 1945 est un tournant dans l'histoire politique et également dans l'histoire des droits des femmes, car c'est aussi l'année où les femmes réunionnaises sont appelées a voter pour la première fois. Elles intègrent la vie politique, se rendent aux urnes et surveillent les bureaux de vote prenant ainsi une part active a la vie électorale et aux décisions :

« (…) quelques figures marquantes sont aussi présentes sur les listes de candidats: Mme Cerou, Fontaine, Amelin (Saint-Denis), Mme Morin, Mme Henry, Melle Apollina Delpha (Le Port), Anne Hoareau, Emilia Chanu (La Possession). Parmi ces femmes, Isnelle Amelin est une des militantes les plus actives lors des réunions publiques. Employée de banque à la Banque de La Réunion, elle est à l'origine de la naissance de l'Union Générale des Femmes Françaises (1944). Comme l'écrit, Clelie Gamalaya, elle fait partie de ces femmes qui "avaient pris conscience qu'elles devaient "lever la tête" et s'organiser pour améliorer leur sort et celui de leurs enfants148 ».

1945 est donc une année clé pour les femmes de l'île. La création d'une antenne de l'UFF annonce la naissance d'un féminisme réunionnais organisé et structuré dès 1946. Les mouvements de résistance des femmes s'organisaient bien avant cette date mais la création de l'UFF, puis de l'Union des Femmes de La Réunion en 1958 marque l'arrivée d'un féminisme contemporain et l'inscription des discours féminins dans l'espace discursif politique, associatif

145FUMA Sudel, « La Réunion sous la Ivème République : Un régime de paradoxes? », L'ile de La Réunion sous la quatrième république 1946-1958, entre colonie et département, sous la dir. De M. Combeau, Saint-André : Océans édition, 2006. p.70.

146Cette succession est annoncée par un décret du Général de Gaulle, signé a Londres le 1er décembre 1942.

André Capagorry est nommé gouverneur de la Réunion.

147COMBEAU Yvan, « Réunion 1940-1963, La Réunion dans le temps présent, Une colonie Gaulliste ? » (2008), op.cit., p.16

148Ibid., p.28

et militant. Nous reviendrons, plus loin dans ce chapitre, sur l'histoire des femmes de l'île dont les revendications et propositions politiques ont également construit l'histoire politique. Nous tenterons d'analyser comment l'histoire des femmes, trop souvent dissimulée derrière des revendications de partis, a participé a la construction du rôle politique et social.

Les élections municipales de 1945 ont été décalées de quelques jours a cause d'un cyclone, lequel a provoqué de nombreux sinistres : treize personnes ont perdu la vie et les dégâts s'élèvent a plus de trois cents millions de francs. Au dela de ce désastre, le décalage temporel, entre les municipales en France hexagonale et celles organisées dans l'île, constitue un clivage symbolique. Ce décalage temporel est inhérent a l'histoire des colonies mais les particularités de l'espace insulaire, dues a sa situation géographique et a ses spécificités dans la gestion et l’organisation de la vie politique locale, créent des caractéristiques, qui dès l'époque coloniale, autonomisent le champ politique réunionnais de son centre hexagonal.

Les élections municipales de mai 1945 ont porté de nombreux maires de gauche a la tête des villes de l'île. En France hexagonale, ces premières élections depuis la Libération, mettent en tête le Parti Communiste Français (PCF) et le Mouvement Républicain Populaire (MRP) qui enregistrent des scores positifs au premier tour. Le MRP est un nouveau parti, créé en 1944, par des résistants démocrates chrétiens dont l'attachement et la fidélité a Charles de Gaulle sont des principes fondamentaux. En parallèle, le PCF devient une force politique incontestable, notamment dans la ville de Paris où il est le premier parti.

A La Réunion, ces deux forces nationales possèdent leur antenne locale. Le MRP, dont la figure principale est Alexis de Villeneuve149, incarne les forces de droite et leur volonté de maintenir les privilèges coloniaux. A gauche, les figures principales du Comité Républicain d'Action Démocratique et Sociale (CRADS) que sont Léon de Lepervanche et Raymond Vergès ont défendu la thèse anti-coloniale a l'Assemblée constituante où ils ont travaillé étroitement avec le PCF.

Dès 1945, cet affrontement entre la droite et les forces de gauche dans l'île annonce le tournant de la départementalisation en 1946 :

« Dans la Colonie, ces élections apparaissent comme le point d'affrontement (dans les urnes) d'une bipolarisation naissante entre deux blocs. A gauche, dès mars 1945, un mouvement de rassemblement aboutit à la naissance officielle du Comité Républicain d'Action Démocratique et Sociale. Le C.R.A.D.S est alors animé par le Docteur Raymond Vergès (Président) et Léon Lepervanche. Le second pôle se construit autour d'un bloc unissant les représentants des droites locales sous l'influence dominante de la démocratie- chrétienne et d'un leader: Alexis de Villeneuve. Son discours teinté des couleurs du payetisme (René Payet) s'adresse principalement aux planteurs avec d'acerbes critiques contre l'Administration coloniale150 ».

149Alexis de Villeneuve est un homme politique réunionnais, né en 1906 a Saint-Benoit. Il devient leader du MRP et est assassiné le 25 mai 1946.

En 1945, la gauche remporte une large victoire. « Avec 12 mairies (St Denis, Le Port, St Paul, St Leu, St Louis, Ste Suzanne, St Pierre, St André, Entre-Deux, La Possession, Bras-Panon) gagnées sur 23, les cradistes réunissent 40.759 suffrages, soit 73,4% des exprimés (40% des inscrits). L'abstention est de 25,5%151 ». Cette victoire de la gauche ouvre une nouvelle ère politique. Au même moment, le droit de vote et d'éligibilité accordé aux femmes avec l'ordonnance d'Alger du 21 avril 1944, ainsi que leur entrée dans la participation active a la vie politique construisent également ce « renouveau ». En 1945, alors qu'elles votent pour la première fois, les femmes votent massivement a gauche.

« La gauche obtient 66,3% venant des femmes et 75,3% des hommes. La droite chrétienne compte 33,6% venant des femmes et 24,7% des hommes152 ».

En octobre 1945, deux temps forts rythment la vie démocratique dans l'île : le vote pour l'Assemblée constituante et les législatives. Un référendum est organisé autour de la nécessité de créer une Assemblée constituante. Ce referendum, seconde consultation populaire après les municipales, conduit a une large mobilisation. Les Réunionnais répondent positivement a la constitution d'une assemblée, au sein de laquelle ils choisissent deux élus communistes, issus du CRADS, les députés Léon de Lepervanche et Raymond Vergès. Même si ces élections législatives ne donnent pas la victoire a grande majorité a gauche, l'assemblée constituante reçoit une majorité écrasante de oui prononcé par 62 117 réunionnais sur 69 670 votants. Un vote symbolique qui porte les espoirs de renouveau des Réunionnais.

La départementalisation, est en 1946 portée par la voix de ces deux députés, qui aux côtés du député martiniquais Aimé Césaire, voix contestataire de l'ordre colonial établi aux Antilles, annoncent la rupture avec le système colonial par le vote du 14 mars 1946, le vote de la départementalisation.

L'île de la Réunion, devenue département accueille son premier préfet, Paul Demange le 16 aout 1947. La départementalisation marque la fin du temps des gouverneurs et du Conseil privé. Les prises de décisions sont désormais entre les mains du préfet, représentant de l'État dans le département. Les décisions sont aussi entre les mains des députés de la République et toutes les lois votées doivent dorénavant s'appliquer a la Réunion. L'empire colonial laisse place au régime républicain, réformant ainsi l'ensemble de l'organigramme

150COMBEAU Yvan, « Réunion 1940-1963, La Réunion dans le temps présent, Une colonie Gaulliste ? » (2008), op.cit., p.23-24

151Ibid., p.32 152Ibid., p.33

décisionnel. Le gouverneur Capagorry assure l'intérim en attendant la nomination du nouveau préfet. L'arrivée tardive de Paul Demange révèle les difficultés a appliquer la départementalisation et a en organiser les modalités sur le terrain.

Il est vrai que l'intégration a la Nation, par le biais de l'assimilation départementale, place la Réunion sur la voie du développement et des progrès. Les fonds économiques ont été investis pour sortir l'île de son sous-développement et les indicateurs ont montré que le progrès, sous cet angle, a été amorcé. Il s'agissait de répondre prioritairement a la malnutrition et a l'absence de soins de santé pour diminuer la mortalité infantile et réduire les épidémies dans l'île. En 1950, la plupart des foyers réunionnais reçoivent l’électricité, signe d'une amélioration considérable du quotidien. Cependant l'égalité entre tous les citoyens français, annoncée dans les débats et portée par le texte de loi, n'est que théorique pendant plusieurs années.

L'application des lois est progressive et cette mise en place est jugée bien trop lente au vu de la situation sociale extrêmement urgente de nombreux Réunionnais, qui cumulent les situations d'illettrisme et de précarité. Les élus de droite comme ceux de gauche, déplorent les freins a la mise en place du statut départemental. Au dela des difficultés administratives de mettre en application cette nouvelle organisation départementale, ce sont les forces vives au pouvoir et attachées a leurs privilèges dans l'île qui entravent la pleine application de l'égalité :

« Les rapports font l'état de l'extrême précarité, mais aussi des comportements coloniaux d'une bourgeoisie, attachée à ses privilèges d'un autre âge, non seulement refusant mais aussi freinant les initiatives de l'administration 153».

Malgré ces déceptions politiques, la Réunion sort progressivement de son statut de colonie pour revêtir ses nouveaux habits de département. L’organisation coloniale laisse place a une nouvelle organisation, reste a savoir laquelle. Une réorganisation sociétale, économique et politique modifie profondément le fonctionnement administratif et politique, les coutumes et les pratiques quotidiennes ainsi que les idéologies et les mœurs. Mais la départementalisation, n'est-elle pas, comme l'en accusent les communistes, une société coloniale qui survit ?

153FUMA Sudel, « La Réunion sous la Ivème République : Un régime de paradoxes? », (2006). op.cit., p.70.

2.2.2 La première décennie du département : déceptions et

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