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L'autonomie pour contrer l'exclusivité française : résister à la dépendance économique

DISCOURS POLITIQUE

2.4 La revendication d'autonomie

2.4.4 L'autonomie pour contrer l'exclusivité française : résister à la dépendance économique

Le Parti met en avant le fait que les secteurs de l'agriculture et de l’élevage enregistrent des reculs importants alors que les importations augmentent d'années en années.

Les productions de thé, de géranium, de vétiver ou encore de vanille enregistrent un recul important dans l'île, alors même que le PCR voudrait travailler a leur survie. La diversité des cultures est effacée au profit du développement de la monoculture, celle de la canne.

La canne est devenue la clé principale du secteur agricole et les formes de régressions qu'elle a connues ces dernières années, pénalise l'ensemble de ce champ305. Cette préférence a la monoculture est vivement critiquée par le PCR qui estime que la diversité des cultures amènerait un dynamisme économique et mettrait fin a la crise du secteur agricole. Le secteur connait, en effet, un affaiblissement considérable, avec d'une part le recul de « la part d'agriculture dans le produit intérieur brut306» et également d'une baisse « en volume et en tonnage307». Les parts de terres agricoles diminuent, entrainant la suppression progressive de la main d'œuvre.

Il y a plusieurs raisons qui sont avancées pour expliquer cette dégénérescence du secteur agricole. Le Parti accuse le modèle de développement urbain qui écrase le secteur

305« De 1965 a 1971, la part de l'Agriculture dans le PIB de l'île de la Réunion est passée de 18 a 12% ».

306PARTI COMMUNISTE REUNIONNAIS (1975), op.cit., p.7 307Ibid., p.7

rural par son expansion. En effet, le modèle d’urbanisation qui se développe depuis la fin des années 1960 va favoriser la « dépopulation des campagnes308» et de l'«extension des bidonvilles autour des grosses agglomérations309». L'agriculture n'est plus assez attractive pour retenir la main d'œuvre et lutter contre l'exode rural. Comme le domaine de l'agriculture n'est plus aussi rentable qu'en « 1950 ou 1965 », les jeunes et les moins jeunes se rapprochent des points stratégiques, fuyant l' « appauvrissement des planteurs ».

« L'augmentation des coûts de production, la hausse du coût de la vie, la baisse fréquente de la productivité par impossibilité pour le petit et moyen planteur d'investir pour rentabiliser sa production), la baisse de la « valeur de l'argent » etc...tout cela a contribué a un appauvrissement des planteurs310 ».

Un affaiblissement que le Parti explique par les concentrations financière et foncière du secteur agricole aux mains d'une minorité d'usiniers. Cette concentration des richesses favorisent la création de monopoles qui aggravent la crise agricole. Non seulement, la main d'œuvre disparaît mais elle est remplacée par des formes de mécanisation qui vont amenuiser les possibilités de travailler dans ce secteur :

« Quatre usines sucrières sur douze ont été supprimées en 4 ans. Il est prévu de ramener le nombre de ces usines à 4 ou à 5 et finalement à 2. Des menaces planent actuellement sur les usines de la Mare, du Gol et de Stella 311».

Cette disparition progressive des usines, le Parti l'explique par les « effets de l'intégration de La Réunion dans le Marché Commun312». Les productions industrielles comme celles du sucre, du géranium et du vétiver connaissent elles aussi cette baisse de leur production. Elles ne sont, en effet, plus assez fortes pour résister face a la concurrence déloyale exercée dans ce marché commun.

« Comment dans ces conditions, penser que notre production sucrière (200 000 tonnes environ) exportée puisse à la fois être compétitive sur le marché français et rentable pour La Réunion si le prix fixé est au départ inférieur à celui payé au producteur français et que nos producteurs doivent en plus supporter la charge de transport sur plus de 10 000 km ; et cela, à des taux de fret exorbitants et en constante augmentation 313».

A la détérioration des secteurs agricoles et industriels, le PCR rajoute celui du secteur de l'élevage qui vient renforcer le bilan de faillite depuis la départementalisation. Le Parti fait apparaître par le biais d'un relevé de données la diminution du bétail de 1943 a 1974. En

308Ibid., p.11 309Ibid.

310Ibid., p.7-8 311Ibid., p.16 312Ibid., p.41 313Ibid., p.15

1943, « année de guerre », l'île se trouve dans des conditions difficiles et pourtant le bétail se porte bien. Le PCR estime a 20% la diminution du bétail en 1974 alors même qu'en 1943 « il n'y avait aucune subvention a l'élevage314», et que la population était beaucoup moins importante. Une situation paradoxale lorsque l'on sait que les crédits accordés par « le Ministère de l'Agriculture, le FIDOM et le Département315» ont augmenté en 1974. Le parti communiste explique cette situation par l’entêtement du gouvernement a investir massivement dans la production industrielle et le développement du secteur tertiaire.

« Au lieu de partir des structures d'élevage existantes, de les moderniser et de les adapter aux besoins nouveaux par une politique énergique d'aide et d'assistance (technique et financière), le pouvoir s'est tourné délibérément vers la production industrielle316 ».

Le PCR accuse ainsi un modèle de développement qui favorise la dépendance aux importations alors que l'île possède les ressources nécessaires pour développer la production et l'élevage sur place.

« Ainsi la situation déplorable à La Réunion (qui est pourtant une « terre d’élevage ») est le résultat d'une politique : celle d'un pouvoir colonial qui ne fait qu'élargir artificiellement notre marché (gonflement du secteur tertiaire) et créer les conditions favorables pour l'importation (...) 317».

En confisquant ainsi a la Réunion la possibilité de jouir de ses richesses territoriales et de les développer tels des atouts, le gouvernement touche aux fondements de l'identité territoriale. L'île a une identité agricole très forte et même si la canne est liée a l'histoire coloniale, l'appauvrissement de son secteur est une perte pour le territoire. Cette perte touche aussi a l'autonomie alimentaire des Réunionnais, qui au lieu de se renforcer s'amenuise. Il apparaît dans les données relevées par le Parti Communiste que les importations ont fortement augmenté, en tonnage et en valeur. En 1969, l'île importait 47 345 tonnes de riz. En 1974, ce sont 65 905 tonnes qui sont importées318. L'augmentation des importations concerne également le maïs, les légumes secs et frais. Le PCR ne rapproche pas cette augmentation des chiffres de la croissance démographique, qui eux aussi révèlent que la population et ses besoins augmentent. Le Parti rappelle, en revanche, que ces importations qui augmentent ne s'accompagnent pas d'une augmentation des terres cultivées dans l'île. Bien au contraire, ils enregistrent « le recul des surfaces plantées » : « De 1973 a 1974, trois mille deux cent cinquante hectares de terres cultivées ont été ainsi abandonnées ou mis en jachères319». Ces décisions politiques qui favorisent les importations, tout en favorisant la destruction des terres

314Ibid., p.21 315Ibid.

316Ibid., p.22 317Ibid., p.24

318Les données sur les importations sont communiquées a la page 10 du plan de survie, 1975.

319PARTI COMMUNISTE REUNIONNAIS (1975), op.cit., p.9

cultivables dans lesquelles ils n’investissent plus indignent les communistes. D'autant plus que les exportations de sucre et de rhum connaissent elles aussi une perte de valeur qui pénalise définitivement le développement du secteur agricole.

Le discours politique organise donc sa critique autour de l'économie de consommation devenue tributaire des produits extérieurs alors que l'île possède les capacités pour développer une certaine forme d'autonomie alimentaire. Les données chiffrées argumentées par le Parti apparaissent dans un discours qui pointe la responsabilité des décisions politiques. Le gouvernement n'a pas adapté ces décisions dans le respect des spécificités traditionnelles des secteurs agricoles et commerciaux de l'île. Il s'agit donc d'un modèle de développement qui n'est pas adapté aux structures économiques d'une ancienne colonie, dont l'histoire a été construite par la canne a sucre et l’agriculture.

C'est un tout autre modèle qui est défendu par le PCR. L'investissement massif dans le secteur tertiaire est dénoncé comme une erreur stratégique, alors qu'il aurait fallu adapter « la production traditionnelle » a la nouvelle situation de consommation de l'île. Le bilan de faillite fait émerger des arguments anti-libéraux de la part des communistes qui dénoncent l'introduction de « l'économie marchande » et des règles capitalistes. Le bilan de faillite relevé dans ces divers secteurs indique un tournant de l'île, qui s'installe dans un modèle économique qui amenuise les richesses dont elle s'est traditionnellement nourrie.

Ainsi face a ce « bilan de faillite », le PCR propose de rééquilibrer la croissance dans les différents secteurs agricoles, tertiaires et industriels pour rendre la Réunion plus autonome.

Pour cela, il propose de relancer l'économie par la diversification des cultures, la suppression des règles, lois et marchés favorisant les monopoles et leur maintien a la tête de l'économie réunionnaise. L’autodétermination se présente, dans ce contexte, comme une volonté de reprendre en main les affaires agricoles pour développer l'élevage et la diversité des cultures.

L'objectif est d'enrayer le mécanisme de dépendance aux importations et de favoriser l'autonomie des Réunionnais en termes de consommation.

Le PCR pour remédier a cette dépendance avec l'extérieur et pour développer le secteur agricole préconise « d'assurer sur place la subsistance des réunionnais320» en développant la culture du riz et du maïs. Selon le PCR, les essais ont montré qu'il est possible de développer dans l'île la culture des céréales pour couvrir les besoins de la population.

Aussi, ils pensent « produire en quelques années (2 ou 3 ans) des milliers de tonnes de riz a La Réunion ». De même, « la production du maïs ne pose techniquement et agronomiquement aucun problème321».

320Ibid., p.155 321Ibid., p.156

Le PCR préconise également de réorganiser les marchés, de manière a faire reculer les importations et de favoriser les cultures qui existent déja. Dans la seconde partie du plan, le PCR énonce un certain nombre de mesures politiques pour rétablir un prix équitable aux frontières de l'île et ainsi assurer la protection des cultures réunionnaises. La protection douanière permettrait d'éviter toutes concurrences déloyales. Le PCR évoque la réorganisation du circuit de consommation des produits agricoles et la réforme du processus d'élevage dans l'île. Ces mesures sont déclinées dans « Les solutions de survie » dans la seconde partie du plan qui présente ces «solutions urgentes réalisables tout de suite ».

La critique du Parti se construit donc sur cette ligne qui oppose les termes de dépendance et d'autonomie, remettant ainsi en question les liens que l'île peut entretenir avec son ancienne métropole. De plus, le système de répartition des budgets ne favorise pas la prise d'autonomie des Réunionnais dans les décisions politiques. Une mise sous tutelle qui entrave les prises d'autonomie individuelle et collective, ainsi que l'épanouissement personnel de l'individu. Le PCR cible au dela des problèmes de croissance économiques, les problèmes identitaires qui se forment dans cet état de dépendance et d’appartenance aux monopoles. La construction du discours politique et économique du Parti aboutit donc inévitablement a des questions d'ordre identitaire et sociétal.

Ces questions reliées a l’individu, le PCR les souligne en rappelant le fort taux de chômage en 1975. Un chômage qui a fortement augmenté a cause des décisions politiques prises pour les secteurs agricole et industriel depuis la départementalisation. Alors qu'il apparaît dans les chiffres communiqués dans le plan de survie que l'industrie sucrière

« employait 65,6 % de la main d'œuvre industrielle322» en 1967, le PCR évoque « le licenciement de plus d'un million d'ouvriers » suite a la disparition progressive des usines, l'augmentation des coûts de production et le recul des exportations enregistrées dans le secteur. Il en est de même pour le secteur industriel qui ne développe pas suffisamment d'emplois pour les Réunionnais :

« Autrement dit, l'industrie à la Réunion n'a offert en moyenne que 265 emplois de plus par an alors que chaque année arrivent sur le marché du travail plus de 10 000 personnes en moyenne, par le fait de la démographie, et bien d'autres encore par le fait de l'exode rural, de la fermeture des usines , etc...323 ».

Sur cette question de l'emploi, c'est également le manque de réactivité des pouvoirs politiques qui est visé. Les chiffres qui prévoyaient la hausse du chômage étaient disponibles

322Ibid., p.41 323Ibid., p.44

depuis fort longtemps selon le Parti mais cela n'a provoqué aucune réaction de la part du pouvoir qui a consciemment entretenu l'augmentation du chômage et de la précarité dans l'île.

En 1975, il apparaît que le chômage touche davantage les jeunes de moins de 25 ans et les femmes. Un chômage qui s'explique par « une croissance sans développement324» dans l'île, un manque d'anticipation des pouvoirs publiques et une économie volontairement étouffée par son intégration dans un marché commun et libéral. Cette problématique du chômage soulève également la question de la gestion de la croissance démographique. Le PCR rappelle a juste titre qu' « une grande partie des jeunes générations n'étant pas arrivée sur le marché de l'emploi, on peut prévoir une certaine augmentation du chômage dans les années a venir325 ».

Ces difficultés des Réunionnais a construire un avenir professionnel dans l'île va créer un nouveau un lien de dépendance a la France Hexagonale. La mobilité professionnelle est devenue une réponse aux problèmes du chômage. La encore, la politique menée est contestée par le Parti qui déplore que des mesures politiques favorisant la dépendance avec la France soient préconisées avant même de développer des solutions a l’intérieur de l'île. Le PCR demande la dissolution du BUMIDOM, organisme créé en 1963 pour orchestrer la mobilité forcée des Réunionnais.

Le PCR déplore les conditions d’accueil des réunionnais et le manque de transparence des services du BUMIDOM sur la situation réelle des travailleurs réunionnais en France.

Aussi dans leurs propositions, les communistes demandent une information en toute transparence pour tous les candidats au départ, sur le taux de chômage en France, les conditions de travail et de vie des immigrés, ainsi que le véritable statut du réunionnais sur le territoire hexagonal :

« L'émigré réunionnais bénéficie souvent d'une instruction générale supérieure aux travailleurs étrangers en France. Mais il ne dispose d'aucune qualification sérieuse susceptible de le rendre compétitif. Il sera voué aux statuts économiques bas, sans aucune perspective de le rendre compétitif. Il ne fera que grossir un peu plus la masse de trois millions des travailleurs étrangers en France, qui assurent dans la machine économique capitaliste, les tâches les plus contraignantes et les moins bien rémunérées326 ».

Pour le PCR l’émigration n'est pas une solution au chômage et le choix du départ doit être pris en connaissance de cause et en toute conscience de l'individu face a la réalité de l'emploi sur le territoire français. Le PCR préconise d'augmenter le niveau de qualification des Réunionnais et mieux travailler leur orientation vers les filières professionnelles. Le PCR demande la dissolution du BUMIDOM et la création d'« un organisme nouveau » qui serait

324Ibid., p.68 325Ibid.

326Ibid., p.70

composé d'un conseil représentatif dans lequel les émigrés auraient la possibilité de se faire entendre. Les revendications du PCR pour améliorer les conditions de l'émigration portent sur le logement, « une allocation de recherche de premier emploi », ainsi que sur « la possibilité d'une vraie qualification professionnelle 327».

Ces questions d'émigration soulèvent inévitablement des questions identitaires comme celle de la citoyenneté française. Le PCR estime que l'émigration ravive le problème colonial qui persiste dans les DOM avec « ces transferts de population » :

« C'est une partie du peuple réunionnais qui se trouve ainsi à l'extérieur. Aussi, les émigrés, par l'intermédiaire de leurs organisations représentatives, jouent de plus, un rôle charnière de trait d'union culturel, sociologique et politique entre la Réunion et la France 328».

L'émigration ne pose pas seulement le problème de l'intégration en France Hexagonale. Le PCR alerte l'opinion sur le fait que ces émigrations conduiront l'île a son

« dépérissement » car son développement économique est privé d'une main d'œuvre jeune et productive. L'émigration apparaît donc comme un facteur qui favorise le déséquilibre entre les tranches d'âges de population représentées sur le territoire.

« La politique de l'émigration est parallèle à la dégradation de notre économie ; à la ruine des cultures traditionnelles, au rétrécissement du marché de l'emploi, à l'effacement des principaux stimulants économiques329 ».

L'état des lieux de la situation économique en 1975 révèle une forte dépendance a la France hexagonale et une intégration au marché commun dont les règles de concurrence ont fortement affaibli l'île. Le PCR préconise une réorganisation des marchés et une nouvelle répartition des enveloppes budgétaires, avec le mot d'ordre d'autonomie qu'elle soit économique ou alimentaire au centre des mesures.

327Ibid., p.212 328Ibid., p.73 329Ibid., p.72

2.4.5 La revendication d'autonomie : le discours identitaire au

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