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1.5 Annonce du plan et problématiques

1.5.1 Chapitre politique

Il convient de préciser que cette thèse n'est pas une thèse en Histoire. L'analyse des revendications du PCR n'est pas exhaustive et n’entend pas retracer l'histoire du PCR dans sa totalité. En revanche, il s'agit de prendre ses revendications et leur inscription dans l'histoire politique de la Réunion comme une base de travail dans le cadre de cette recherche sur l'identité réunionnaise. Nous avons constaté pendant nos lectures sur l'histoire et la littérature réunionnaise que l'apport du Parti Communiste Réunionnais dans les débats politiques et culturels dès les années 1960 était considérable. Partant de ce principe, notre analyse a donc été précédée par une méthode de sélection des discours du PCR, où nous avons favorisé certains éléments du contenu des discours par rapport aux thématiques de l'identité territoriale, politique et populaire (entendons les éléments de représentation de la population et de l'identité de cette dernière). L'histoire du PCR n'est donc pas abordée dans sa globalité dans cette thèse. De même que les rapports internes (fonctionnement et rapports avec les militants) et externes (relations avec le parti national ou convergences extérieures) que le PCR a pu entretenir, n'apparaissent que partiellement et pour servir l'étude sur l'identité. D'où le

110BARBERIS Pierre, op.cit., p.24

rapprochement que nous faisons dans cette thèse entre l'histoire de la prise d'indépendance de l'Algérie et la construction d'une identité nationale sur le territoire français et dans les Outre-mer, autrement dit, entre la conception différenciée du devenir des anciennes colonies dans la politique française. Il se trouve, que dans le contexte réunionnais, la conception des spécificités culturelles et des particularités locales, deviennent la racine des revendications d'émancipation. Au principe d'égalité républicaine, les colonies ont opposé la prise en compte des particularités comme la base de leur identité. Le PCR a favorisé l’émergence d'une prise de conscience locale, vis a vis des particularités territoriales, mais aussi des injustices postcoloniales et des responsables qui ont crée ces inégalités. Le PCR a également favorisé la prise de conscience d'une identité culturelle alors même que les discours du gouvernement s'orientaient vers une assimilation complète des Outre-mer. Les communistes remettent en question la politique d'intégration française et construisent dans l'île des idées d'émancipation, portées a la fois par des convictions politiques pour le territoire et un discours sur la réhabilitation du Réunionnais, en tant qu'Homme, être anciennement colonisé, qui doit faire face a l'histoire. La reconquête du territoire, de la culture se mêle a un discours psychanalytique de la reconquête de soi. Lorsque a l'assemblée nationale, les élus de la majorité défendaient la mise a égalité des territoires d'outre-mer avec la France hexagonale prioritairement avec l'aménagement du territoire, les élus communistes préconisaient le retour a l'individu et le regard politique sur le quotidien de ce dernier et la manière dont sa vie a changé ou non avec la départementalisation. Le discours du PCR était donc focalisé sur les différences de traitement entre le petit planteur, le petit pêcheur, plus largement entre le petit travailleur réunionnais et les catégories plus aisées de la population. Le primat a été donné aux injustices quotidiennes avant la considération de l'amélioration du territoire comme des progrès pour les Réunionnais.

Le PCR se positionne a l'époque dans sa lecture historiographique dans la continuité d'une logique coloniale toujours fortement présente au XXème siècle. Il ne s'agit pas dans le discours politique d'énumérer des faits historiques, il s'agit de décrire des événements a la lumière de l'interprétation politique de l’histoire. Cette interprétation est partisane, revendicatrice. Le discours politique écrit une histoire dans laquelle le parti pris devient lui-même un discours sur l'histoire. Le registre du discours politique est militant mais son ancrage dans les faits sociaux et les événements de l'histoire donnent au texte politique un pouvoir particulier : celui de s'opposer a un travail historiographique dans l'île, dont il nous conviendra de déterminer s'il est dominant ou non.

1959 est la date a laquelle le PCR s'inscrit discursivement dans la lutte pour l'émancipation politique, avec une volonté d'infléchir les idéologies, notamment dominantes et selon lui, néo-coloniales. A partir de 1959, le PCR s'organise en contre-pouvoir et va devenir

le groupe politique et organisateur politique principal dans la contestation du pouvoir en place. Il s'agit de réagir a l'assimilation a la nation française car depuis 1946, le modèle d'intégration a favorisé les inégalités. Le discours du PCR consiste alors a défendre et faire émerger des particularités locales. Le parti tient un discours sur le malaise social, politique et économique, vis a vis de cette assimilation.

Nous avons cru bon, dans le premier chapitre, de revenir a cette histoire politique des années 1959, avec un bref rappel de l'organisation des enjeux avant 1945. Le chapitre sur le Parti Communiste Réunionnais présente les revendications du Parti dans trois de ses programmes. Nous avons volontairement ciblé trois décennies pour analyser l'évolution des revendications et la continuité de l'écriture de l'histoire territoriale que le discours politique propose. Les thèses constitutives du 1er juin 1959 marquent un rapport de force nouveau entre le PCR et les dirigeants politiques hexagonaux et locaux, partisans du statu quo départemental. Les thèses constitutives du PCR en 1959 font entrer la revendication d'autonomie dans le débat politique et certainement infléchir le cours des événements et l'écriture de l'histoire politique. Les textes programmes du PCR sont politiques, identitaires et culturels. Au milieu d'une crise qui s'aggrave, le Parti Communiste propose : un plan immédiat de survie, conférence extraordinaire du Parti Communiste Réunionnais paru au Port le 27 avril 1975 et La Réunion aux réunionnais, L'autonomie, comment y parvenir ? dont le contenu a été publié comme Programme du Parti Communiste Réunionnais au Port le 29 mars 1981, sont autant de discours sur la politique en tant que système de gouvernance, de discours sur la politique en tant que système philosophique et idéologique que de discours sur l'histoire politique. Le PCR est selon nous, a cette époque, acteur et témoin de l'histoire politique. Les membres du PCR réagissent aux événements, revendiquent mais créent cette histoire politique qui a intégré les grands événements politiques de l'île de la Réunion dès les années 1960.

Michel Debré, figure d'opposition aux communistes et ardent défenseur de la conception nationale organise ses arguments de défense aux polémiques qu'il a suscitées avec ses plans et mesures aussi controversés les uns que les autres, dans son ouvrageUne politique pour la Réunion. Les tensions entre les communistes et Debré permettent de retracer une partie importante de l'histoire politique de l'île des années 1960 aux années 1980. La politique de Michel Debré va engendrer de nombreuses transformations sociétales. Les reconfigurations, les conséquences, les destructions et constructions idéologiques, sociétales, humaines et politiques sont riches dans les années 1960. Impulsées par un homme et sa vision de la poussée démographique, les « années Debré » sont relevées dans la majorité des ouvrages historiques comme une période clé pour la lecture de la construction identitaire et politique a la Réunion. Nous verrons comment Michel Debré défend ses arguments pour sa

vision du développement de la petite France de l'Outre-mer que constituait pour lui l'île de la Réunion qu'il a tant aimée. Ses arguments s'opposent a ceux du PCR. Les différences de conception du territoire amènent des divergences de méthodes dans la gestion des affaires de l'île et également dans la lecture des malaises sociaux. Les confrontations politiques donnent lieu a de nombreux débordements (violences, fraudes électorales...) qui scindent la vie politique entre départementalistes/autonomistes, représentants de l'État/militants pour la libération nationale, colonialistes/anticolonialistes. Ces schémas binaires distinguent deux conceptions de l’identité réunionnaise que nous allons analyser et confronter. Michel Debré éprouve l'identité réunionnaise avec l'adversité qu'il suscite, avec sa conception de l'exil, et son ordonnance de 1960 contre la liberté d'opinion et pour une surveillance des fonctionnaires.

Comme le discours du PCR, le Cercle Eliard Laude construit une conception de l'identité territoriale dans un projet d'autonomie. Les Réunionnais ne peuvent s'émanciper et se construire sans cadre juridique et politique autonome. L'ensemble des propositions du Cercle Eliard Laude apparait dans un ouvrage intituléRéunion 1969, Une Colonie française, paru en 1969 aux éditions François Maspero. Les auteurs font le constat d'une île encore gérée comme une colonie et préconisent l'émancipation du peuple par l'autonomie politique. Le discours du cercle Eliard Laude résiste alors a l’assimilation culturelle, a l'effacement des spécificités locales, a la disparition d'un modèle territorial. Les spécificités géographiques, agricoles, culturelles de l'île sont mises en avant, dans un processus de définition d'une identité réunionnaise dont les éléments sont bafoués par la volonté d'uniformisation et d'homogénéité des défenseurs de la départementalisation. Le Cercle Eliard Laude entend dénoncer les violences, les corruptions et faire entendre les victimes du système colonial. Les auteurs dénoncent un impérialisme d'État et proposent de développer un modèle identitaire sur l'autonomie arrachée, affirmée, revendiquée comme une force.

Parmi les discours de résistance, nous avons répertorié ceux des femmes. Les femmes réunionnaises se réunissent au sein de l'Union des Femmes Réunionnaises dès 1958 pour revendiquer plus de droits pour les mères de familles et l'égalité de traitement avec les femmes de la France hexagonale.Les Statuts constitutifs de l’association révèlent la première prise de position en faveur de l'autonomie de l'île, liant ainsi l'histoire des femmes a celle du PCR. Nous analyserons quel a été le rôle des femmes dans la construction des identités politiques et également dans la construction des revendications féministes dans l'île. Nous avons privilégié l'analyse de manifestes comme le Manifeste pour la défense de l'emploi des Réunionnaisprésenté par les femmes le 11 aout 1999 ou encore leManifeste pour le droit à l’autodétermination et contre toute solution néocolonialiste dont les femmes ont été

signataires le 6 mai 1968. Ce travail d'approfondissement du champ politique dans ses revendications féminines et féministes nous permettra de mettre en avant l’histoire des femmes dont les pans ont été occultés, au profit d'une histoire masculinisée. Les discours féministes et l'histoire des revendications des femmes sont dans ce travail des outils de réécriture de l'histoire régionale.

En 1982, l'inscription des socialistes dans le paysage politique modifie les conceptions dualistes qui dès lors opposaient les autonomistes aux départementalistes. Le compromis de la décentralisation entraîne l'île dans une nouvelle forme de développement et de conception politique du territoire. Fort d'idées pour la promotion de l'homme réunionnais, le parti socialiste défend un retour aux valeurs de la culture réunionnaise pour que l'homme réunionnais se retrouve avec lui-même et son territoire. La quête identitaire est alors au centre du projet de décentralisation qui permet a la Réunion, de rester française et d'acquérir une autonomie de gestion sans pour autant contester la tutelle française.

L'allocution d'Eric Boyer ferme le chapitre politique avec l'analyse d'un discours politique marqué a droite et qui inclut pourtant une dimension identitaire du politique. A partir des années 1990, les frontières dressées par les logiques binaires et les schémas manichéens semblent s'estomper. Cette allocution marque l'entrée nouvelle dans une logique politique où il n'est plus question de résister aux spécificités pour permettre l'assimilation. L'identité réunionnaise est appelée a vivre dans un modèle d'assimilation national qui n'exclurait plus les spécificités et les différences culturelles. Ce qui ne veut pas dire que les éléments culturels ne soient plus hiérarchisés aujourd'hui.

Nous considérons le champ politique comme une source d'informations pour le décryptage des complexités et enjeux identitaires des années 1960 a aujourd'hui. Les naissances, modifications, réajustements ou disparitions des revendications politiques révèlent, de décennies en décennies, l'histoire des évolutions de l’identité et des paramètres qui lui ont donné vie. Avec l'approche et l'analyse détaillée de l'histoire politique du PCR, notamment par le biais des actions et des influences sur la notion d'identité, nous verrons les parallèles qui s'établissent inlassablement entre le champ politique et le champ culturel a la Réunion. L'histoire des revendications politiques sur l'identité territoriale révèle une étroite corrélation, voire une interdépendance entre les champs politique et identitaire. L'identité réunionnaise s'affirme donc au carrefour des énonciations culturelles et politiques. L'ensemble du premier chapitre servira l’interprétation de cette corrélation, d'un mode de fonctionnement territorial et politique, ainsi que les procédés d'identification générés.

Les discours politiques du corpus traduisent ainsi la complexité de construire un État de droit dans une ancienne colonie, où il n'est pas aisé de donner des droits égaux a tous dans une société construite depuis des siècles sur les clivages, les inégalités et les violences.

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