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2.5 Variations sur le th`eme de la m´etath´eorie

2.5.2 Le programme large

Cette reconstruction doit ´eveiller une question : pourquoi au juste la m´etath´eorie devait-elle, dans le programme de d´efinition de Tarski, contenir « des axiomes ayant mˆeme signification » ou « plus forts », que ceux de la science ´etudi´ee ? Que l’on en- tende « langage » en un sens large incluant la donn´ee d’une grammaire et d’axiomes et de r`egles, ou au sens ´etroit, cela ne change rien `a l’affaire : d´efinir la v´erit´e pour un langage ce n’est jamais en fait que d´efinir la v´erit´e pour un langage∗, ´eventuellement le langage∗ d’un langage au sens large, et la possibilit´e de construire

une d´efinition ad´equate de la v´erit´e pour un langage L dans une « m´etath´eorie » ne d´epend nullement de la pr´esence dans la « m´etath´eorie » d’axiomes plus forts, ou ayant mˆeme signification que les axiomes de la « science ´etudi´ee ». Nous venons de le voir, et il est facile de s’en convaincre en reprenant pas `a pas la construc- tion de Tarski104, ce que j’ai appel´e les « axiomes th´eoriques de la m´etath´eorie ne

jouent aucun rˆole dans la d´efinition de la v´erit´e de Tarski, pas plus que pour la d´erivation des ´equivalences-T `a partir de cette d´efinition. Pourquoi, alors, Tarski impose-t-il ces axiomes th´eoriques ? C’est qu’il doit poursuivre une autre fin que la seule construction d’une d´efinition ad´equate. En fait, il souhaite ´egalement illustrer la f´econdit´e th´eorique d’une d´efinition de la v´erit´e en se donnant un cadre naturel d’application, parmi d’autres possibles.

Quelle est la diff´erence entre le type de m´eta-th´eorie que nous avons consid´er´e pour construire une d´efinition ad´equate de la v´erit´e-pour-un-langage∗, et la m´eta-

th´eorie que se donne Tarski pour d´efinir la v´erit´e-dans-un-langage ? Pour simplifier la discussion, consid´erons `a nouveau le cas particulier d’une th´eorie arithm´etique,

103Voir section suivante. 104Ici, section 3.2

disons l’arithm´etique de Robinson, Q. Le langage∗ pour lequel nous consid´erons la

d´efinition de la v´erit´e est le langage∗ de Q, tandis que le langage pour lequel Tarski consid`ere le projet de d´efinition est, en somme, Q elle-mˆeme. Les deux types de m´etath´eories diff`erent sur deux points. D’une part, dans la m´eta-th´eorie tarskienne, la syntaxe du langage-objet contient, en plus de la th´eorie du langage∗-objet, un certain nombre de d´efinitions caract´erisant Q en tant que th´eorie. D’autre part, la m´eta-th´eorie tarskienne est suppos´ee contenir les axiomes de Q elle-mˆeme, ou des axiomes ayant mˆeme signification que ceux de Q, tandis que dans la m´eta- th´eorie du premier genre, aucune hypoth`ese particuli`ere n’est faite sur les axiomes ´eventuels relatifs aux expressions du langage-objet. Puisque les th´eories syntaxiques ne diff`erent qu’`a des d´efinitions pr`es, on peut consid´erer la m´eta-th´eorie tarskienne comme un simple cas particulier du premier genre de m´etath´eorie, sur laquelle on impose cette contrainte que les axiomes qui sont d´ecrits dans la « la syntaxe » (dans la m´etath´eorie), soient ´egalement assert´es dans la m´etath´eorie.

A quoi ces axiomes et ces d´efinitions servent-ils donc ? En un sens la r´eponse est simple et l’on peut noter deux choses :

1. La pr´esence de ces axiomes dans la m´etath´eorie permet de d´ecider de la v´erit´e ou de la fausset´e de certains ´enonc´es du langage-objet dans la m´etath´eorie, et 2. le fait de requ´erir que ces axiomes soient (consistants avec et) au moins aussi fort que ceux de la th´eorie-objet permet de prouver dans la m´etath´eorie l’af- firmation que tous les th´eor`emes de la th´eorie-objet sont vrais (et par voie de cons´equence que la th´eorie-objet est coh´erente).

Voyons comment les choses fonctionnent en d´etail sur quelques exemples tr`es simples. Supposons que notre th´eorie-objet, celle qui est d´ecrite dans la syntaxe, soit P A, et que les axiomes de P A figurent aussi au titre d’axiomes de notre m´etath´eorie. Nous avons vu qu’`a partir de la d´efinition de la v´erit´e et avec simplement un peu de logique et de syntaxe, il ´etait possible de prouver :

V r(p0 = S0 ∨ S0 = SS0q) ↔ (0 = S0 ∨ S0 = SS0)

Or dans notre m´etath´eorie on peut ´egalement prouver :

¬(0 = S0 ∨ S0 = SS0)

parce que notre m´etath´eorie contient P A et que cet ´enonc´e, on peut s’en convaincre facilement, est un th´eor`eme de P A. Il suit imm´ediatement que dans notre m´etath´eorie

2.5. Variations sur le th`eme de la m´etath´eorie

il est possible de prouver que cet ´enonc´e, celui mentionn´e `a gauche de l’´equivalence-T pr´ec´edente, n’est pas vrai, c’est-`a-dire :

¬V r(p0 = S0 ∨ S0 = SS0q)

Si, changeant d’hypoth`ese, nous supposons `a pr´esent que la partie arithm´etique de notre m´etath´eorie n’est compos´ee que de la th´eorie triviale A0 pr´esent´ee plus

haut, alors l’´enonc´e p¬(0 = S0∨S0 = SS0)q du langage-objet, bien qu’un th´eor`eme de la th´eorie-objet, n’est pas d´eclar´e vrai par la m´etath´eorie, pas plus d’ailleurs que sa n´egation. Poussons nos hypoth`eses encore un peu plus loin et nous verrons que si l’arithm´etique de la m´etath´eorie contredisait l’arithm´etique de la th´eorie-objet, alors on pourrait prouver dans la m´etath´eorie que la th´eorie-objet est fausse, c’est-`a-dire que tous ses th´eor`emes ne sont pas vrais, et cela, bien entendu, que la th´eorie-objet soit en fait vraie (et que l’arithm´etique de la m´etath´eorie soit donc fausse) ou qu’elle soit fausse.

Nous avons indiqu´e ce que permettaient de prouver les axiomes de la m´etath´eorie qui « correspondent » `a une th´eorie-objet donn´ee. Endosser ces axiomes dans la m´etath´eorie, comme Tarski nous enjoint de le faire dans son exposition, est sans utilit´e pour le projet ´etroit de la d´efinition ad´equate de la v´erit´e pour un langage, pas plus que n’est utile, du reste, leur description (d´efinition) dans la syntaxe. La m´etath´eorie ainsi ´etendue, n´eanmoins, permet `a Tarski de montrer l’utilit´e des concepts s´emantiques pour les recherches fondationnelles.

Nous sommes au d´ebut des ann´ees trente, Hilbert avait demand´e des preuves « r´eelles » de coh´erence pour toutes les math´ematiques « id´eales », et G¨odel venait de montrer qu’une telle demande ne pouvait pas ˆetre satisfaite, l’arithm´etique primitive r´ecursive ne pouvant pas prouver sa propre coh´erence. Or la construction d’une m´etath´eorie `a la Tarski fournit une m´ethode et un cadre pour prouver la coh´erence de la th´eorie-objet. Pour prouver dans la m´etath´eorie toutes les “g´en´eralisations th´eoriques” (les affirmations 3, 4, 5 d´ecrites au d´ebut de la section 3.3), il faut que les axiomes th´eoriques correspondants soient assert´es dans la m´etath´eorie. Bien entendu, la port´ee ´epist´emologique de la preuve de coh´erence ainsi obtenue est limit´ee.105 Comme le notait Tarski (1944) :

Ainsi la th´eorie de la v´erit´e fournit une m´ethode g´en´erale pour les preuves de coh´erence pour les disciplines math´ematiques formalis´ees.

105Et il ne s’agit de toute fa¸con en aucun cas de ressusciter un programme fondationnel du type

Il est facile de voir, n´eanmoins, qu’une preuve de coh´erence obtenue de cette fa¸con ne peut avoir de valeur intuitive - i.e. nous convaincre, ou ren- forcer notre croyance, que la discipline consid´er´ee est en fait coh´erente - que dans le cas o`u nous r´eussissons `a d´efinir la v´erit´e en termes d’un m´etalangage qui ne contient pas le langage-objet comme partie [...]. Car dans ce cas seulement les hypoth`eses d´eductives du m´eta-langage peuvent ˆetre intuitivement plus simples et plus ´evidentes que celles du langage-objet - mˆeme si la condition de « richesse essentielle » est for- mellement satisfaite.(Tarski (1944), p.354 n.18)

Mais si la m´etath´eorie tarskienne fournit un cadre naturel pour prouver la coh´erence d’une th´eorie-objet donn´ee, elle permet surtout `a Tarski de mener `a bien une clarification philosophique majeure, celle de la distinction entre les notions de prouvabilit´e formelle et de v´erit´e d’un ´enonc´e. En effet, Tarski est capable de mon- trer dans la m´etath´eorie que l’ensemble des ´enonc´es vrais du langage-objet est un ensemble complet d’´enonc´es106et, d’autre part, en faisant usage des axiomes et des

r`egles correspondant `a ceux de la th´eorie-objet, que tous les axiomes de la th´eorie- objet sont vrais et que ses r`egles pr´eservent la v´erit´e. Or, `a l’aide des r´esultats de G¨odel, il est ´egalement possible de montrer que si la th´eorie-objet est suffisamment riche, il existe des ´enonc´es de son langage qu’elle ne peut prouver ni r´efuter. Il suit qu’il existe des ´enonc´es vrais non prouvables.107 Cette clarification constituait en elle-mˆeme un authentique progr`es philosophique `a un moment o`u l’on pouvait douter que la notion de v´erit´e puisse ˆetre distingu´ee de la notion de prouvabilit´e, particuli`erement en math´ematiques.

Appendice Je r´esume dans le tableau suivant les points techniques principaux ´evoqu´es dans cette section. Soit A une th´eorie d’un langage LA.

Nous noterons

1. M T (A) la m´eta-th´eorie tarskienne comportant :

106Au sens o`u pour tout ´enonc´e φ de ce langage, φ ou sa n´egation est vrai.

107On pourra remarquer que pour ´etablir ce r´esultat, Tarski aurait pu l`a encore se passer d’adopter

dans la m´etath´eorie les axiomes correspondant `a la th´eorie-objet. La m´etath´eorie r´eduite suffit `a prouver que l’ensemble des ´enonc´es vrais est complet, comme nous l’avons vu, or l’ensemble des ´enonc´es formellement d´emontrable dans une th´eorie T n’est pas complet (si la th´eorie est coh´erente et r´ecursivement ´enum´erable, du moins), donc il y a des ´enonc´es vrais non prouvables dans T . Le passage de Tarski par la preuve, dans la m´etath´eorie, que tous les th´eor`emes de la th´eorie-objet sont vrais, est un d´etour non n´ecessaire ici (alors qu’il est n´ecessaire pour prouver la coh´erence de la th´eorie-objet).

2.5. Variations sur le th`eme de la m´etath´eorie

a) des axiomes logiques essentiellement plus riches que ceux de A, b) la syntaxe de A et

c) les axiomes de A elle-mˆeme (ou une traduction, ou des axiomes plus forts que ceux de A).

2. M T , la th´eorie pr´ec´edente priv´ee des axiomes de A, et comportant donc uni- quement :

a) Les axiomes logiques essentiellement plus riches que ceux de A et b) la syntaxe de A.

3. M T (¬A) une th´eorie comportant :

a) des axiomes logiques essentiellement plus riches que ceux de A b) la syntaxe de A et

c) des axiomes qui contredisent ceux de la th´eorie A.108

La situation est alors la suivante :

M T M T (A) M T (¬A)

D´efinissabilit´e de la v´erit´e-dans-LA oui oui oui

G´en´eralisations Logiques :

Prouve la loi de la bivalence oui oui oui

Prouve la loi de non-contradiction oui oui oui

G´en´eralisations th´eoriques :

Prouve « Tous les th´eor`emes de A sont vrais » non oui non

Prouve « A est coh´erente » non oui non

Prouve « Un th´eor`eme de A n’est pas vrai » non non oui

Prouve « A n’est pas coh´erente » non non non

Tab. 2.1: Variations sur le th`eme de la m´etath´eorie : tableau r´ecapitulatif

Je compl`ete maintenant le tableau pr´ec´edent par une comparaison avec les th´eories axiomatiques de la v´erit´e vues dans la section 3.4 . Dans les th´eories que nous consid´erons maintenant le pr´edicat de v´erit´e est donc donn´e comme primitif, gouvern´e par un certain nombre d’axiomes, et l’appareil logique disponible n’ est pas essentiellement plus riche que celui de la th´eorie-objet consid´er´ee. `A nouveau A sera une th´eorie d’un langage LA.

Je note

108Pour fixer les id´ees, on peut prendre pour A la th´eorie P A, et supposer que M T (¬A) est

1. T (A) l’extension al´ethique tarskienne de A compos´ee 109 :

a) des axiomes de A b) de la syntaxe de A

c) des axiomes r´ecursifs de la v´erit´e.

2. T−(A) la th´eorie T (A) avec cette restriction qu’il n’est pas permis aux sch´emas de A et de la syntaxe de A d’ˆetre instanci´es par des formules du langage ´etendu de T (A) (contenant le pr´edicat de v´erit´e).

3. M (A), l’extension al´ethique minimale de A, compos´ee a) des axiomes de A,

b) de la syntaxe de A, et

c) des ´equivalences-T (correspondant au langage LA).

On a alors :

T (A) T−(A) M (A)

D´efinissabilit´e de la v´erit´e-dans-LA Non Non Non

Ad´equation du pr´edicat de v´erit´e Oui Oui Oui

G´en´eralisations Logiques :

Prouve la loi de la bivalence oui oui non

Prouve la loi de non-contradiction oui oui non

G´en´eralisations th´eoriques :

Prouve « Tous les th´eor`emes de A sont vrais » oui non non

Prouve « A est coh´erente » oui non non

Instances :

Prouve toutes les instances des g´en´eralisations logiques oui oui oui Prouve toutes les instances des g´en´eralisations th´eoriques oui oui non Tab. 2.2: Variations sur le th`eme des extensions al´ethiques : tableau r´ecapitulatif