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Non-conservativit´e et v´erit´e

2.6 Conclusion : Tarski ´etait-il d´eflationniste ?

3.2.2 Non-conservativit´e et v´erit´e

Une fa¸con d’´enoncer le point que je m’apprˆete `a faire est de dire que l’affirma- tion de coh´erence d´eriv´ee dans la m´etath´eorie contenant les principes al´ethiques49 ne peut pas ˆetre traduite dans le langage de la th´eorie de base, `a moins que nous n’en sachions plus sur le domaine attendu de notre th´eorie de base que ce que nous en avions dit pour commencer (dans la th´eorie de base). Pour le dire autrement : pour constater un ph´enom`ene de non-conservativit´e significatif , nous devons ad-

48Remarquons que, contre cette id´ee, on peut tout simplement vouloir nier qu’il soit possible

d’´etablir une distinction entre ce que nous avons appel´e les « outils expressifs » et les « outils explicatifs » du langage, et soutenir, dans une veine quinienne, que tous nos concepts ont indisso- ciablement une fonction explicative et expressive. Pour Quine en effet, le holisme de la confirmation induit un holisme s´emantique, et une manifestation de ce holisme est l’impossibilit´e de distinguer une classe privil´egi´ee d’expressions sur la base de leur absence de contribution sp´ecifique `a la signi- fication empirique. Mais ce mouvement th´eorique n’est pas, je crois, dans l’esprit de l’argument de la conservativit´e, et une critique du d´eflationnisme sur cette ligne argumentative aurait requis un tout autre angle d’attaque. Enfin j’ajouterai que, quand bien mˆeme il n’y aurait qu’un continuum de notions entre les concepts dont la fonction est plutˆot expressive (« tout « , « et », « = » ) et ceux dont la fonction est plus directement explicative (« ˆetre un ´electron », « ˆetre un cardinal su- percompact »), un d´eflationniste pourrait bien se satisfaire de l’id´ee que, dans ce spectre, la v´erit´e trouve sa place du cˆot´e des connecteurs logiques et des quantificateurs.

49Ce que nous appelons de fa¸con impr´ecise la m´etath´eorie peut varier selon le cadre de travail

dans lequel nous nous pla¸cons. Le point important est qu’il s’agit de la th´eorie qui contient les lois gouvernant le concept de v´erit´e.

3.2. La th`ese de la conservativit´e

mettre que nous avons laiss´e implicite dans notre formulation de la th´eorie de base A un principe de preuve que nous savons correct, et que nous avons expli- cit´e ce principe dans le cours de notre d´erivation subs´equente de la coh´erence de A. Cette distinction entre ce qui est implicite et ce qui est explicite dans la formula- tion d’une th´eorie a une contrepartie pr´ecise. La cl´e est ici de distinguer entre les sch´emas d’axiomes compris comme listes et les sch´emas d’axiomes compris comme r`egles. Les sch´emas compris comme listes dans la formulation d’une th´eorie ne sont qu’un artifice m´etalinguistique pour formuler finiment un ensemble infini, mais bien d´efini, d’axiomes, `a savoir les instances du sch´ema obtenues en rempla¸cant les lettres sch´ematiques qui y figurent par des formules d’un vocabulaire appropri´e, en g´en´eral entendu comme le vocabulaire ambiant de la th´eorie. Les sch´emas compris comme r`egles sont des sch´emas ouverts (open-ended schemas).50 Ils doivent ˆetre compris comme engendrant sans fin de nouveaux axiomes `a mesure que le langage environ- nant s’enrichit de nouveaux moyens d’expression, y compris des moyens d’expression dont nous n’avions pas id´ee lorsque nous avons formul´e la th´eorie pour la premi`ere fois. Le point important est que lorsqu’une th´eorie est formul´ee avec des sch´emas ouverts, il existe un foss´e entre leur port´ee ´epist´emologique r´eelle et leur pouvoir lo- gique (formel), entre ce `a quoi ils nous engagent et l’ensemble de leurs cons´equences logiques dans un environnement th´eorique donn´e.

Consid´erons le cas de P A, l’arithm´etique de Peano en premier ordre dont les axiomes ont ´et´e pr´esent´e au chapitre 2. Il y a en somme deux th´eories de l’arithm´etique de Peano en premier ordre : celle que, faute de mieux, on pourrait appeler la th´eorie formelle standard, dont la liste des axiomes est exactement sp´ecifi´ee, et puis il y a la th´eorie sch´ematique dans la formulation de laquelle le sch´ema d’induction est com- pris comme ´etant un sch´ema ouvert. Notre remarque, grossi`erement formul´ee, est que lorsque nous d´erivons la coh´erence de P A dans notre m´etath´eorie contenant les principes al´ethiques, nous devons ´etendre le sch´ema d’induction de l’arithm´etique de Peano au nouveau vocabulaire contenant le pr´edicat de v´erit´e, ou faire quelque chose d’´equivalent. Pour distinguer les deux formulations de l’arithm´etique de Peano en premier ordre, je noterai P A l’axiomatisation ordinaire et P A(S) l’axiomatisa- tion sch´ematique, celle o`u le sch´ema est compris comme ´etant ouvert.51 Avec ces

50Je ne sais pas quel auteur a le premier fait cette distinction en ces termes. Elle est en tout cas

devenue classique dans la litt´erature. Voir par exemple Burgess et Rosen (1997) pour une discus- sion dans un contexte philosophique, Feferman (1991) pour une discussion en termes logiques.

51Voir Feferman (1991) pour un syst`eme de logique sch´ematique. Dans le syst`eme de Feferman

notations, nous avons donc d’un cˆot´e le fait sur lequel s’appuie l’argument de la conservativit´e contre le d´eflationnisme :

Fait 1. L’extension al´ethique tarskienne de P A(S) est une extension non-conservative de P A(S).

mais d’un autre cˆot´e nous avons le fait logique suivant :

Fait 2. L’extension al´ethique tarskienne de P A ´etend conservativement P A.52 Rappelons-nous de ce que nous avons vu au chapitre pr´ec´edent. J’avais fait remarquer que l’extension tarskienne T (A) d’une th´eorie A permettait de prouver la coh´erence de A. L’´enonc´e de la coh´erence de la th´eorie A ´etait un ´enonc´e syntaxique que Tarski d´erivait dans la m´etath´eorie. Mais que se passe-t-il si A elle-mˆeme est une th´eorie syntaxique ? Alors l’´enonc´e de la coh´erence de A est un ´enonc´e du langage de la th´eorie de base. Mais cet ´enonc´e n’est pas prouvable dans A, d’o`u maintenant la non-conservativit´e. Mais, il y a un « mais ». La d´erivation de l’´enonc´e de la coh´erence dans la m´etath´eorie utilise une instance du sch´ema d’induction de la th´eorie syntaxique dans lequel figure le pr´edicat de v´erit´e. C’est ce qui est visible dans la d´erivation informelle de la coh´erence de A donn´ee en d´ebut de chapitre, dont un passage crucial est :

1. ...

2. Tous les axiomes de A sont vrais ;

3. Toutes les r`egles d’inf´erences pr´eservent la v´erit´e ; 4. Donc tous les th´eor`emes de A sont vrais

( `A partir de 2 et 3, par une instance du sch´ema d’induction sur les th´eor`emes deviennent des formules bien form´ees de la th´eorie objet elle-mˆeme, les r`egles logiques ordinaires ´etant augment´ees de r`egles sp´ecifiques de substitution. Ce que Feferman essaie de faire est donc pr´ecis´ement de formaliser la notion de sch´ema ouvert.

52Voir par exemple Halbach (1999a), Th. 3.1, p.359, pour une preuve « syntaxique ». Les

preuves mod`ele-th´eoriques sont connues depuis longtemps. Voir par exemple Kotlarski (1991), Kaye(1991). D’un point de vue technique, il est `a noter que, malgr´e le r´esultat de conservativit´e, il n’est pas vrai que tout mod`ele de P A peut ˆetre ´etendu `a un mod`ele de ce que nous avons appel´e l’extension al´ethique tarskienne de P A (i.e. P A+ les axiomes tarskiens). McGee (2006) en conclut que, malgr´e la conservativit´e « syntaxique », les axiomes tarskiens ne peuvent ˆetre v´eritablement con¸cus comme une simple d´efinition implicite de la v´erit´e, et propose une modification. Nous laissons ces subtilit´es de cˆot´e ici.

3.2. La th`ese de la conservativit´e

de A mettant en jeu une propri´et´e53, V r, qui n’´etait pas d´efinissable dans

LA).54

5. ...

L’instance cruciale du sch´ema d’induction n’est pas une instance du sch´ema d’in- duction de la th´eorie de base. Par cons´equent, pour d´eriver l’´enonc´e de la coh´erence dans la m´etath´eorie, il faut non seulement ajouter `a A les axiomes r´ecursifs de la v´erit´e proprement dits, mais aussi ´etendre le sch´ema d’induction de A (ce qui pour Tarski, nous l’avons dit, ´etait un geste naturel qui ne m´eritait pas qu’on s’y arrˆete). Le Fait 2 vient pr´eciser que, sans l’´elargissement du sch´ema, la seule extension de A par les axiomes r´ecursifs de la v´erit´e est en fait conservative sur A.

Pour prouver la coh´erence de A, nous devons donc en passer par l’explicitation d’un savoir (que certains principes de preuves dans A sont corrects), qui n’´etait au mieux qu’implicite dans notre formulation de A. Mais alors la valeur de l’argument de la conservativit´e contre le d´eflationisme s’en trouve consid´erablement diminu´ee : si, prˆetant attention au fait qu’il est n´ecessaire, pour observer un ph´enom`ene de non- conservativit´e, de d´eployer plus avant des connaissances que nous avons concernant les lois qui gouvernent le domaine de A et que nous avions laiss´ees implicites dans notre premi`ere formulation de la th´eorie, alors il devient tr`es naturel d’interpr´eter le ph´enom`ene de non-conservativit´e comme un signe certain du pouvoir expressif de la v´erit´e. La v´erit´e nous a permis d’exprimer, ou de formuler une th´eorie plus forte des faits arithm´etiques que celle que nous ´etions en mesure de formuler auparavant, et si les lois tarskiennes ont permis de d´efinir axiomatiquement ce pr´edicat de v´erit´e, elle n’ont pas jou´e dans le processus le rˆole de principes d’explication.55 Si nous nous souvenons du fait que, du point de vue d´eflationniste, le pouvoir expressif de la v´erit´e est sa v´eritable raison d’ˆetre, cette conclusion, loin d’ˆetre probl´ematique, devrait au contraire le conforter.

53En extension.

54Voir Chapitre 3, section 3.2.2.1, pour le sch´ema en question.

55Voir note 65 p.165 pour une comparaison avec ce qui ce passe quand le pr´edicat de v´erit´e est

3.3

D´eflationnisme et conservativit´e : quelqu’un a-t-il