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Isaacson, la compl´etude ´epist´emologique de l’arithm´etique et

4.4 Le programme d’Isaacson et la v´erit´e arithm´etique

4.4.2 Isaacson, la compl´etude ´epist´emologique de l’arithm´etique et

La proposition d’Horsten, si elle ´etait correcte33, s’appliquerait ´egalement au

cas des preuves par la v´erit´e des ´enonc´es de G¨odel pour P A, si bien que la th`ese

30Citer en note les ´el´ements allant dans son sens que Leon croit trouver chez G¨odel, p.179 31Remarquons tout de mˆeme que malgr´e leur oppositions sur la nature du concept de v´erit´e, ces

deux th`eses s”accordent sur le fait que la nature des preuves par la v´erit´e est diff´erente des preuves math´ematiques ordinaires en ce sens qu’elle fait appel `a des modes du connaˆıtre ou des sources de justifications qui ne se r´eduisent pas aux modes ordinaires ou canoniques de la connaissance math´ematique. Sur ce point fondamental, je m’accorde avec Horsten.

32Dans un article `a paraˆıtre (Horsten ([forthcoming])), Leon Horsten d´efend par ailleurs une

th`ese d’inspiration d´eflationniste selon laquelle le concept de v´erit´e est un outil « inf´erentiel ». Nous nous sentons en accord avec les id´ees directrices de l’article qui, par leur esprit, se rapprochent des nˆotres, quoique les arguments et les d´etails de la th`ese diff`erent largement. Reste que cette th`ese nous paraˆıt prime abord en tension avec celle pr´esent´ee ici.

d’Isaacson (et celle de Horsten avec elle), pourrait ˆetre vue comme la pr´emisse d’un argument possible contre la transparence de la v´erit´e. Mais ce n’est pas la voie choisie par Isaacson pour soutenir sa propre th`ese. En fait Isaacson, pour autant que nous sachions, ne s’est jamais attard´e `a consid´erer en propre la signification qu’a pour sa th`ese le ph´enom`ene de la non-conservativit´e des extensions al´ethiques de P A sur P A elle-mˆeme. Mais il en dit beaucoup, n´eanmoins, dans le cours de consid´erations connexes, et nous trouverons un appui textuel solide dans Isaacson (1992). Pour le dire d’embl´ee, je ne crois pas au bout du compte que la th`ese d’Isaacson soit incompatible avec notre th`ese sur le rˆole de la v´erit´e.

Nous nous attelons donc maintenant `a cette tˆache : d´efendre la compatibilit´e de la th`ese d’Isaacson avec l’id´ee que le rˆole ´epist´emologique du concept de v´erit´e n’est pas celui d’un concept explicatif. Pour commencer, il nous faut souligner qu’Isaac- son lui-mˆeme d´efend incidemment l’id´ee que la v´erit´e a un pouvoir d’explication, mais d’une fa¸con qui ne met pas en danger sa propre th`ese, comme nous allons le voir. Dans ce qui suit, nous suivrons la terminologie d’Isaacson et nous dirons qu’une proposition ou un ´enonc´e est arithm´etique (en un sens ´epist´emologique, donc), non seulement si elle formulable par un ´enonc´e du langage de P A en pre- mier ordre (quantification uniquement sur les entiers, sans passage par des notions d’ordre sup´erieur), mais encore si sa v´erit´e peut ˆetre per¸cue directement `a partir de notre analyse conceptuelle de la notion d’entier. Si, comme le veut Isaacson, P A est compl`ete relativement `a cette notion d’´enonc´e arithm´etique, tous les th´eor`emes de P A doivent ˆetre arithm´etiques ; par cons´equent, non seulement les axiomes de P A doivent ˆetre arithm´etiques, mais la cons´equence logique doit encore pr´eserver la propri´et´e d’ˆetre arithm´etique. Ce point donne lieu a une objection potentielle, qu’Isaacson formule ainsi :

On pourrait arguer, contre cette vue [que tous les th´eor`emes de P A sont arithm´etiques], que la d´ependance aux d´erivations logiques rend une pro- position non-arithm´etique [...] puisque la justification d’une d´eduction logique est en termes du concept g´en´eral de v´erit´e, plutˆot qu’`a partir de notre conception fondamentale des entiers naturels.(Isaacson (1992), p.92)

La formulation de cette objection t´emoigne d’une diff´erence de point de vue entre Isaacson et nous quant `a la nature du rˆole de la v´erit´e : Isaacson tient que le concept de v´erit´e permet de justifier les lois de la logique, alors que nous pensons

4.4. Le programme d’Isaacson et la v´erit´e arithm´etique

qu’il n’en est rien.34 Dont acte. Notons cependant d´ej`a ici que, si ce d´esaccord est

r´eel, ses cons´equences restent circonscrites. Revenons donc `a la r´eponse d’Isaacson `

a l’objection qu’il a lui-mˆeme formul´ee. C’est la suivante :

Le point est qu’une explication [account] de la v´erit´e arithm´etique peut, et en fait doit, proc´eder sur la base du fait que nous comprenons le langage de l’arithm´etique. Ce langage contient les notions sp´ecifiquement arithm´etiques « z´ero », « successeur », « plus », « multipli´e » et peut-ˆetre d’autres, que nous comprenons via notre saisie de la structure des entiers naturels. Mais il doit aussi inclure des notions telles que « et », « ou », « non », « si...alors », « tous », « quelque ». Notre saisie de ces derni`eres notions valide les principes de la logique du premier ordre. Pour autant que nous comprenons le langage de l’arithm´etique du premier ordre, nous sommes en possession d’une base permettant de percevoir la correction des principes de la logique du premier ordre, ainsi que la v´erit´e de chaque axiome de l’arithm´etique de Peano appliqu´ee `a la structure des entiers naturels.(Isaacson (1992), p.96-97)

Nous avons donc besoin du concept de v´erit´e pour justifier les lois qui gouvernent le langage de la logique du premier ordre, mais il n’en reste pas moins qu’une fois accept´ees les lois de la logique du premier ordre, les th´eor`emes de P A sont per¸cus comme vrais dans le langage de l’arithm´etique directement en vertu de notre analyse des nombres entiers. L’objection ´etant d´esamorc´ee, nous en venons `a la question qui int´eresse au premier chef Isaacson, et nous avec lui, celle de savoir, non pas si tous les th´eor`emes de P A sont arithm´etiques, mais si P A est compl`ete pour cette notion d’´enonc´e arithm´etique.

Pour d´efendre sa r´eponse positive `a cette question, Isaacson doit bien sˆur soute- nir que l’´enonc´e g¨od´elien de la coh´erence de P A n’est pas un ´enonc´e arithm´etique. Son id´ee est que la v´erit´e des ´enonc´es g¨od´eliens n’est pas perceptible directement `a partir de notre perception de la structure des entiers : c’est la v´erit´e d’un fait non- arithm´etique qui est per¸cue dans le cours d’une m´eta-r´eflexion sur notre th´eorie et non sur les entiers, et le fait que cette v´erit´e peut ˆetre cod´ee dans le langage de l’arithm´etique. Pour percevoir la v´erit´e de l’´enonc´e de la coh´erence, il faut en effet percevoir le fait de la coh´erence de P A, et cette perception ne peut provenir d’une r´eflexion sur le concept d’entier uniquement mais doit reposer ´egalement sur une

r´eflexion « d’ordre sup´erieur », `a savoir une r´eflexion sur notre propre r´eflexion sur les entiers telle qu’elle a trouv´e sa forme dans P A. `A ce point, Isaacson ne dit pas si pour op´erer cette r´eflexion d’ordre sup´erieur un concept de v´erit´e est requis. Mais r´efuter le caract`ere arithm´etique (en son sens) des ´enonc´es g¨od´eliens n’est pas suffi- sant pour soutenir la th`ese d’Isaacson. Pour lui donner sa cr´edibilit´e, il faut encore passer en revue diff´erentes extensions strictes de P A et montrer qu’elle ne sont pas justifiables sur la base de notre perception de la structure des entiers. Nous allons nous arrˆeter `a l’une de ses extensions parce que l’analyse qu’en donne Isaacson est directement pertinente pour notre recherche sur la v´erit´e.

Isaacson (1992) est consacr´e `a l’´etude d’une famille d’extensions de P A obte- nues par adjonction d’une version ou d’une autre de l’ω-r`egle. Dans la mesure o`u l’adjonction d’une version de l’ ω-r`egle `a P A produit en g´en´eral une extension non- conservative de P A, Isaacson doit donc montrer que la correction de ces diff´erentes versions de l’ω-r`egle, celles du moins dont l’adjonction `a P A produit des extensions non conservatives, n’est pas une cons´equence imm´ediate de notre conception fon- damentale des entiers. La version qui nous int´eresse est la suivante, φ ´etant une formule du langage de l’arithm´etique :

Pour tout entier naturel n, P A ⊢ φ(n) ω-r`egle

∀xφ(x)

Isaacson remarque que si nous supposons que nous savons :

(1) Tout ´enonc´e prouvable dans le syst`eme P A est vrai dans la structure des entiers naturels

alors nous pouvons ´etablir l’ω-r`egle comme une extension de P A de la fa¸con suivante. Nous citons Isaacson :

Supposons la pr´emisse de l’ω-r`egle, i.e. (2) Pour tout entier naturel n, P A ⊢ φ(n) A partir de (2), par (1), nous avons

(3) Pour tout entier naturel n, « φ(n) » est vrai

Ce qui suit est la clause pour le quantificateur universel dans la d´efinition inductive de la v´erit´e, dans le cas o`u chaque ´el´ement du domaine est d´enot´e par un terme canonique du langage (si bien que l’induction peut ˆetre faite directement sur le pr´edicat de v´erit´e, plutˆot que via la relation de satisfaction) :

4.4. Le programme d’Isaacson et la v´erit´e arithm´etique

(4) Pour tout ´el´ement d du domaine, « φ(d) » est vrai (dans le domaine donn´e) si et seulement si « ∀xφ(x) » est vrai (dans ce domaine),

o`u « d » signifie le terme canonique du langage qui d´enote l’´el´ement d du domaine.

La condition (3) et la moiti´e du biconditionel (4), sp´ecialis´e au cas du domaine des nombres entiers, donne

(5) « ∀xφ(x) » est vrai dans le domaine des entiers naturels

La condition d’ad´equation fondamentale [basic] pour tout pr´edicat de v´erit´e, « ... est vrai », est le sch´ema (la « convention-T » de Tarski) (6) « p » est vrai si et seulement si p

La ligne (5) et l’instance appropri´ee de (6) donne (7) ∀xφ(x)

interpr´et´e dans le domaine des entiers naturels. La d´erivation de (7) `a partir de (2) est l’ω-r`egle.(Isaacson (1992), p.107)

La question, pour Isaacson, est donc de savoir si cette d´erivation est arithm´etique. Comme chaque pas de l’inf´erence est valide en logique du premier ordre, et que le langage de l’arithm´etique est clos pour la cons´equence en premier ordre (voir argu- ment pr´ec´edent), ce sont les pr´emisses de l’argument qu’il faut scruter. Autrement dit il faut se demander si (1), (4) et (6) sont arithm´etiquement acceptables. Mais (4) et (6) ne sont pas probl´ematiques en vertu du fait qu’ils d´ecoulent de notre acceptation de la cons´equence logique pour le langage du premier ordre :

La clˆoture de la v´erit´e arithm´etique pour la cons´equence logique du premier ordre porte en elle un engagement `a accepter la th´eorie g´en´erale de la v´erit´e, puisque la propri´et´e fondamentale de la cons´equence logique est la pr´eservation de la v´erit´e [note omise], et, en cons´equence, cette notion de v´erit´e arithm´etique contiendra (4) (par exemple en validant le principe de g´en´eralisation universelle) et (6) [note omise].

Reste donc la pr´emisse (1). Or la pr´emisse (1) n’est rien d’autre que le principe de R´eflexion pour P A. La question d’Isaacson est donc maintenant exactement celle que nous explorons : quelle est la base de la justification du principe de R´eflexion ? Plus pr´ecis´ement, dans les termes de l’auteur : peut-on percevoir la v´erit´e du principe de R´eflexion sur la base de notre seule perception de la structure des entiers et des principes qui justifient notre acceptation de la notion de cons´equence logique en premier ordre, au rang desquels, d’apr`es le passage cit´e `a l’instant, il faut compter

« la th´eorie g´en´erale de la v´erit´e » (c’est-`a-dire les axiomes r´ecursifs `a la Tarski) ? Voici la r´eponse d’Isaacson :

Je ne nie pas, et en fait je consid`ere certainement, que nous pouvons voir que tous les axiomes et les th´eor`emes de l’arithm´etique de Peano sont vrais dans la structure des entiers naturels, mais le point est que le faire est un pas au-del`a de notre saisie de la structure fondamentale des entiers naturels, et donc viole une contrainte de minimalit´e. Ce qui est arithm´etique doit ˆetre exprimable dans le langage de l’arithm´etique du premier ordre [...] et perceptible comme vrai seulement `a partir de notre compr´ehension du concept fondamental d’entier naturel. Dans la seconde ´etape du processus permettant d’´etablir le fait que tous les axiomes et les th´eor`emes de l’arithm´etique sont vrais dans la structure des entiers na- turels, nous allons au-del`a du corps de v´erit´es initialement perceptibles comme vraies `a partir du concept fondamental d’entier naturel par le processus suppl´ementaire de r´eflexion sur le fait que les axiomes aux- quels nous sommes arriv´es par ce premier processus sont, en vertu de ce processus, vus comme vrais dans la structure des entiers naturels. Dans ce second processus de r´eflexion, ce sur quoi nous r´efl´echissons n’est pas le concept fondamental des entiers naturels, mais notre processus initial de r´eflexion sur ce concept.(Isaacson (1992), p.109)

En d’autres termes, puisque, selon Isaacson, notre acceptation des lois de la v´erit´e est implicite dans notre acceptation de P A comme th´eorie de l’arithm´etique, et que le principe de r´eflexion n’est pas arithm´etique, il faut donc que notre ac- ceptation des lois de la v´erit´e ne soient pas suffisantes, en conjonction avec nos justifications purement arithm´etiques d’accepter P A, pour justifier le principe de r´eflexion.

Il vaut la peine de rapprocher les remarques d’Isaacson de choses que nous avons d´ej`a vues en passant : pour Isaacson, des axiomes et th´eor`emes de P A au principe de r´eflexion il y a quelque chose comme un changement de sujet : nous passons d’une r´eflexion sur les entiers `a une r´eflexion sur cette r´eflexion (derni`ere ligne de la citation pr´ec´edente). C’est aussi ce processus de r´eflexion que Myhill pla¸cait au cœur de son explication de notre capacit´e `a prouver les ´enonc´es de G¨odel, mˆeme si pour sa part il n’y voyait pas un changement de sujet mais, ind´ependamment de tout sujet, quelque chose comme un prolongement rationnel de nos moyens de preuves. L’insistance