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Epist´emologie de la v´erit´e et ´epist´emologie des termes th´eoriques

3.3 D´eflationnisme et conservativit´e

3.3.4 Epist´emologie de la v´erit´e et ´epist´emologie des termes th´eoriques

La notion d’explication et de pouvoir explicatif auxquels Shapiro et Ketland se r´ef`erent par d´efaut semble ˆetre simplement celle du mod`ele d´eductif-nomologique pour les sciences empiriques. Dans le mod`ele d´eductif-nomologique de l’explication scientifique h´erit´e des positivistes, un concept a une valeur explicative (les concepts th´eoriques), si les lois qui le gouvernent impliquent « davantage » que simplement ce qui suit logiquement de ce que nous savons d´ej`a (les observations d´ej`a faites). Dans le cas de Ketland63 au moins, c’est le mod`ele de l’explication auquel il se

r´ef`ere explicitement. La non-conservativit´e de la th´eorie de la v´erit´e donne ainsi lieu `a une comparaison entre le statut ´epist´emologique du concept de v´erit´e gou- vern´e par les lois tarskiennes et celui du concept de champ magn´etique gouvern´e par les ´equations de Maxwell en physique. La volont´e de vouloir maintenir une in- terpr´etation d´eflationniste de la v´erit´e malgr´e le ph´enom`ene de non-conservativit´e est compar´ee `a l’entˆetement instrumentaliste devant le succ`es de la th´eorie des champs. Cet entˆetement, qui lui paraˆıt m´ethodologiquement douteux, est illustr´e de la fa¸con suivante :

A l’origine, nous n’avions aucune id´ee de ce que la situation serait, mais en utilisant la th´eorie abstraite, nous avons fait une pr´ediction qui a par la suite ´et´e v´erifi´ee. Ceci accroˆıt notre confiance dans la correction des lois abstraites (les ´equations diff´erentielles reliant le champ magn´etique B au courant I) utilis´ees pour obtenir la pr´ediction. Il serait tout `a fait ad hoc de r´epudier l’explication hautement fructueuse donn´ee par la loi abstraite et de proposer `a la place l’« explication » la plus faible possible de la situation. (Ketland (2005), p.86-87)

Autrement dit, le raisonnement de Ketland semble ˆetre le suivant : si la th´eorie ordinaire (tarskienne) de la v´erit´e est si f´econde, alors 1. nous devons prendre au s´erieux son rˆole explicatif, et 2. chercher `a montrer que l’on peut rendre compte des ph´enom`enes, dont cette th´eorie rend compte par des moyens plus faibles, serait une manœuvre scientifiquement douteuse.64

63Ketland(2005), p.87.

64C’est ce qui disqualifie aux yeux de Ketland la tentative de Tennant (2002) de soustraire

le d´eflationniste `a l’argument de la conservativit´e. Ketland ne met pas en doute que d’autres « explications » de la coh´erence, n’employant pas le concept de v´erit´e, soient possibles, mais le sens

3.3. D´eflationnisme et conservativit´e

Il n’est pas n´ecessaire d’ˆetre en d´esaccord avec Ketland sur le caract`ere ad hoc des reconstructions instrumentalistes des explications scientifiques, ni avec l’id´ee que la f´econdit´e de la th´eorie des champs donne une raison (parmi d’autres) de consid´erer le concept de champ comme d´enotant une propri´et´e naturelle robuste. Mais notre point est pr´ecis´ement que la comparaison entre th´eorie de la v´erit´e et ´equations de Maxwell est trompeuse. En effet, ce que montre l’argument pr´ec´edent, c’est que, malgr´e la non-conservativit´e, la th´eorie de la v´erit´e ne nous aide pas `a faire quelque chose qui ait une valeur ´epist´emologique comparable `a celle d’une au- thentique « pr´ediction » dans les sciences empiriques, pr´ediction dont la r´ealisation viendrait en retour justifier la th´eorie de d´epart. La th´eorie de la v´erit´e n’a pas de ces cons´equences dont on pourrait affirmer qu’elles ne sont pas d´ej`a des cons´equences logiques (formelles) de l’expression compl`ete de ce qui nous ´etait connu d`es avant sa formulation. Ou encore, pour le dire en un mot, la th´eorie de la v´erit´e n’est pas une th´eorie arithm´etiquement risqu´ee, au sens o`u, selon Popper, une bonne th´eorie scientifique doit ˆetre empiriquement risqu´ee, et o`u la th´eorie des champs l’est. Et c’est bien ainsi : les axiomes r´ecursifs de la th´eorie tarskienne ne sont pas des lois abstraites formul´ees `a titre hypoth´etique pour rendre compte (expliquer) de cer- tains ph´enom`enes arithm´etico-syntaxiques, et qui se trouveraient ensuite recevoir une justification ou une r´efutation par ses cons´equences ; ce sont sont au contraire des v´erit´es connues a priori avec une certaine ´evidence. La situation diff`ere donc du tout au tout non seulement de celle qui pr´evaut dans la formulation de la th´eorie des ´electrons et des champs magn´etiques, et plus g´en´eralement avec les hypoth`eses th´eoriques des sciences empiriques mais aussi, pour aller plus loin, de la situa- tion qui pr´evaut, selon G¨odel, dans les math´ematiques elles-mˆemes (et donc dans les domaines de la connaissance a priori ), lorsqu’il s’agit de formuler certaines hypoth`eses hautement abstraites, en particulier des hypoth`eses ensemblistes, dont nous appr´ecions la plausibilit´e en fonction des cons´equences qu’elles nous permettent de d´eriver.65

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A nouveau, on peut rendre compte du fait que l’on peut prouver la v´erit´e d’un ´enonc´e qui n’´etait pas prouvable lorsque l’on ´etend P A par les axiomes tarskiens pour la v´erit´e formul´es via le codage de la syntaxe dans l’arithm´etique et que l’on ´etend le sch´ema d’induction, de la fa¸con suivante. On peut commencer par remar- qu’il y a `a ne vouloir consid´erer que celles-l`a (sur ce point, il se distingue de Shapiro. Voir le chapitre suivant.). Par ailleurs Ketland doute que Tennant ait r´eellement fourni une telle explication.

quer tout d’abord que les axiomes tarskiens pour la v´erit´e ne sont que des bicon- ditionnels, qui n’affirment par eux-mˆemes la v´erit´e d’aucun ´enonc´e. De plus, les nouveaux axiomes d’induction de l’arithm´etique ´etendue n’affirment pas non plus par eux-mˆemes la v´erit´e d’aucun ´enonc´e, tous les nouveaux axiomes ayant la forme de conditionnels (si φ(0) etc, alors ∀xφ(x)). Pourquoi alors, avec ces nouveaux axiomes, on peut maintenant prouver que certains ´enonc´es sont vrais (et donc ces ´enonc´es eux-mˆemes), qui n’´etaient pas prouvables auparavant. Intuitivement, ce qui se passe d’un point de vue logique est la chose suivante. Les axiomes d’induction af- firment chacun d’une propri´et´e (en extension) que si elle est vraie de 0 et h´er´editaire alors elle est vraie de tous les entiers. Plus le langage ambiant permet d’exprimer de propri´et´es diff´erentes, plus ces axiomes contraignent conjointement l’extension possible de la notion d’entier. A la limite, lorsque l’on peut parler de toutes les pro- pri´et´es (en extension) dans le langage (comme en second ordre), alors on a identifi´e les entiers comme le plus petit ensemble contenant 0 et clos par succession. Dans le cas o`u il n’est pas possible de quantifier sur toutes les propri´et´es dans le langage, notre caract´erisation n’est que partielle. En outre, elle se trouve renforc´ee chaque fois que nous introduisons dans le langage, d’une fa¸con ou d’une autre, un nouveau moyen expressif. C’est ce qu’il se passe quand on introduit la notion de v´erit´e par les axiomes tarskiens. Ces axiomes n’affirment la v´erit´e d’aucun ´enonc´e, mais le seul fait d’introduire ainsi dans le langage par une d´efinition inductive axiomatique un pr´edicat qui n’est pas d´efinissable explicitement, enrichit les moyens expressifs `a notre disposition. Or notre compr´ehension des entiers est telle qu’en formulant le sch´ema d’induction nous entendions nous engager non pas seulement sur l’affirma- tion que l’ensemble des entiers est le plus petit ensemble clos par succession parmi les ensembles d´efinissables arithm´etiquement. Au contraire notre engagement ´etait ouvert : c’est le plus petit, non seulement parmi ceux exprimables dans ce langage- ci, mais ´egalement parmi ceux qu’il sera peut-ˆetre possible d’exprimer `a l’avenir. Vue sous cet angle, la non-conservativit´e des extensions al´ethiques est compatible avec le th`eme d´eflationniste : le pr´edicat de v´erit´e est un moyen d’expression qui a permis d’expliciter certains engagements que nous avions pris implicitement en formulant notre th´eorie de base (avec un sch´ema ouvert).66

66Un lecteur pourra s’´etonner : apr`es tout le pr´edicat introduit par les ´equivalences-T seulement,

lui non plus n’est pas d´efinissable dans le langage de l’arithm´etique ; pourtant, les ´equivalences- T ´etendent conservativement P A. Le probl`eme est que les ´equivalences-T, on l’a vu, ne sont pas suffisantes dans P A (et dans tout syst`eme sans r`egle “infinitaire”) pour prouver la moindre g´en´eralisation contenant “vrai”. Or pour que la nouvelle propri´et´e puisse « faire du travail » dans le

3.3. D´eflationnisme et conservativit´e

3.3.4.1 Quelqu’un a-t-il chang´e de sujet ?

Pour r´esumer, il est possible d’admettre que savoir qu’une th´eorie interpr´et´ee A est vraie soit suffisant pour savoir que A est coh´erente. N´eanmoins, connaˆıtre la v´erit´e de A ne donnera jamais aucune nouvelle connaissance des faits relevant du domaine d’investigation qui est celui de la th´eorie A, `a moins que nous n’ayons su depuis le d´ebut que A ´etait d’une mani`ere ou d’une autre une formulation d´efectueuse de notre connaissance r´eelle de son domaine, et n’ayons eu de plus le moyen de reconnaˆıtre quelques extensions strictes de A comme ´etant correctes re- lativement `a cette connaissance. Autrement, comment pourrions-nous ˆetre certains que les conclusions que nous tirons sont sˆures ? Ou, pour faire ´echo `a des r´eflexions que Shapiro a faites ailleurs67 : si ces conditions n’´etaient pas r´eunies, comment pourrions-nous ˆetre certains que nous n’avons pas chang´e de sujet ? que nous ne sommes pas subrepticement pass´es d’un discours sur les nambres `a un discours sur les nombres ?

Le Probl`eme de la fronti`ere ´etait celui de donner une explication de la distinction entre notion explicative et notion purement expressive. Il est naturel de ramener ce probl`eme `a un probl`eme de disctinction entre des ´enonc´es ayant une valeur expli- cative et les autres, la question ´etant alors de savoir de quel cˆot´e de la fronti`ere tombent les ´enonc´es qui permettent de rendre compte des usages jug´es essentiels du concept de v´erit´e. La Th`ese de la R´eflexivit´e impliquait que la th´eorie minimale de la v´erit´e ne permet pas de rendre compte de ces usages, tandis que la th´eorie tarskienne le peut, et la question ´etait alors de savoir si les axiomes de la th´eorie tarskienne sont ou non des principes explicatifs. Shapiro et Ketland prennent po- sition sur le Probl`eme de la fronti`ere en d´eclarant explicatifs relativement `a une sch´ema d’induction, il faut pouvoir ˆetre en mesure de prouver des g´en´eralit´es concernant cette pro- pri´et´e, en particulier des ´enonc´es de la forme “∀x(φ(x) → φ(x′)”, o`u φ contient le nouveau pr´edicat.

C’est pourquoi les ´equivalences-T, bien qu’elles introduisent en effet un pr´edicat in´eliminable, ne renforcent pas les axiomes de P A.

67Shapiro(1998a). Pages 618 et suivantes, Shapiro reconnaˆıt lui-mˆeme qu’il y a probablement

quelque chose `a dire en faveur de la th`ese que le pr´edicat de v´erit´e est logique. Il ajoute : Dans un autre article [Shapiro (1998b)], je soutiens que l’´echec de la conservativit´e de th´eories telles que A” [il s’agit de A augment´ee de principes al´ethiques] parle contre ce qu’on appelle les th´eories d´eflationnistes de la v´erit´e. Comment cette notion peut- elle ˆetre « fine » ou « sans substance » si l’on peut utiliser cette notion pour obtenir de nouvelles connaissances (p.ex. `a propos des entiers naturels) ? N´eanmoins, il y a une intuition naturelle selon laquelle en ajoutant un pr´edicat de v´erit´e `a A, et en adoptant A′′, l’on a pas vraiment chang´e de sujet.(Shapiro (1998a), p.619)

th´eorie A les ensembles d’´enonc´e qui ´etendent non-conservativement A, et pensent ainsi pouvoir r´efuter le d´eflationnisme. Mais d’une part, il n’est pas clair qu’il n’y ait pas une autre fa¸con de tracer la fronti`ere qui permettrait de r´esoudre positive- ment le Probl`eme de la stabilit´e en respectant les intuitions d´eflationnistes. D’autre part, inversement, il n’est pas certain que la disctinction par la conservativit´e rende justice `a ces intuitions. C’est ce que nous avons sugg´er´e en soulignant l’existence de ph´enom`enes de non-conservativit´e des lois logiques. Surtout, dans le cas des exten- sions al´ethiques, l’observation d’un ph´enom`ene de non-conservativit´e sur la th´eorie de base d´epend essentiellement du caract`ere sch´ematique de cette th´eorie de base, et il est alors difficile de tirer des conclusions d´efinitive, quand bien mˆeme le crit`ere de conservativit´e serait accept´e : car dans ces conditions, le gain en pouvoir expli- catif r´esulte conjointement des axiomes al´ethiques et des nouveaux axiomes de la th´eorie de base, et il semble impossible de trancher sur cette seule base du caract`ere explicatif ou non des axiomes pour la v´erit´e.