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CHAPITRE 3: L’ORGANISATION MUNICIPALE ET MÉTROPOLITAINE AUX ÉTATS-UNIS

3.1 Évolution de l’organisation municipale et métropolitaine aux États-Unis

3.2.3 Le premier mouvement de réformes métropolitaines

La première vague de régionalisme aux États-Unis vers les années 1920 se caractérise selon Wallis (1994b) par une réaction aux pressions expansionnistes de la ville monocentrique industrielle. La production de masse favorisait la croissance urbaine et les villes-centres s’étendaient physiquement et démographiquement au-delà de leurs limites territoriales. Le discours des élites politiques de l’époque, dont les maires des plus grandes villes faisaient partie, tendait à favoriser l’élargissement des structures administratives des villes-centres afin d’intégrer le nouveau développement suburbain. Les arguments en faveur de l’unification des agglomérations sous un même gouvernement local visent l’amélioration de la coopération, la coordination du développement industriel et résidentiel, le contrôle de l’étalement urbain, l’amélioration de la sécurité et de la protection contre les incendies, le développement adéquat des infrastructures urbaines ainsi que l'uniformisation des programmes de santé publique26.

Les premiers réformateurs voient donc dans les fusions ou les annexions une solution simple afin de résoudre les problèmes liés à la croissance urbaine et à l’efficacité gouvernementale. Toutefois, les tentatives des grandes villes étasuniennes visant l’annexion des territoires de

25 Selon Jackson (1985), l’introduction de la technique du zonage est associée avec une ordonnance de la ville de

New York en 1916 pour protéger certains quartiers de la spéculation foncière. En 1926, 76 villes étasuniennes avaient adopté des plans de zonage inspirés du modèle de New York et en 1936, 1 322 pratiquaient le zonage. Cette pratique a vite fait d’être empruntée par les municipalités de banlieue.

26 Wallis (1994b) et Teaford (1979) réfèrent aux arguments du maire de Boston Andrew Peters qui, en 1919,

résumait à peu près ainsi les arguments en faveur de l’unification de la ville de Boston et de ses banlieues. Le maire avait entrepris un certain nombre d’initiatives auprès de la législature du Massachusetts afin d’obtenir le droit d’annexer les territoires de banlieue afin de créer le Greater Boston.

banlieue ont plus souvent qu’autrement échoué après les années 1920. Pour Teaford (1979) la période entre 1910 et 1940 correspond à l’ascendance ou la domination de la banlieue. Si pendant les années 1870-1900 l’expansion des territoires des 20 plus importantes villes étasuniennes dépassait largement en moyenne 20% par année, cette expansion ne représente plus que 0,5% entre 1930 et 1940 (Teaford, 1979 : 77). Alors que la qualité des services publics ne cessait de s’améliorer, la réputation de mauvaise gestion et de corruption des villes-centres ne s’améliorait pas. Teaford décrit le contexte municipal entre 1910 et 1940 de la manière suivante :

During the period from 1910 to 1940, then, separatism appeared on the rise unabated by the unifying appeal of superior central-city services. The social and economic forces tha underlay earlier fragmentation persisted, but the factors that had encouraged amalgamation in the late nineteenth century no longer prevailed. Centripetal force did not balance centrifugal pull as i had in an earlier era. No longer was there as much rhetoric about services that only the big city could offer. Instead, there was more talk about the advantages of life in a small community, a homogeneous hometown where one could make one’s influence felt. Americans wanted to separate into communities tha would suit their particular purposes and where they would not confron opposition om people with dif erent interests. They wan ed to live in communities where everyone believed in green lawns and white picket fences, in sobriety, and in chastity. They did not want to live in communities where they would have to vie with conflicting viewpoints or battle manufacturers and their soot, ward heelers and their saloons. Fragmented suburbia of ered them the opportuni y to realize this peculiar paradise, and with the improvement of suburban services they no longer had to sacrifice comfort and convenience to attain this end. (Teaford, 1979 : 86)

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C’est dans ce contexte que l’une après l’autre, les initiatives visant l’annexion des banlieues aux villes-centres se sont mises à échouer. Bien que Teaford note quelques gains ici et là dans les municipalités de Cleveland, Chicago, Pittsburgh après 1920, il n’en demeure pas moins que ces gains sont particulièrement modestes comparativement aux périodes précédentes. Les échecs étaient par ailleurs beaucoup plus nombreux. La ville de Milwaukee échouait à plusieurs reprises entre 1925 et 1934 à consolider la ville et le comté, les réformistes de Boston échouaient à répétition auprès de la législature de l’État à faire naître le concept de Greater Boston et ceux de Saint-Louis étaient également frustrés à plusieurs reprises même après avoir obtenu un amendement en 1922 établissant des règles d’annexion claires pour la municipalité qui ne trouvait aucun preneur dans la région.

À partir de ce moment, il devenait évident que l’annexion municipale ne représentait plus une solution viable au problème de croissance métropolitaine. Au milieu des années 1920, il

se développe néanmoins une préoccupation politique et une réflexion relativement profonde sur les questions métropolitaines aux États-Unis. Les mesures de fusion et d’annexion (forcées ou non) sont délaissées au profit d’approches alternatives pour gérer les fonctions métropolitaines qui tendent à prendre une forme fédérative à l’échelle métropolitaine. On peut dire que l’idée du fédéralisme métropolitain vient en quelque sorte de l’Angleterre qui en 1888 créait le London County Council . Celui-ci proposait une forme de gouvernement favorisant à la fois la coopération métropolitaine et l’autonomie au niveau local.

On assiste alors aux États-Unis au renforcement des comtés comprenant de nombreux gouvernements municipaux et la montée de l’utilisation des agences unifonctionnelles de services municipaux comme solution aux besoins de coordination métropolitaine. On observe également la création de nouvelles instances métropolitaines. C’est en 1919 que sont fusionnées à Boston les trois premières agences unifonctionnelles régionales du pays pour créer le Metropolitan District Commission. En 1922, New York inaugure son premier Plan Régional et le Comté de Los Angeles forme le Los Angeles County Regional Planning Commission.

Parallèlement à cela, un renouvellement théorique et conceptuel du courant réformiste émerge à peu près à la même époque. Des groupes civiques et des spécialistes des questions urbaines s’intéressent de plus en plus aux questions régionales. On peut mentionner à ce chapitre, Lewis Mumford ainsi que plusieurs de ses collaborateurs du Regional Planning Association of America (American Planning Association, 2002). On peut mentionner également les préoccupations du National Municipal League27 qui créait en 1924 le League’s Committee on Metropoli an Government. De ce mouvement ont émergé les travaux de Paul Studenski qui publiait en 1930 The Government of Metropolitan Areas in the United Sta es. Cet ouvrage constitue selon Stephens et Wikstrom (2000) le premier ouvrage général sur la gouverne des régions métropolitaines. Studenski établissait clairement comme postulat à ses idées réformatrices que la ville-centre et les banlieues constituent une seule communauté économique et sociale et que les agglomérations sont artificiellement divisées par les autorités locales existantes : municipalités, agences unifonctionnelles et comtés. C’est donc à la fragmentation des structures gouvernementales que ces réformateurs s’intéressent tout particulièrement. Studenski se concentrait surtout sur la fourniture des

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services gouvernementaux. Les problèmes urbains identifiés dans son ouvrage concernent surtout le fonctionnement de la ville comme la fourniture d’eau, les égouts, les routes, le transport, la police, la protection contre les incendies, la santé publique, la collecte des déchets, les parcs et les espaces verts, les écoles, les bibliothèques, etc.

La solution privilégiée par Studenski pour faire face à ces problèmes était définitivement gouvernementale. Il est parmi les premiers à avoir parlé du concept de « Federated City » comme solution politique viable aux problèmes métropolitains. Contrairement aux annexions ou aux consolidations de comtés, cette solution permet aux municipalités de continuer d’exister et d’exercer un certain contrôle au niveau local. Toutefois, ces municipalités devraient confier une partie de leurs responsabilités à un autre niveau de gouvernement, métropolitain celui là, qui disposerait de pouvoirs réels d’où l’expression « gouvernement métropolitain fédératif ». Les idées de Studenski sur la problématique de la fragmentation des structures municipales et sur la nécessité de créer de nouvelles instances métropolitaines fédératives auront une influence jusque dans les années 1970 (Stephens et Wikstrom, 2000).

Pour les réformateurs de cette génération incluant Studenski, McKenzie et Jones28, un des problèmes métropolitains majeurs est la fragmentation politico-institutionnelle et la concurrence inter-municipale venue des banlieues qu’ils considèrent comme inefficaces pour la fourniture des services régionaux et la coordination des grandes infrastructures métropolitaines. Ils commencent à concevoir ainsi les régions métropolitaines comme des entités socio-économiques cohérentes qui exigent des politiques publiques ou des instances politiques ou administratives correspondant à cette échelle. En somme, à partir des années 1920 et 1930, les préoccupations métropolitaines commençaient à surgir, tout spécialement auprès des urbanistes réformateurs.

Toutefois, ces idées et ces propositions n’ont pas eu un impact très grand sur les structures métropolitaines entre les années 1920 à 1940. Les exemples de Pittsburgh, Saint-Louis et Cleveland représentent selon Teaford (1979) des exemples éloquents des revers répétés

27 Le National Municipal League deviendra plus tard le National Civic League. Il s’agit d’un organisme très

important aux États-Unis qui depuis le début défend les intérêts de la minorité noire.

28 Roderick McKenzie publiait en 1933 un ouvrage intitulé The Metropolitan Community alors que Victor Jones

visant la création de gouvernements métropolitains de type fédératif29. Ce dernier décrit comment la ségrégation sociale et culturelle et les structures politiques des métropoles étasuniennes ont engendré une opposition robuste à cette forme de gouvernance jusqu’aux années 1950. Ainsi, aucun gouvernement métropolitain de type fédératif n’a été créé aux États-Unis avant la création de Met o Portland plusieurs décennies plus tard. La manifestation la plus tangible de fédéralisme métropolitain à cette époque réside plutôt sous la forme la moins contraignante qu’il soit via la création d’agences unifonctionelles régionales ou celle du renforcement des comtés.

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